mercredi 26 décembre 2018

La Symphonie n°9 de Mahler


Vendredi soir. Fin de la semaine de ma fin de session. Et elle fut bien exigeante celle-là. En fait, elles le deviennent de plus en plus à chaque fois. Peut-être que je suis trop intense ou que je veux trop qu'ils se surpassent, mais au moins les étudiants m'ont quand même bien suivi. C'est donc avec un certain sentiment du devoir accompli que je me suis pointé avec Francis à la Maison symphonique pour aller voir et entendre l'Orchestre Métropolitain de maestro Yannick Nézet-Séguin. Concerto pour piano de Schumann et Neuvième de Mahler. Ce sera la meilleure façon de dissiper cette nostalgie inévitable qui accompagne les fins de session. Hélas, l'iconoclaste et sublime Hélène Grimaud a cancellé le projet une semaine avant le concert pour cause de blessure et je me demande vraiment si c'est un de ses loups qui lui a fait ça!? Cela dit, le concerto de Schumann fut joué proprement, peut-être un peu trop même. De toute façon, c'est Mahler et sa neuvième qui m'intriguaient. 

Ces fameuses neuvièmes... Beethoven, Schubert, Dvořák et Bruckner n'auront pas pu aller plus loin, Mahler le pressentait et cette crainte, qui est paradoxalement accompagnée d'une acceptation totalement libératrice, s'entend comme c'est pas possible dans sa symphonie. Une autre symphonie écrite dans la tragédie totale et dans l'appréhension de la mort imminente à un beaucoup trop jeune âge, 50 ans. Je l'avais écoutée à peine deux fois, distraitement, chose à ne pas faire parce que Mahler est difficile, très difficile. Je n'avais pas compris grand-chose à cette oeuvre gigantesque, mais le livret du concert s'annonçait prometteur : "Le premier mouvement tarde à nous livrer son premier thème. Nous en entendons d'abord des lambeaux disséminés dans une écriture prophétique (rien de moins) où se relaient les violoncelles, les cors, la harpe et les altos. Puis le premier thème est énoncé par les violons. Et c'est le début d'une grande aventure (c'est moi qui engraisse) où Mahler traduira tour à tour un sentiment de perte irrémédiable, l'horreur devant la mort inéluctable et finalement, non pas la révolte, non pas la douleur désespérée, mais bien une acceptation triste, douce et sereine."  Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. Et je n'avais aucune espèce d'idée de ce qui m'attendait.

Puis Yannick Nézet-Séguin est venu parler un peu au micro avant le concert, première fois que je voyais ça à la Maison symphonique, content de voir une salle pleine pour venir écouter autre chose que de la musique de Noël. Il nous a dit aimer la musique de Mahler plus que tout, car cette musique, quoiqu'elle soit difficile d'approche, nous pousse, comme aucune autre peut-être, à une introspection des plus intenses, et il nous invitait tous à faire semblable introspection, question de saisir toute la matière de l'année sur le point de se terminer. Comme la symphonie dure environ une heure et vingt minutes, ce qui est exceptionnel, c'est quasiment un film, ça nous laissait amplement le temps. J'ai donc décidé de ne pas trop chercher les émotions de Mahler dans sa symphonie - dire qu'il est opaque est un euphémisme - ni à les comprendre ou même les ressentir, mais tout simplement (si cela est possible) de chercher en moi pour écouter attentivement les émotions que la symphonie m'inspirerait ou me révèlerait. Ça peut sembler l'évidence même, mais permettez-moi d'en douter, l'art nous révèle des indices le plus souvent inconsciemment ; mais user de sa volonté, en pleine conscience des choses, pour plonger en soi et saisir l'émotion peut nous inspirer le plus glorieux bonheur mais également nous crisser en pleine face toute la vacuité tragique (ou pas) de notre vie humaine. C'est jouer gros. 

Parce que je ne sais pas lire la musique, elle sera toujours hors de ma portée d'une certaine façon ; je vois le phénomène, mais je ne pourrai jamais en comprendre toutes les subtilités. Au même titre que les neurosciences ou l'astrophysique par exemple. Je serai toujours non pas un acteur mais un spectateur (même si mon écoute est des plus actives). Je vois la musique de Mahler comme une architecture métaphysique totalisante beaucoup trop grande pour moi ; immense et colossale, elle m'impose le plus grand respect et mon écoute fut empreinte de dévotion. Le sacré pour moi relève du spirituel et non du religieux, et j'étais en plein dans cet état d'esprit lors du concert. Quelques fois les yeux fermés, le plus souvent les yeux bien ouverts, mais sans réellement voir ce qui se passait. Tout était voilé dans la salle par le filtre de l'enchantement. J'ai du moins pu constater la jeunesse fougueuse et passionnée de Nézet-Séguin dirigeant son remarquable (le mot est faible) orchestre, pas moins de 88 musiciens, ils étaient tous en parfaite symbiose avec l'édifice monumental de Mahler. Je n'entendais plus personne dans la salle pourtant comble. 

Dès les premières notes, je suis parvenu facilement à rentrer en moi, mais ça restait non pas superficiel, mais peu profond, trop habituel. Pendant le premier mouvement, l'orchestre s'est mis lentement en marche, étalant les phrases singulières et disparates nécessaires à l'apparition du chaos et des forces de la nature qui ont toujours obsédé Mahler. Le calme est rapidement devenu tempête et plusieurs souvenirs ont commencé à se révéler, mais trop furtivement, comme des flashs photographiques. Images de rires échangés, de regards qui ne durent qu'une seconde, des visages méconnus et d'autres connus ; même les loups d'Hélène Grimaud sont apparus pour hurler à unir la meute dispersée, tout le bois de la salle s'est fait arbre puis forêt, orées silencieuses sous la canopée envahie de bruits, encore une autre année passée, je vois bien la nature de Mahler, il me fait rentrer dans sa nature, dans la Nature, la nature humaine, la mienne, la nature divine, si cela existe, le voile est à près chuter, le voile des derniers mois tissés lourds d'une tragédie que j'évite, tassée dans l'angle mort de ma conscience, novembre sombre, il y a des morts à ne pas fêter... Tout se fractionnait dans ma tête au rythme du mouvement et se multipliait comme à l'habitude en trop de mots, trop d'idées pour que je puisse retenir quelque chose. Les accalmies douces suivant les phrasés brutaux voyaient pâlir les souvenirs inconsistants. Voir des images invisibles est toujours étranges, trop évanescent ; la mémoire interne de l'oeil fait défaut, phosphènes et scotomes valsent malgré soi comme reflets sur flaques floues. Ça m'arrive quasiment tout le temps, ces avalanches chaotiques de signes, ce qu'on appelle trop facilement le hamster tournant dans sa roue ; je ne plongeais pas assez en moi, Proust m'est apparu et je me suis rappelé de ne rien trop forcer, de me laisser aller. Mais c'est difficile à faire lorsque 88 musiciens et leur chef déchaîné nous brassent la cage et nous mettent sur le qui-vive comme c'est pas possible 

L'ouverture du deuxième mouvement, une légère danse entre cordes et vents, est venue adoucir tout ça et ça m'a carrément accroché un sourire obstiné au visage ; mon corps l'emportait sur mon esprit. Même si chez Mahler, la réjouissance est brève, la danse cède rapidement le pas à la marche, plus droite, ampoulée et fière ; toutes images m'ont quitté à cet instant pour n'installer rien d'autre que l'émotion, l'émotion pure. Sérénité, calme, enchantement, paix, joie ou bonheur, je ne sais plus, et le mot n'a pas d'importance. Rien de précis ne naissait en moi pour suggérer l'émotion, elle était là, tout simplement, comme elle l'a été plus souvent qu'autrement lors de la dernier année. Puis des souvenirs précis ceux-ci, essentiellement des paroles échangés, sont venus me rappeler ce pour quoi il n'y a pas de honte à préférer le bonheur, comme le disait Camus, et que lorsqu'il est là, ben faut pas faire semblant de ne pas le voir. La dernière année aura été celle où je serai parvenu à être qui je suis réellement dans un amour total, tantôt calme, tantôt sauvage, et que c'est à cet amour que je le dois, cet amour qui me force à trouver un nouveau langage à même la moelle et la fureur de ce qu'on appelle, sans réellement saisir tout le poids du mot, la vie. 

Dans le troisième mouvement, je ne plonge plus, je trébuche en moi (je revendiquerai toujours le droit à la maladresse occasionnelle et inoffensive) pour écouter ce que la musique m'envoie ; je tombe sans cesse puis me relève et cours de plus en plus vite. Spasmes et tornades claires de cordes, hautbois et vents divers, espoir vain de la neige dehors ne demandant qu'une tempête pour enfin voler, le ventre ronflant du soir faisait mine de se reposer plus tôt avant un cataclysmique paroxysme, Yannick Nézet-Séguin est un sorcier, Prospero dans The Tempest, les substantifs sont inutiles dans la transsubstantiation des choses, les langues lèchent le coeur animal, se déchaîne une fureur sans nom sans corps sans image, et ce, malgré les doutes, les doutes constants, mes incertitudes, mes regrets et remords, mes fantômes démunis que j'ai abandonnés au purgatoire, mais je ne dois rien à personne, souffle ininterrompu des cors, tambours battant aux tempes du temps, musique hermétique, Hermès, le messager des dieux qui conduit les âmes aux enfers, Mahler y ressortant suite au décès de sa fille de quatre ans, moi y ressortant après le suicide d'un de mes étudiants, ce n'est pas de ma faute il faut imaginer Sisyphe heureux ça n'aura pas suffit j'ai failli ma peine ma colère ma frustration et mon incompréhension ma marche de quarante minutes le long de l'aqueduc de Verdun pieds nus sur le verre d'un sablier brisé soleil glacial quand j'ai su la nouvelle par un jeudi jour de puissance de tonnerre frappé par la foudre l'éclair sourd de Jupiter le ciel jamais ne fut plus bleu lumière violente dans mon trouble intense mon âme a vomi un peu soif intarissable vérité enfoncée trop loin dans la gorge jour de drame de tragédie de ta vie fauchée par ta main désespérée dans la chair de tes dix-huit ans le retour en classe le lendemain tes camarades en pleurs ma main tremblant mon coeur secoué à jamais ton nom désormais éternel dans l'obscur onyx de mon cerveau perdu dans les entrailles alchimiques du mystère inexplicable des choses eh bien à ta mémoire je te survivrai imparfait il m'en aura coûté de faire la paix avec ta mort qui ressort malgré moi dans les emportements impétueux du final du troisième mouvement la vie dans toute sa puissance de la neuvième de Mahler qui m'a fait lâcher tous les sacres de la langue québécoise dans ma tête devant tant de beauté brutale mais glorieuse. Musique sacrée s'il en est une. 

Quatrième mouvement. L'impression désormais d'être en filigrane des autres, des choses plus grandes que soi, de Mahler et de sa symphonie ressuscitée à travers le travail du maestro, le travail du maître, je suis un observateur privilégié de l'invisible, le messager des dieux me dit des secrets, me pointe des trésors qui me sont destinés. La conviction ensuite d'être dans l'épiphanie propre, avoir l'exclusivité de la révélation : les astres des derniers mois, dans leurs courses, se sont constellés et forment désormais cet ensemble, un repère qui n'est perceptible que pour moi, un repère hors du temps qui commence mauditement à ressembler au bonheur. Les autres autour de moi cessent d'exister pendant plusieurs instants, sinon Francis et notre amitié, sinon l'aura d'Amélie et notre amour. Mais tant de beautés apporte ses douleurs, un autre voile est tombé : je revois la salle remplie des autres, leur réapparition fut brutale, le malheur rôde autour, la tragédie est pas tuable, ça fait tellement bizarre d'aller bien quand tout autour va mal ; entre ce moment et le final, je suis dans les eaux troubles écartelées des contraires, chaque écho donnant sur l'infini, chaque silence donnant sur l'éternité, j'ai complètement habité mon corps, étourdi je dois, un peu, m'oublier totalement et reprendre mon souffle mental.

Avant de sortir de la salle sonné, chancelant mais animé d'une force nouvelle, le final. Retour au calme relatif. Relents de beauté pure. Divague à l'âme. Je sens cette paix inexplicable : être bien et non coupable. Sur la dernière note, longue et lente, comme le début de la symphonie venant ainsi boucler la boucle, Histoirouroboros et roue de Vico, des dieux des héros des hommes, le Wake, veillée et éveil, tout l'essence du monde tous les sens du monde dans un seul mot, le Verbe, l'éternel retour du même, tout va toujours revenir, autant bien l'accepter et l'aimer, Amor fati câlisse, se desserrent tous les tourments avant la fin, les regrets et les doutes persistants disparaissent enfin, tout est plus clair avant l'éclosion du silence transcendant absolument tout, finies les révoltes contre ce qui n'existe pas, on ne peut éviter la mort, celles des autres comme la nôtre, autant vivre le plus possible, vivre vraiment, le fardeau et ses joies de lutte glorieuse. La dernière note longue et lente s'essouffle et finit par révéler toute la puissance du silence à prévoir au moment infinitésimal de la mort à venir. The rest is silence. Ça n'a jamais été aussi vrai. Nous sommes silences. Des bruits qui vivent, brament et se taisent. Toi, moi, l'amitié, la vie, le désir, le passé, les autres, la passion, les adieux, la mort, le deuil, l'amour, l'éternel puis le néant. 

Et c'est parfait comme ça.








































mercredi 12 décembre 2018

(en attendant...)









"Nous attendons de la poésie la même chose que nous attendons d'un amour.

De l'épanouissement à l'infini."

- Michel Vézina, Pépins de réalités




















jeudi 22 novembre 2018














lentement les chaînes        se délient les ailes        repoussent et se déplient        les chants tonnent les langues        des canons en échos répondent aux exigences      dans un automne vaincu        le vent clame et gouffre        la poésie veut sortir du fourreau        secousses et tremblements du sable effacé        une lumière crue sur le fracas du verre        there is something at work in my soul, which I do not understand             des miroirs éteints        les reflets se sont fanés        les ombres s'allongent et avancent        la mue d'une peau aux écailles noires        relents d'un contrejour de brume        des élans sélectifs        avant de défaire les lambeaux      l'hiver arrivé        rien ne naît du néant        tout vient du chaos        même lorsqu'il revêt le masque du vide        des fragments d'abîme        quelques poussières de ruines        créer à partir de morceaux épars        un novembre baroque        les bribes sédimentent        jour de soleil déversé        toujours le faîte dénudé des arbres        le poème se décompose        si seulement l'éclair pouvait durer        mais non la foudre brûle        le soufre aveugle et donne la nausée        jusqu'à épuiser l'encre perlée        
        je m'efforce à désosser le temps































mardi 30 octobre 2018

hasards objectifs - édition session automne 2018


Petit atelier de création surréaliste fait en classe. Le principe est simple: la moitié des étudiants trouve une question, l'autre moitié trouve une réponse ; on mélange le tout puis on pige. Cette session, j'en n'ai bisbaillé aucune! Voici les perles que ça peut donner. Je ne change absolument rien (d'où les erreurs d'accord en début de phrase parfois) ni pronoms ni déterminants, je n'invente absolument rien non plus (d'où certaines répétitions) et je les transcris dans l'ordre où je les ai pigés.

C'est quoi l'amour? 
          C'est les défauts qui nous rendent tous uniques.
C'est quoi la musique? 
          C'est l'essence d'une vérité posée par la subversion des proportions formelles.
C'est quoi l'amour? 
          C'est un cycle qui ne se termine jamais.
C'est quoi la liberté?   
          C'est la rencontre entre la terre et la mer 
C'est quoi la vie?
          C'est la tête qui me tourne en la voyant.
C'est quoi la lumière du jour?
          C'est vivre une deuxième fois.
C'est quoi la raison de vivre?
          C'est le bonheur de pouvoir réfléchir.
C'est quoi une belle écriture?
          C'est l'odeur des fleurs parmi les odeurs qui m'enflamment.
C'est quoi la réponse à la vie, à la mort et tout le reste?
          C'est l'effet de la vie sur moi.
C'est quoi la créativité?
          C'est la simplicité.
C'est quoi tes lèvres dans mon cou?
          C'est un mélange onctueux d'amour et de haine.
C'est quoi l'homosexualité?
          C'est la façon dont nous réfléchissons.
C'est quoi la vie?
          C'est le son du cadran quand je me réveille dans ses bras.
C'est quoi l'âme soeur?
          C'est la passion.
C'est quoi le passé?
          C'est une projection de notre cerveau.
C'est quoi le coeur de l'automne?
          C'est toi mon coeur.
C'est quoi l'amour?
          C'est le parapluie de mes larmes.
C'est quoi le bonheur?
          C'est la noirceur et la lumière et le blanc, et le tout et le rien.
C'est quoi la mélancolie?
          C'est une idée qui peut changer le monde.
C'est quoi le bonheur chez l'enfant?
          C'est la douleur. (ayoye!!!)
C'est quoi une préoccupation pour les êtres vivants?
          C'est passer du temps avec sa famille. (reayoye!!!)
C'est quoi l'intelligence?
          C'est un moment d'extase.
C'est quoi la couleur?
          C'est ce que je veux.
C'est quoi la vie après la mort?
          C'est la buée qui brouille le cadre sans limite des idées de mon être. (bang!)
C'est quoi l'innocence?
          C'est de ne pas pouvoir expliquer pourquoi.










la poésie est là on la crée
























haïkus de course




Joyce a entendu
dans les vagues tous les bruits
de l'humanité



pour les faire taire
Kerouac les a écoutées
à en devenir fou
































































jeudi 18 octobre 2018

impression spontanée





L'inspiration est un mystère, une bête sauvage m'a dit une ancienne étudiante, c'est une inéquation entre soi et le monde. L'inspiration est métaphysique comme les Muses sont mythologiques, celles-ci sont filles d'un Dieu et filles de la mémoire. Les Muses sont les Filles de la Mémoire. Rien de moins... Dans l'aube bouffie, je suis encore tout plein d'une nuit inutile. À supposer que les Muses viennent la nuit, elles me font fausse route depuis quelques temps déjà. Je dois chercher les mythes ailleurs. Je me réveille et me désaveugle. Jour de grand froid, soleil enchevêtré dans les feuilles rouillées des arbres, les branches dansent décharnées. J'ai la poitrine crispée, les mains moites et les jambes boitent, et la peau du visage en lambeaux. Hypnose du fumet du café, je m'installe dans mon espace, dans mon nouveau lieu. J'y avance comme dans un labyrinthe, le même à chaque fois. Les premiers pas sont simples, comme rarement auparavant, j'en connais les premiers détours, j'ai plus de repères que je n'en ai jamais eus. Certes, l'inconnu est toujours là, mais il murmure et s'essouffle, et l'écho de mes appels s'étiole en silence. J'habite un nouveau lieu, un nouvel espace. J'ai quitté ma boîte à chaussures. Là-bas, pendant un an sur deux, j'en aurai braillé de la poésie tuseul devant des murs vierges mais maculés d'indifférence. Des poèmes écrits à l'encre d'alcools lointains, à s'écharder genoux et poings dans le fond du baril gratté, à quatre pattes dans les eaux froides de sentiments pas toujours beaux à regarder, à tailler vainement des vers à même l'opacité des brumes troubles. Je me retourne et relis et tente de relier le tout, pattes de mouches de l'écriture pognées dans la toile du texte, élongation des cursives et cheminement du phrasé, errances occasionnelles dans les ivresses décompensées, circonvolutions courbes et crochets des lettres typographiées ; je m'y prends mal, je recule dans mes souvenirs pour essayer d'avancer, et pourtant, ceux-ci ont revêtu de nouveaux visages que je ne reconnais plus. Tant de face à face avortés. Juste des quintessence de poussières... Le deuil des peaux mortes est fini même s'il continue de s'écrire dans ma face, et je pense que tout est plus clair, si bien que les reliefs, les contours et les détails se font discrets, plus imperceptibles, me laissant devant de nouveaux murs blancs plus dénués qu'avant. J'habite un nouveau lieu, un nouvel espace - vieil appartement à l'âme latente, les essentiels désordres somnolent et j'entends le chaos ronfler, les premiers repères sont les mêmes mais le centre du labyrinthe s'est désaxé - où une nouvelle poésie est à naître, que j'espère plus belle, plus précise, où un nouveau nous est en train de se former. 



























mardi 25 septembre 2018






à l'aube de nouveaux désordres
écrire pendant dix pages
crier à remplir dix jours
et en arriver à ça
      juste ça

              ne pas arrêter
              vivre jusqu'au bout de tout
              emmerder la mort



























































vendredi 21 septembre 2018











mains froides mais vivantes
je lis Bashō en marchant
début d'automne































jeudi 6 septembre 2018







ce silence juste avant le cri
           obstiné où
je n'entends plus les autres
j'écris des lettres qui font des mots
                       qui font des phrases
                    qui font des lettres
                                              que je n'enverrai pas
     des ailleurs en deuil sans le savoir
     bénis d'ignorance

des absences à honorer
parce que la vie est d'hommage 
          faut rester simple dans ses murmures
mais je m'épuise
j'ai offert tous mes passés
          mais tout est discontinué

- le doute tombe
goutte à goutte
sur les fronts communs
l'indifférence divise
      à la hache
disjoints nous sommes
des forêts d'arbres seuls -

je m'épuise sur un moi défait
loin de l'alignement des choses
décentrés des focales de forces denses
         les points de fuite nous désertent

les ciels se bercent
puis l'orage avalanche
au loin l'horizon s'étiole en flammes
au loin s'étend la voie droite
que je laisse à qui la veut bien

je choisis la déroute
j'emboite le pas perdu
          faut mériter son labyrinthe
jusqu'à ce que la vue d'ensemble révèle l'origine

je peux presque voir les mots tomber
          faut rire à la barbe du temps
          qui n'est que brouillon
dans mes broussailles d'encre un peu d'intime
          quelques quintes de tout
et d'ici le prochain souffle
accumuler des haïkus écrits à la lumière de ta poussière

























jeudi 23 août 2018

des choses simples







en plein parc La Fontaine
sous un soleil frais
un faucon est en train
       de déchiqueter sa proie
           - un petit écureuil, on dirait -
       viscères sanglantes dans le bec
       les serres dans la chair
       concentré, indifférent à ce qui l'entoure
              tueur majestueux
pendant qu'une trentaine de passants
      le regardent
               complètement fascinés































vendredi 27 juillet 2018

3369 kilomètres



Fait qu'on a pris la route 155, la route de la St-Maurice, en passant par La Tuque, pour se rendre au Lac-St-Jean, les longs vallons s'étiraient beaux dans l'heure bleue avant d'arriver, Lac Bouchette s'est offerte dans un coucher de soleil magnifique mais aveuglant, tellement qu'on a dû s'arrêter à un moment donné quand il y a eu trop de soleil, je sentais l'horizon du Lac St-Jean juste après la lumière, le lendemain il nous offrirait des horizons à perte de vue à l'intérieur des terres, le Lac serait bien mouvementé, comme une mer intérieure, fait que c'est comme ça qu'on a commencé notre road trip.

Le lendemain, on a vu de ma famille, ma mère rapetisse à vue d'âge pis ça me fait mal, elle a trop d'énergie dans un corps qui suit plus, sur le bord du Lac, devant une eau juste assez frette, on a jasé pis rattrapé le temps perdu, je la vois taire la douleur de son corps rendu chétif qui souffre, plus d'orgueil bien placé dans ma mère de 4 pieds onze que dans tout ceux que je connais, en ce qui me concerne, me semble que plus on vieillit pis plus on aime, sinon la vie fait juste aucun sens.

Ensuite à Alma un deuxième show du Québec Redneck Bluegrass Project en deux semaines, après les avoir vus en grande rentrée montréalaise au Club Soda, on avait la chance de les voir dans un contexte complètement différent, deux membres du band viennent d'Alma pis ça faisait trop longtemps qu'ils n'avaient pas joué là, la crowd était vraiment vraiment jeune, le band était au somment de son art, en cohésion totale, juste assez chaud pour pogner l'instant, c'était un lundi, y'avait plu menaçant en crisse pendant toute la journée mais on a eu le show sec et sauf, Marie-Jeanne aidant, le show fut bien unique, juste à nous, on s'est dit qu'il fallait continuer de vivre les choses comme si c'était la première fois, à chaque fois.

Le but était de partir manger de l'asphalte, jusqu'à pu faim, un char pis une barge de bitume, sauce macadam, après le Lac, les Monts-Valin, le Nord du Saguenay comme l'antichambre de l'immensité du Grand Nord qui se pointe en haut de nous, on est juste capable de regarder au sud, le nord est trop loin et trop grand, on fait deux hikes, un tranquille, l'autre juste assez intense, je ne me lasserai jamais de gravir des montagnes, rendus en haut, elle et moi on se regarde, on dit rien et on se comprend trop, ça va être comme ça pendant toutes nos vacances parce que c'est toujours comme ça anyway, un moment donné, sans faire exprès, elle m'a révélé son plus beau profil depuis que je la connais, un profil où son regard traversait toute, j'ai croqué l'instant, c'est rendu ma photo préférée. 

Après, le Saguenay, post-déluge depuis plus de vingt ans déjà, "T'étais où pendant le déluge?" partout et nulle part que je lui ai dit, on a été chanceux, on a rien perdu, je lui montre tous les endroits importants de ma jeunesse, ceux qui m'ont construit, la maison et le quartier de l'enfance, mon école secondaire (mon école primaire a été rasée), le cégep, l'université, mes premiers appartements, là où j'ai travaillé, etc... Chicoutimi n'est plus ce qu'elle était, enfin c'est l'impression que j'ai, je ne me reconnais plus dans cette ville, je serai toujours fier de mes origines et de ma ville natale, quasiment chauvin même, mais je ne pense plus appartenir à cet endroit, comme à aucun endroit d'ailleurs, et je me demande si c'est une bonne chose, rien ne vaut mieux que bouger dans ces cas-là.

On a vu ma soeur et des amis avant de partir pour la Côte Nord, là où le vrai road trip a commencé, à Tadoussac, on est allé se poser où la confluence des eaux à lieu, là où le fleuve et le Saguenay se rentrent dedans, ensuite on a entrepris notre montée vers le nord, je ne connaissais rien au-delà des Bergeronnes, de là à Sept-Îles, les paysages étaient magnifiques, tantôt à flanc de falaise, tantôt à flanc de montagne, on a écouté de la musique à en avoir de la corne sur les tympans, tout le meilleur du kéb et du classique, c'était beau et prenant et fort, je l'ai regardée, amoureux, et je l'ai vue amoureuse, comme rarement je l'ai vue, les heures changeaient, s'acclimataient à son visage et dessinaient sur lui de nouveaux phares, dehors, la route était sinueuse à souhait, mais c'est elle qui nous épousait.

Après un show de Galaxie à Sept-Îles tout ce qu'il y a de plus percutant, encore fébriles et plein d'énergie, on est parti vers Natashquan, on s'est enfoncé en plein dépaysement, on avait quand même observé, entre Baie-Comeau et Sept-Îles, le délabrement des lieux, sur les routes, on a l'impression que les maisons périssent et meurent, pourrissent un peu ayant vieilli prématurément, secouées un peu trop fort par le vent, dans une région négligée où nos bons dirigeants brassent pu grand-chose, ça nous a rentré dedans quand même, ensuite, vers Natashquan, ce qui m'a secoué, c'est l'aridité des landes, la pessière et le début de la taïga, les baies à marées basses, les humains amarrés bas, toujours prêts à partir, au loin ou pas, sur le fleuve, et nulle part ailleurs, où le regard s'épuise, le fleuve qu'on a vu toujours retiré au loin, tantôt séduisant, tantôt agaçant, mais jamais furieux, alors que j'avais trop envie de voir sa violence, mais non, dans les baies, le sable respirait en attendant, dans un calme sur lequel ventait le froid.

"Dans toutes les toilettes des femmes, il y a des pubs dénonçant la violence conjugale avec des numéros où appeler", qu'elle m'a dit à un moment donné, j'avais pas idée que ce fléau touchait la région, et ça m'a fait mal ça aussi, ça m'a rendu triste, la région se meurt, sans le tourisme et Hydro, elle serait déjà morte, les heures de gloire de la pêche sont bien loin derrière, entre Natashquan et Kegaska, j'avais le sentiment de rouler sur une route gravelée d'injustices et d'inégalités, discrètement on a fait l'étalage de nos hontes et de notre culpabilité héréditaire en tant que nation colonialiste, les réalités des autochtones nous happaient, on s'est senti vraiment mal, le long de la route s'accumulaient les beautés tristes, les épinettes étaient maigres, dans les vapeurs et les nuages, des paysages découpés aigus d'épinettes effilochées et dégriffées, ça a sorti comme ça dans mon carnet, le Québec est une belle province pleine de routes tristes.

Aller jusqu'au bout d'une route, c'était ça qu'on voulait, pourquoi? je saurais pas dire, juste aller au bout de quelque part, juste avant Kegaska, les nuages s'affaissaient sur la taïga, tout semblait stérile, à force de faire du char, des fois tu te demandes pourquoi tu vas si loin, mais ça n'a plus d'importance, une fois arrivé là-bas, ils étaient au ras du fleuve rendu golfe, les nuages étaient rendus si bas sur l'eau qu'on les goûtait, c'était frais, clair et vif, aucune odeur, mais je peux dire que dans ma vie j'ai goûté à un nuage, pis ceux qui me croiront pas, ben c'est parce que ça ne leur ait jamais arrivé encore, on a trempé nos pieds dans l'eau étonnamment chaude, placé nos mains sur la pancarte "route 138 fin", pis on est reparti avec le sentiment du devoir accompli, c'était un devoir un peu absurde, mais on a eu A+, on a trouvé du calme dans notre chaos.

Fait qu'on a fait demi-tour pis on a recommencé à revenir chez nous, encore plus sereins, pendant tout le long de notre road trip, elle et moi aurons été sur la note, synchros, j'aurai pas vu le fleuve en maudit, mais je vais avoir vu là où l'horizon rend la route miroir et où son reflet s'assèche et s'évapore à mesure qu'on avance, on aura bu les meilleures bières du monde, plus de soixante, avec tous les parfums et saveurs inimaginables typiquement d'ici, ça fleurait bon les épices sauvages, on aura senti de l'orage pis de la mer à en créer de nouveaux souvenirs, pis des plus beaux à part ça, on aura survécu aux légions d'estie de mouchetiques (y'a pas de faute ici), on aura écouté de la toune d'amour à nous loader de rêves et d'espoir, j'aurai été capable de faire un peu de ménage dans ma tête, mon coeur et ma vie... et je suis désolé si mon amour n'a pas les formes simples des chansons qu'on écoute, s'il s'exprime selon les détours confus de mon esprit assoiffé de toi, mais sache que ton coeur qui bat sourd dans le silence des kilomètres avalés, nos sourires complices et mes regards qui peinent à s'épuiser sur l'infini de ton corps ne sont que les pauvres mais ô combien vraies métaphores et conjurations étranges de mon coeur amoureux de toi.


































samedi 21 juillet 2018

réouverture temporaire - haïkus à Mélie



de petits mots denses
désamarrent les encres
les ancres volent et dansent
     _____

la route m'avale
me recrache auprès de toi
couronné d'étoiles
     _____

aller dans le jour
une émotion à la fois
au bout de nos vies
     _____

au bord de la route
nos fantômes font du pouce
mais le char est plein
     _____

la lumière verte
sur le cuivre de tes yeux
des diamants sauvages
     _____

attiser la nuit
pour amoindrir nos violences
et s'aimer enfin
     _____

de fausses promesses
d'orages - la lune nous
sourit dans le soir
     _____

j'ai espoir en nous
les prémisses du sommeil
dissipent nos peurs
     _____

je peine à trouver
l'animale que tu es
tu es en plusieurs
     _____

le lierre aviné
de l'ivresse grimpe sur
nos tendres tristesses
     _____

la pluie sur la tôle
le vent dans les fleurs sauvages
ta beauté nacrée
     _____

on garde nos larmes
pour ces instants de joie
que le soleil jalouse
     _____

elle était toxique
la muse des mauvais sorts
toi tu es magique
     _____

accorder les heures
où je me déploie en toi
poussé par un souffle
     _____

de sueur fanée
le pouls de l'aube se pose
léger sur ton sein



























jeudi 5 juillet 2018














La chaleur dans les chairs. Dans la canicule, les gyrophares chantent. Les sirènes n'ont pas toutes des queues de poisson. Ça ne pouvait qu'imploser---ou pas---dans une déflagration d'images de songes éclatés de lumière sombre. Des brèches, des failles et des plaies où pulsent d'obstinés souvenirs rampant comme lierres trop touffus, où poussent les grappes des alcools d'hier. Trop de mots, trop de lettres, écrites ou non, lues et relues, envoyées ou non. Être en manque de correspondance. C'est la faute à Jack Kerouac. And his madlongletters pleines de flamboyance. Surtout celles au tournant de 1950-1951 lorsqu'il vient de découvrir sa façon d'écrire, quatre mois avant l'état de transe qui amènera On the road, lorsqu'il sait qu'il doit trouver le It qu'il fera chanter dans toutes ses oeuvres à venir. Lire et constater et voir---lettre par lettre, les unes après les autres---la voix de Ti-Jean naître, parce que the voice is all... Sentir que dans certaines lettres, c'est à moi qu'il écrit et personne d'autre. 
    Écrire à défaut d'aller voir son monde. Ça ça ferait changement. Mais encore là, pas le temps. Dans la catégorie des poèmes du quotidien un peu niaiseux : prendre le temps/de faire les choses. On pourrait ajouter "défaire les choses". Parce que tout est toujours faire ou refaire, ce qui équivaut à défaire ce qui était---et on parle même pas de parfaire. Mais pas le temps---étrangement. Se sentir en dette, comme si je devais quelque chose à tout un chacun. (Y'avait huit rencontres à avoir, des bières entre amis, connaissances et esprits, j'en ai eu deux, j'en ai relancé trois, qui pouvaient pas ; j'ai bu à la santé de tous.) 
   Écrire à la place? Prendre le temps de faire les choses. (Je devrais mettre à exécution mon désir d'écrire une lettre à personne et à tout le monde, à soi et à autrui, mais sans superadressé. En fait sans autre superadressé que celui qui ne l'a jamais été, que celui qui n'existe pas---Yes, the "mysterious reader") Cinquante pages de notes not nuts manuscrites non retranscrites à accumuler les haïkus, à lettrer les épiphanies comme on chiffre l'univers, à lire les ratures, à grappiller citations de Joyce, Pessoa et Kerouac qui constituent la quasi-entièreté d'une attention, plus que singulière mettons, depuis beaucoup (trop?) de temps déjà---Dois-je me surprendre être intrigué par les mythes à ce point? (Là-dessus, chapeau Fernando! La palme du lucide te revient : Myth is the nothing that is everything. Bravo Personne! (Non, mais tsé...)) Cinquante pages à la calligraphie changeant selon le temps, l'émotion et l'espace, finding patterns into chaos that shouldn't be there. Dois-je me surprendre que toutes questions et hypothèses ou réponses s'accumulent tout le long droit de pages obliques pour en arriver à la fin du carnet à cet unique mot écrit en grosses lettres : INTIMITÉ---??? (depuis beaucoup de temps déjà)). Mais quoi dire. Le serpent siffle : "Tous ces cents vicieux secrets!" Quand l'in- devient l'ex-. Cinquante pages de notes à partager à parsonne. À part faire. À parfaire.
   ---Peser sur pause un peu. Prendre le temps. Savoir le faire. Savoir. Savoir-faire. Savoir-vivre. Savoir vivre. Vivre. Peser sur pause pour quelques temps, question de le retrouver et le prendre. Écrire le temps. Kerouac : "And anything I write from now on is my own business and my own possession and I have no fear that it will be useless." Ça semble si simple. Tout accumuler l'inutile jusqu'à ce qu'il s'avalanche, blanc sourd et noir criard (ou l'inverse) de mots enrobant le silence seul---un silence pour chacun, pour chaque mysterious reader, jusqu'à épuisement des stocks.
    D'ici là, je serai fermé pour rénovations.
    Je suis parti manger de l'asphalte.
    Je suis parti embrasser le frette.



























jeudi 21 juin 2018

épiphanie









En fin ; à l'esquisse du seuil, la solitude tremble. Esseulée souffrance du leste sur l'étang, l'eau ridée d'algues lentes. Sur le fil la surface perle de soufre, les sexes s'y noient telles des douleurs de vies passées et longues. Lésés ceux qui attendent le diamant du phare dans l'ombre. Mémoires et souvenirs, blasées les veines s'avèrent. Les moires tissent les nues araignées du ciel. Nuages coagulés de poussières blanches. Une brèche rouge orage s'ouvre. Le songe visse la flèche dans la plaie, sans consteller de l'astre mort où s'éploie le vaste affreux. La chute juste avant l'action. Furieuse, dans le golfe fiévreux des tombes. Est utile pour scruter les augures horribles dans le fluide des heurts. Esquisse à l'enfin du seuil, le chant du possible ; une danse, juste avant l'envol des beautés paisibles.




















dimanche 10 juin 2018

Esthétique de l'artifice




"La vie nuit à l'expression de la vie. Si je vivais un grand amour, jamais je ne pourrais le raconter. 
Je ne sais pas moi-même si ce moi que je vous expose, tout au long de ces pages sinueuses, existe réellement, ou n'est qu'un concept esthétique et faux que j'ai forgé de moi-même. Eh oui, c'est ainsi, je me vis esthétiquement dans un autre. J'ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d'une matière étrangère à mon être. Il m'arrive de ne pas me reconnaître, tellement je me suis placé à l'extérieur de moi-même, tellement j'ai employé de façon purement artistique la conscience que j'ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité? Je l'ignore. Je dois bien être quelqu'un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c'est - croyez-le bien - pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j'ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je vivais, je me détruirais. Je veux être une oeuvre d'art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l'être dans mon corps. C'est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches - où mon artificialité, telle une fleur absurde, puisse s'épanouir en beauté lointaine.
Je songe parfois combien il me plairait, unifiant mes rêves, de me créer une vie seconde et ininterrompue, où je passerais des jours entiers avec des convives imaginaires, des gens créés de toutes pièces, et où je vivrais, souffrirais, jouirais de cette vie fictive. Dans ce monde, il m'arriverait des malheurs, des grandes joies fondraient sur moi. Et rien de tout cela ne serait réel. Mais tout y aurait une logique autonome et superbe, tout obéirait à un rythme de fausseté voluptueuse, tout se passerait dans une cité faite de mon âme même, qui s'en irait se perdre sur un quai le long d'une baie paisible, bien loin au fond de moi, bien loin... Et tout cela net, inévitable, comme dans la vie extérieure, mais aussi comme une esthétique du Soleil."

~ Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

***

après ça, il faut
partir et vivre et
recomposer son cerveau



















mercredi 30 mai 2018

(en correction)






(...

cette musique electro
comme le son d'une chaîne de montage
fabriquant des humains

une copie, Tagore, une copie,
Tagore, une copie, Tagore,
une copie, Tagore, une copie...

...encore et encore
et encore et encore et
encore et encore...

Forêts et L'Offrande lyrique
deux fois cent trois fois
poèmes et dissertations critiques


en attendant
dans les jours diaprés
l'odeur de bois de rose
de ta chevelure
                          inouïe

                                       ...)
















jeudi 24 mai 2018

sonnet




au seuil des solstices où les saisons se dérobent
se révèlent en silence les spectres de jadis
leurs ocelles me rappellent que tu existes
belle comme comète en parade de robes

avant les heures aiguës où les monstres s'éveillent
comptant les étoiles que les rêves replient
je dois te quitter vers les néants accomplis
car je vis malgré moi à l'écart du sommeil

seules muses accumulées en de strates songes
des sueurs froides à mon front que leurs lèvres épongent
quand les constellations télescopent les rythmes

le vin est triste hélas et j'ai bu l'océan
jusqu'à sentir le sang sur la langue des mythes
je m'obstine à apprendre la geste du temps















jeudi 17 mai 2018




"I'm writing this book because we're all going to die---In the loneliness of my life, my father dead, my brother dead, my mother faraway, my sister and my wife far away, nothing here but my own tragic hands that once were guarded by a world, a sweet attention, that now are left to guide and disappear their own way into the common dark of all our death, sleeping in me raw bed, alone and stupid: with just this one pride and consolation: my heart broke in the general despair and opened up inwards to the Lord, I made a supplication in this dream."

~ Jack Kerouac, Visions of Cody




























mardi 15 mai 2018

Énumération





LaSalle, les murs murent beiges, le silence enfermé bêle, la classe elle sera désertée tout l'été, la classe, l'élégance vraie ou fausse, artifice ou apparence, le jour s'affaisse, la salle de classe sans fenêtre, le plafond suinte, les cerveaux pensent, ça passe ou ça casse, le maître s'y lance, tranquille, penchée la plainte est lente, les crayons dansent dans les airs, leur jeunesse, jalouse leur insouciance, fureur et mystère, latence dans le désordre du sang, des souvenirs de baises adolescentes, les étincelles s'éteignent sur les déserts, s'allongent les contingences, les cheveux s'effilent le long des danses, les secondes pleument, tracent l'apparat, éloignent le sable du verre, être pris dans un feu jeune, boire pour l'éteindre, attendre ou passer l'étreinte, souffler sur les braises, des poussières de lèvres oubliées sur les pierres, jeûnes, des fossiles d'haleine, baiser le soufre, accepter les parfums de l'enfer avant d'y être, pauses lascives dans l'airain des hanches, hantées les mains posées sur les courbes, boire tous les tannins de l'ambre, son ventre de lierre rongé, érosion de ses yeux d'un bleu prière, repères, d'yeux à s'y prosterner, déferlement de la gêne en microéclosions des rivières, vaisseaux, éteintes toutes lumières, délié mon sang veut sortir de sa peau, vie et mort se côtoient dans la patience des os, extirper la moelle et la tailler en microbloc de mots, the old void's still get it in him comme l'a si bien dit Ti-Jean, sonder l'ouroboros jusqu'au charme, tous les serpents se mangent, s'entredésirent, délire et beauté des splendeurs atroces, ce n'est qu'un infime moment de tous mes déserts, un instant à se perdre, un rêve, c'est fou ce que le néant fait n'être, lames de visibles éclairs qui scintillent sales, et des larmes à la paupière des anges, c'est fou ce que le néant fait naître.


















lundi 30 avril 2018

haïkus de jours rapaillés





tailler des poèmes
à la hache dans le ventre
épais des nuages
     _____

des mots arrêtés
pour chaque frisson
toutes nos glorieuses fièvres
     _____

tu me décapites
toi si belle émotion
à fendre tous les troncs
     _____

déchirer des lettres
comme on déchire du temps
cris de feuilles mortes
     _____

lascif et bouillant fleuve
un lit poisseux de stupre
perlé de lumière
     _____

les parfums s'éloignent
dans la nuit gisent brûlures
et rêves blessés
     _____

ciel de cendres grises
l'aube indifférente annonce
un jour sans pitié
     _____

un noeud à délier
le vent libre du silence
naissance d'un bruit
     _____

nous nous sommes faits échardes
pour mieux goûter
la pulpe sous nos peaux
     _____

pour une raison simple
tu me donnes envie
de mieux nourrir mon âme
     _____

ceinture le chaos
des vies renaîtront
sur de pareilles courbes
     _____

affronte la nuit
va voir ce que demain
brisera du passé



























mercredi 25 avril 2018

juste un passage parmi tant d'autres



"Narratives are the way we make sense of the world. We parcel existence into events and string them into cause-and-effect sequences. The chemist comparing controls and variables and the child scalded by a hot stove are both understanding the world through narrative. Novels are important because they turn that basic conceptual framework into an art form. A beautiful narrative arc reassures us that the baffling events around us are meaningful---and this is why Ulysses appeared to be an instrument of chaos, an anarchist bomb. Too disrupt the narrative method was to disrupt the order of things. Joyce, it seems, wasn't devoted to reality. He appeared to be sweeping it away.

If you were a modernist---if you believed the order of things was already gone---you thought differently. T.S. Eliot defended Ulysses by objecting to its critics' premise. Life in the age of world war was no longer amenable to the narrative method, and yet Ulysses showed us that narratives weren't the only way to create order. Existence could be layered. Instead of a sequence, the world was  an epiphany. Instead of a tradition, civilization was a day. The chaos of modernity demanded a new conceptual method to make sense of the contemporary world, to make life possible for art. And this is what Ulysses gave us."

~ Kevin Birmingham, The most dangerous book : 
the battle for James Joyce's Ulysses














lundi 16 avril 2018







Un soir de blond perlé, de bleu et de poivre sombre. Au loin les éclairs se lamentent de ne pas naître, de ne pas être de nouveaux tonnerres frappant, l'annonce d'un nouveau printemps aux courbes longues. Tout s'estompe. Côtoyer les parfums, épuiser les odeurs des absences, la brutale chimie des anges de nuit. You are the memories. Les contours des corps font les souvenirs qui traînent dans les peaux mortes gisantes des suaires. Des sueurs épuisées. Des souffles défilés. Désert(s). Au fond de la nuit, les rêves aveuglent en cathédrale de lumières. De voix fanées, l'écho fuit les combats, le nu déstructure. La pulsation attise la nuit altérée de grands froids - promesse fausse d'une saison sur les peaux épousées qui tremblent, les lits attendent leur rivière - mais rien ne sourd quand le vent chante dans les clochers vides et se perd.
















lundi 9 avril 2018

















les silences s'immolent
en nuits confuses de ciel violé
de jets d'étoiles
s'étalent sans cesse et marquent
violets les minuits denses
les heures se dissipent et pansent
des pierres dans le regard jetées
un silence si mol
et lentement s'étiole la ténèbre
et sur le charme défait dansent
des déchets de siècles et d'étoiles





















samedi 31 mars 2018

(pour un ami)




"Je vis toujours au présent. L'avenir, je ne le connais pas. Le passé, je ne l'ai plus. L'un me pèse comme la possibilité de tout, l'autre comme la réalité de rien. Je n'ai ni espoirs ni regrets. Sachant ce que ma vie a été jusqu'à maintenant - c'est-à-dire, si souvent et si largement, le contraire de ce que j'aurais voulu -, que puis-je prévoir de ma vie future, sinon qu'elle sera ce que je ne prévois pas, ce que je ne souhaite pas, et qu'elle m'arrivera du dehors, parfois même par le jeu de ma propre volonté? Rien non plus, dans mon passé, que je puisse me remémorer avec l'inutile désir de le revivre. Je n'ai jamais été que la trace et le simulacre de moi-même. Mon passé, c'est tout ce que je n'ai pas réussi à être. Même les sensations des moments enfuis n'éveillent en moi aucune nostalgie : ce qu'on éprouve exige le moment présent ; celui-ci une fois passé, la page est tournée et l'histoire continue, mais non pas le texte. 

Ombre obscure et fugitive d'un arbre citadin, son léger de l'eau tombant dans un bassin plaintif, vert du gazon régulier - jardin public dans le semi-crépuscule -, vous êtes en ce moment l'univers entier pour moi, car vous êtes le contenu plein et entier de ma sensation consciente. Je ne désire rien d'autre de la vie que la sentir se perdre, au long de ces soirées imprévues, au milieu d'enfants inconnus et  bruyants qui jouent dans ces jardins, confinés dans la mélancolie des rues qui les entourent, et couverts, au-delà des hautes branches des arbres, par la voûte du vieux ciel où recommencent les étoiles."

~ Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité











jeudi 29 mars 2018

qu'esquisses passent



---lorsque le temps s'évade, quand l'on court plus vite que le jour et que sous un ciel de lumière froide, un soleil sans nuage annonce une saison de taille---quand les princesses de souvenirs affranchis dorment depuis tant de temps déjà (et quand seront-elles baisées par les printemps jaloux? est-ce qu'ils viendront déposer leurs fleurs sur leurs lèvres tendres?)---comme si les notes avaient remplacé les mots, rien que de la musique instrumentale, intrus mental, lecture jazz tantôt sur fond baroque tantôt sur déchaînement symphonique, n'entendre que des voix pluriels, et des échos (peut-être)---la grâce du moment saisie et la fatalité de l'oubli perlé de poussière stérile et lente---marmonner à chaque minute de lecture libre les Visions de Ti-Jean, sadmad poet du déferlement, je sens venir la tristesse et elle sera énorme, de celles qui terminent une vie, craindre l'effondrement à chaque minute insondable du jour texturé d'heures---la nuit est sa femme et vient d'arriver, une seule lampe allumée dans la chambre rouge, sueurs des peaux dans l'air, images violentes de la fusion des sexes, sucres des pulpes goûtées juste avant l'étiolement des mémoires, quand la lumière lustrée de mars baigne encore l'éclat des chairs, à quelques frissons de l'abandon nécessaire au naufrage---des particules flottent imperceptibles tout est serein à l'orée du rêve, sentir venir cet amas de nuit, les formes et les reliefs tout d'ombres mal découpées, c'est---quand la ville désertée des sorcières lance de tout autre charmes devant de nouvelles puissances, frileuse devant l'autorité du calme regagné---le silence qui tranche à chaque battement de sablier et qui dessine cette soirée en apparence banale mais qui commence à définir tranquillement sa substance où tu regagneras ta mue, ton île---qu'est-ce qui se passe lorsque l'on choisit de refuser l'ailleurs pour s'en remettre aux routes infinis du cerveau et lorsqu'il ne suffit que d'un feu de braise pour rendre la parole amoureuse volcan?






















vendredi 16 mars 2018






la lumière coule à la commissure des yeux
des larmes auréolées de rayons d'hiver
les mots jetés se fanent aussitôt il faut
     respecter le silence

sur ses joues froides naissent des rougeurs
elle semble désormais si fragile
on s'échange un regard tendre
     (il y a la mort qui traîne
      en l'arrière-plan des choses)

un sourire faible au bout de pleurs ravalés
ses yeux qui brillent quand même - toute mon impuissance -
elle marche à côté de moi, dans un autre jour déjà
je parle, ne sachant pas me taire
puis me tais, ne sachant pas parler

ses yeux regardent plus loin que le regard
elle égraine le passé, un souvenir à la fois
ses mèches roussies de soleil sculptent les reliefs du vent
elle marche, elle avance
     insondable
     elle est une force qui va

je la devance un peu et lui offre mes pas
- qu'elle emboîte sans réfléchir  -
et je me retire pour mieux
     respecter son silence

















jeudi 22 février 2018






quand la ville n'est
pas assez bruyante
pour enterrer tous les cris
     _____

entre l'éclat et
l'éclatement s'ouvrent
les beautés des failles
     _____

asphalte mouillé
ce parfum salé entre
l'hiver et le printemps
     _____

l'ombre nouée des cordes
vibre par éclairs
par secousses muettes
     _____

errant seul spectres
et nuages fous persistent
en spectacle de cendres
   










































mardi 13 février 2018

flashs



Murs des toilettes archi-graffités - le plus souvent des tags illisibles, des niaiseries et des banalités, et quelques rares traits d'esprit ici et là qui font tantôt sourire tantôt réfléchir - puis repeints encore, quasiment à chaque mois. "Les écrits restent"? Pas tous, dans des toilettes crades d'un bar hipsto-bohème sur Sainte-Cath, certains disparaissent sous des couches de solvant.

*

Après sa bière, un homme assez âgé - un original - m'interpelle : "Avez-vous remarqué? Toutes les femmes ici ont un front assez dégarni, c'est un signe d'intelligence." (Phrénologie? Peut-être est-il plus âgé qu'il n'y paraît.) Il quitte sans attendre de réplique. Et la fille à côté replace sa tuque avec un sourire malaisé.

*

Vers 17h, on annonce un band (se présentant comme du punk-folk) qui s'appelle Spatül. Le band commence à monter son kit. On voit le drum, on craint trop de bruit donc on change de place, on s'en va dans le fond du bar. Finalement, sont pas punk pantoute, c'est un superbe trio jazz; au lieu de tout décrisser, ils ne font que construire une magnifique ambiance.

*

À la table d'à côté, un cliché ambulant : l'étudiante en philosophie de l'UQAM. Elle parle sans arrêt.  Non-fucking-stop. Elle a environ 21 ans et elle chie sur Kant. Ce sont ses mots. J'essaie d'écrire verbatim ce qu'elle dit : "On ne peut pas imposer l'intellectualité masculine à l'intellectualité féminine je ne me considère pas comme une femme selon les standards sociaux de la féminité blablabla..." Je toffe même pas une phrase. Je soupire fort tuseul dans mon coin, si bien qu'elle se retourne, avec toute l'arrogance de sa jeunesse dans le regard, puis continue ses tergiversations (c'est le meilleur mot possible dans le contexte).

*

Après le départ de l'ami, je change de bord de table, question de voir un brin ce qui se passe, question de ne plus avoir que les reflets flous renvoyés par cette tapisserie aluminum sur les murs qui, je le constate, sont complètement immondes. Il y a du monde mais la pièce est vide, sans écho, comme si y'avait rien au-delà du visible; ça pue le connu à plein nez.

*

Sur ma table, une pinte de rousse cheap, mon cours à venir monté ficelé solide, 1000 pages de poésie québécoise et ce livre du mammouth laineux racontant des héroïnes oubliées par l'Histoire. Cette Amérique bâtie guerre sur guerre, dans une suite de génocides ignorés. Le passé a une odeur de sang.

*

La fillosophe de tantôt n'arrête pas, c'est lourd, très lourd. Son pauvre interlocuteur peine à placer deux phrases. Elle est insupportable et ce qu'elle dit est remarquablement abscons. On peut presque entendre les mouches non-consentantes dénoncer, avec raison. J'ai juste envie de lui lâcher un "ta yeule" bien senti. Mais je dois être plus bienveillant, je m'emmure donc dans le silence et je pars...

... Je traverse Berri, dans la station de métro, un junky se shoote live devant tout le monde, la masse arrive en troupeau de la ligne verte et s'engouffre dans une autre artère souterraine - qu'est-ce que je crisse icitte? Je ne vois plus rien. Sauf ses yeux, son sourire.

... Avec cette estie de toune-là dans les oreilles qui ne mourra pas de sitôt (majestueusement intitulée La fin du monde, du très singulier Philippe Brach) : 

Le calme a pris la place du froid
La mer a marché sur les toits
Si les anges ont rendu l'âme
Si les murs s'effondrent à même l'espoir
Si le soleil parle pour la dernière fois
Je veux crever 
Dans tes bras
Avec toi 
Ô toi

Les kamikazes ont perdu la foi
La misère des hommes s'en va
S'en va
Si l'enfer a levé l'encre
Le passé, signé sons testament 
Si enfin les bunkers et les îles se meurent Prends-moi
Dans tes bras 
Avec toi
Ô toi




















samedi 3 février 2018

n'importe quoi (ou presque?)


J'aimerais écrire un texte-monstre où s'incarneraient toutes les peurs puériles et les angoisses sublimées. Inconfort du gravats qui trainent dans la mémoire et des oublis sédimentés : quand la récollection des faits souffre de ce que la poussière endort (paraitrait-il que les souvenirs n'ont pas tous la même importance). Le temps d'un dernier verre de vin ou d'une chandelle qui flambe. 

À cet égard, les regards fuient l'objet inanimé. D'une certaine façon, les choses (lorsque qu'on les considère dans leur plus simple définition, objectives) semblent dénués de transcendance comme d'immanence : des matériaux stériles qui ne prennent vie et sens qu'à travers le prisme de notre perception (donc déformés). 

À cet égard, encore, trois chandelles sur une table remplie de livres. Malgré tous les trésors qu'ils recèlent, ils ne sont rien sans lecteur, comme le verre n'est rien sans l'alcool - bruits du pied de la coupe sur la table, le schiste du vin rouge, celui-ci a quatre ans, il décide de l'aléatoire de l'ivresse. Tout est inanimé. Sauf le vin, sauf l'encre (même si elle meurt si rapidement) et, surtout, sauf la flamme. Lorsque l'on contemple une flamme, l'ennui est impossible : sur le fin contour du feu, ce sont les atomes du temps qui crépitent, ce fameux temps présent

(Le silence est presque complet, l'atmosphère est quasiment sold out ; je m'imagine à croire que le connu est en rupture de stock. Ma pensée fixe le focus de ma curiosité. (Un drone peu souhaitable vient perturber la solitude ; un bruit qui me rappelle les machines partout autour et, surtout, le froid dehors : j'ai toujours détesté février, allez savoir pourquoi (sans blagues, allez-y, sachez!)))

Sonate silencieuse en seul bémol. Un repli nécessaire qui matérialise, qui palpabilise les parties cachées, tous ces moments dont chaque jour a le secret... Spleen du samedi ou hermétique lucidité? Tout fait suite au dialogue : encore une fois, et c'était encore une excellente fois, Dornier et Bibi se sont attardés à épuiser le possible. Le thème de départ : qu'est-ce qui constitue le Moi? Le préambule à cette discussion (sens vs ressentir vs réalité vs temps présent) aura duré trois heures (ou son pendant d'alcool, mais c'est pas grave, sont en mode jedi). Des conclusions? Pas vraiment non. Des hypothèses? Plusieurs. À commencer par celle où le réel n'existe pas en-dehors de la pensée. Erreur, je nuance : celle où le réel existe, mais vraiment juste un tout petit peu. Tout passe par nos perceptions, nos interprétations et notre vocabulaire (pour matérialiser tout ça dans notre imagination, à l'écrit et à l'oral), ce distillat de nos pensées. 

Exemple (ce n'est pas le mien). Au parc La Fontaine, en plein juillet, une fille passe en même temps qu'un coup de vent chaud caresse sa cuisse, relève un peu sa jupe qui révèle un peu de sa précieuse peau. Au loin, deux témoins de la scène, deux interprétations gardées pour soi (ou partager), deux réalités qui n'existent que dans l'obscur onyx de leur cerveau. Deux options : un ; la parole tue le présent, comme si la révélation ne pouvait être unanimement ressentie de la même façon sans manifestation expressive, comme si elle ne pouvait être vécue à plusieurs tout en étant objective, ou deux ; le silence complice (ou pas). L'Idéal serait que l'Un et l'Autre sachent communiquer ou plutôt communier dans un mutisme (donc là où le réel ne serait transgressé par la parole) assujetti aux pouvoirs de l'épiphanie. Le but est de vivre le moment en retrait, pour laisser passer un peu de présent à l'état pur, dénué de tout, pour en ressentir, sans que l'Autre nous en empêche, sa plus spectrale mais pénétrante immanence : cette seconde pouvant devenir une éternité. 

On n'a pas réussi à épuiser le sujet finalement. Les perceptions ne peuvent être intuitivement collectives, cela prend toujours un consensus, et qu'est-ce que le consensus sinon la domestication (donc le refus du laisser-être, cette propension crasse) des coïncidences, du hasard, de l'intuition justement, et de la poésie? Mais je m'égare, ou encore pire peut-être, j'erre... quel luxe qu'hélas (à quelques maigres exceptions) l'on ne se paie plus. (En plus, le vin est mort - mais quelle belle mort! - Vive la bière! Un chin dans le vide comme une perle de silence... et le temps d'un instant, d'un tout petit instant, entre deux souffles imperceptibles, entre deux pas de flamme, j'ai presque cru entendre une larme).

Puis longe un relent de poèmes : Je me noie là où l'eau devient bleu (autant dire partout, misère et corde...) ou là où l'eau devient boue ??? Et cet étrange aphorisme qui sort de je-ne-sais-où : Quelle chance, à l'âge adulte, d'avoir une vie débordante de vide! Ça devient une symphonie, ce silence!... Non, on ne parviendra pas à épuiser les possibles. Donc. Que reste-t-il? La solitude? La fuite? La mort? ("Pourquoi tant de drame? Surtout lorsqu'on peut concilier tout ça dans l'Art", de s'exclamer un surmoi quand même alerte.) Et certaines voix s'élèvent avec force. Musil, Kerouac et Pessoa, toute cette humanité. Et toute cette poétique absurdité! Ce ne sont plus des livres, ce sont des manifestations de l'esprit - inanimées, mortes et éternelles - revivant à chaque page tournée. À travers leurs contradictions, tout au long de leurs longues digressions (mais c'est bien ça tout ça non? (ce qu'on ose appeler la vie?), de longues et lentes digressions... Quitter le sujet pour mieux y revenir...), que des dialogues lus, lus seul avec soi-même. Parce que seuls, nous le serons toujours. Fuyants? On ne fait que déraper sur le temps. Morts? Un peu plusoumoins à chaque pas. Quel sublime pensée de constater - ô paradoxe! - que la vie n'est qu'une poche de pleins dans le tout-vide de la mort... (coudonc, encore une fois, j'ai presque cru entendre une larme, les murs de ma boîte à chaussure sont vraiment minces et mon voisin est triste)... Mais non, y'en n'a pas de larmes, parce que de toute façon, tout ça n'existe pas, le réel non plus et, une fois terminé, ce texte aussi n'existe plus. 
Comme les monstres, d'ailleurs.
















lundi 29 janvier 2018









une conversation de regards
comme un dialogue de sourds
la vitre floue comme seul point de fuite
les pensées noyées de larmes à l'envers
les yeux tremblent et puis hésitent
la valse trouble d'un bal de paupières
sur le tableau de bord le coeur lourd
à un virage sec de tomber à terre
mais ils s'enlignent au halo des lueurs
celles à venir leur donneront raison
la vitre devient nette et le soleil en rayons
se recompose dans le prisme des heures
où lentement complices se retrouvent les repères








vendredi 26 janvier 2018




à la tilivision
à la toute petite vision
dans une émission consacrée à la littérature
l'animatrice et l'écrivain invité
boivent du mousseux cheap
assis en tailleur sur un lit blanc
dans une chambre maculée de blanc
un bol de fraises en premier plan
bien visible
.
.
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je vais continuer de faire
des haïkus pis des sonnets pis d'autres poèmes
tuseul dans ma boîte à chaussures






























dimanche 21 janvier 2018





Mon réveil ce matin fut comme une lente plainte; le prolongement du souffle de ce que mon sommeil n'a pas souffert de rêve, et tout n'est qu'ennui dans les premières lueurs grises du jour. Je ne sais plus regarder en-dehors de moi. Hier soir encore, vaine tentative de people watching qui n'aura même pas duré cinq minutes; le désintéressement, l'incapacité de sonder l'immanence des êtres à l'apparence tyrannique et mon échec à me comprendre comme sujet dans cette relation assujettie au simple regard unilatéral m'ont rapidement fait décrocher. J'ignore ce que je risque à me défaire des autres pour me plonger dans ma solitude et tenter de polir les aspérités de mon Moi. On pourrait m'accuser d'être égocentrique (parce qu'il faut immanquablement être coupable de quelque chose), mais je ne saurais m'identifier à pareil trait de caractère puisque je sens mon centre vaciller en-dehors de son axe (si telle chose existe; serait-ce cet idéal de soi que tout un chacun est supposé avoir) et je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas rapporter les choses à moi parce que je suis absent lorsque la balle revient, toujours pris dans un constant clair-obscur, je deviens une cible floue et tous les miroirs que l'on m'offre (miroir réel, les livres et l'art en général, les regards des autres, ce texte même que j'écris) m'envoient des reflets inversés, déformés, éphémères et étrangement dénués de signifiance. Car ce texte que je couche ne recèle pas plus de vérités que mon être en contient, sinon ces vérités très pragmatiques qui constituent mon corps humain. À trop chercher qui l'on est, l'on oublie qui l'ont est. La poésie, l'ennui, le calme, l'absence totale de vent dehors et le silence lourd - si ce n'était du crissement de la pointe en métal de mon crayon sur le papier - ne sauraient amoindrir ou donner du sens à la constellation de désirs, pas de besoins mais bien de désirs, qui compose le rêve éveillé de ma propre inanité. Le centre est presque entièrement déchiré et ne tient que par quelques fibres, quelques liens qui persistent à raison de rapports contradictoires. Trouver de sens est vain. Pour le reste du jour, je (s'il s'agit bien de moi) tâcherai de ressentir.