jeudi 21 juin 2018

épiphanie









En fin ; à l'esquisse du seuil, la solitude tremble. Esseulée souffrance du leste sur l'étang, l'eau ridée d'algues lentes. Sur le fil la surface perle de soufre, les sexes s'y noient telles des douleurs de vies passées et longues. Lésés ceux qui attendent le diamant du phare dans l'ombre. Mémoires et souvenirs, blasées les veines s'avèrent. Les moires tissent les nues araignées du ciel. Nuages coagulés de poussières blanches. Une brèche rouge orage s'ouvre. Le songe visse la flèche dans la plaie, sans consteller de l'astre mort où s'éploie le vaste affreux. La chute juste avant l'action. Furieuse, dans le golfe fiévreux des tombes. Est utile pour scruter les augures horribles dans le fluide des heurts. Esquisse à l'enfin du seuil, le chant du possible ; une danse, juste avant l'envol des beautés paisibles.




















dimanche 10 juin 2018

Esthétique de l'artifice




"La vie nuit à l'expression de la vie. Si je vivais un grand amour, jamais je ne pourrais le raconter. 
Je ne sais pas moi-même si ce moi que je vous expose, tout au long de ces pages sinueuses, existe réellement, ou n'est qu'un concept esthétique et faux que j'ai forgé de moi-même. Eh oui, c'est ainsi, je me vis esthétiquement dans un autre. J'ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d'une matière étrangère à mon être. Il m'arrive de ne pas me reconnaître, tellement je me suis placé à l'extérieur de moi-même, tellement j'ai employé de façon purement artistique la conscience que j'ai de moi-même. Qui suis-je, derrière cette irréalité? Je l'ignore. Je dois bien être quelqu'un. Et si je ne cherche pas à vivre, à agir, à sentir, c'est - croyez-le bien - pour ne pas bouleverser les traits déjà définis de ma personnalité supposée. Je veux être celui que j'ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je vivais, je me détruirais. Je veux être une oeuvre d'art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l'être dans mon corps. C'est pourquoi je me suis sculpté dans une pose calme et détachée, et placé dans une serre abritée de brises trop fraîches, de lumières trop franches - où mon artificialité, telle une fleur absurde, puisse s'épanouir en beauté lointaine.
Je songe parfois combien il me plairait, unifiant mes rêves, de me créer une vie seconde et ininterrompue, où je passerais des jours entiers avec des convives imaginaires, des gens créés de toutes pièces, et où je vivrais, souffrirais, jouirais de cette vie fictive. Dans ce monde, il m'arriverait des malheurs, des grandes joies fondraient sur moi. Et rien de tout cela ne serait réel. Mais tout y aurait une logique autonome et superbe, tout obéirait à un rythme de fausseté voluptueuse, tout se passerait dans une cité faite de mon âme même, qui s'en irait se perdre sur un quai le long d'une baie paisible, bien loin au fond de moi, bien loin... Et tout cela net, inévitable, comme dans la vie extérieure, mais aussi comme une esthétique du Soleil."

~ Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité

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après ça, il faut
partir et vivre et
recomposer son cerveau