lundi 22 décembre 2014

Quand Bill botte des culs en toute simplicité

"Time is the king of all men, he is their parent and their grave, and gives them what he will and not what they crave."

mercredi 26 novembre 2014

Un autre livre de terminer aux lueurs de l'aurore, au moment où les heures ne comptent pas. J'en ai lu plus de mille, je voudrais en lire dix mille autres. Je sens dormir en moi des montagnes de mots que je gravis avec ceux des autres, en attendant de trouver les traces où j'ordonnerai mes repères.  Tant de choses à dire par-delà mes hésitations ou mes silences. C'est qu'une flamme brûle dans ma tête et consume, docile, les images à naître ; trop de phrases en même temps qui se perdent dans un rêve.

mercredi 19 novembre 2014

ce matin

j'aurais aimé me lever avant que le jour naisse
écouter le silence et ses révélations
voir s'étioler la nuit     la belle évasion
voir s'étirer le bleu sombre pour devenir l'aurore
pâle     entendre tomber le pied de neige légère qui drape le sol
sentir le matin m'appartenir un bref instant
dans une odeur de café noir     de calme
solitude acceptée
                           mais j'ai dormi

lundi 17 novembre 2014

temps du jour

Et passent de petites choses simples. Dans le jour, deux chandelles sans lueurs, qu'une présence ; un fumet de thé - blanc de Darjeeling, acheté sur place, par-delà la brume ; toujours aussi bon après plus d'un an, souvenirs en masse qui reviennent, sensation proustienne. Mahler donnant du relief à l'opacité du ciel ; cette neige mouillée tombe pendant que je m'arrête un instant. Je regarde les empreintes dans la neige sur les trottoirs en bas. Et passent tous ceux que je ne connais pas. Penser à ne penser à rien, écouter et ponctuer le temps d'abandons simples.

"I will tell you why. So shall my anticipation prevent your discovery, and your secrecy to the king and queen moult no feather. I have of late, but wherefore I know not, lost all my mirth, forgone all custom of exercices ; and indeed it goes so heavily with my disposition that this goodly frame, the earth, seems to me a sterile promontory. This most excellent canopy, the air, look you, this brave o'erhanging firmament, this majestical roof fretted with golden fire, why, it appeareth nothing to me but a foul and pestilence congregation of vapours. What piece of work is a man! How noble in reason, how infinite in faculties, in form and moving how express and admirable, in action how like an angel, in apprehension how like a god : the beauty of the world, the paragon of animals! And yet to me what is this quintessence of dust?"
Hamlet, II, II

mercredi 12 novembre 2014

temps du jour

Pluie froide sous les clochers brumeux. Godspeed marque la marche - qui est le Black Emperor? L'atmosphère grisée s'immobilise. Les drones fusent et dessinent le velours de l'air, de l'air si lourd que je peux presque le prendre et fermer le poing. Prémisse des volontés à venir. La pluie en attendant le prochain relâchement. Mais novembre m'arrête, je regarde mon haleine froide et les buées du matin. Mes réflexions fuient malgré moi le présent et s'échappent au fil de mes pas dans les flaques d'eau qui reflètent les peintures d'un jour triste. 

mardi 14 octobre 2014

"Le poète est le centre puissant de la vie de son époque, avec laquelle nul autre n'a de rapports plus essentiels que les siens. Lui seul est capable d'absorber la vie qui l'entoure et de la projeter à nouveau dans l'espace parmi les musiques planétaires. Lorsque le phénomène poétique est signalé dans les cieux, il est temps pour les critiques de réviser leurs valeurs conformément à ce fait. Il est temps pour eux de reconnaître qu'ici l'imagination vient de scruter intensément, dans toute sa vérité, l'être du morne visible et que la beauté, la splendeur du vrai, vient de naître."
- James Joyce

lundi 13 octobre 2014

plus rien à faire sinon observer les feuilles rougies par le soleil
nervures et membrures soumises au vent bleu de l'automne
dans mon aveuglement s'écrivent les futures ratures
les négations accumulées d'un grand désoeuvrement

à la fenêtre donnant sur le monde
se construisent des barreaux de poussière
elle rétrécit tout comme mon regard
altéré par le filtre des vitres
couleurs mates prisme terne
la brume du matin séchée sur le verre
déforme le monde et assoie les solitudes
dans le ciel un soleil d'aléas glauques

quand j'espérais une musique
une morte note est venue chanter le temps

le présent passe médite à l'ombre des statuts
en attendant jusqu'à la mort peut-être    
                                                   si beau le mouvement des branches
qu'elles bougent vers l'arborescence
de mes regards espérants

lundi 6 octobre 2014

Au parc

Autour les mots montent assourdis par les rires puérils
et le vent assèche les petits cheveux humides
lentement. Les feuillages diaphanes du violet au vert,
violence sereine des arbres en marche, millénaires,
annoncent les dernières sueurs de l'été l'automne à venir.
Des sueurs comme celles séchées sur son corps orange
couché dans l'herbe, toutes splendeurs offertes,
allant jusqu'à faire rougir le soleil qui par pudeur
éteint avec quelques nuages l'embarras du ciel.
Lentement les cris des enfants se taisent et
désertent la fontaine rendue inutile,
qui rappelle les enfants des cris de ses flots.

Love in the asylum

                              A stranger has come
To share my room in the house not right in the head,
                              A girls as mad as birds

Bolting the night of the door with her arm her plume.
                              Strait in the mazed bed
She deludes the heaven-proof house with entering clouds

Yet she deludes with walking the nightmarish room,
                              At large as the dead,
Or rides the imagined oceans of the male wards.

                              She has come possessed
Who admits the delusive light through the bouncing wall,
                              Possessed by the skies

She sleeps in the narrow trough yet she walks the dust
                              Yet raves at her will
On the madhouse boards worn thin by my walking tears.

And taken by light in her arms at long and dear last
                              I may without fail
Suffer the first vision that set fire to the stars.

- Dylan Thomas

lundi 8 septembre 2014

"Poetry, even when apparently most fantastic, is always a revolt against artifice, a revolt, in a sens, against actuality. It speaks of what seems fantastic and unreal to those who have lost the simple intuitions which are the test of reality; and, as it is often found at war with its age, so it makes no  account of history, which is fabled by the daughters of memory."
- James Joyce

jeudi 4 septembre 2014

Je sens venir vers moi une mort sèche

Je sens venir vers moi une mort sèche
me scrutant du haut du mirador,
verticale et fière,
où elle domine les désolés,
les étangs les marécages,
et le limon des heures passées
poisseuses dans une période sans arme
sans creuset, son état fatal,
ces minutes avenir noyées dans le silence
d'une horloge de sable balayée par le vent,
balayée par son souffle de verre éclaté.

Des pierres invisibles me tailladent la peau,
le sel noir brûlant des blessures,
je sens mon écorce se peler, se défaire,
une mue horrible où je m'éteins
si près des remous houleux des tempêtes
de la promesse d'un voyage où je vis encore,
mes os se rompent, mon corps dessèche,
je suis le lit d'une rivière délaissée,
les cendres après la mèche,
mes dents se brisent sur le grand mors
et se tient toujours derrière moi cette mort sèche.

mercredi 27 août 2014

"Do I contradict myself? Very well, then I contradict myself, I am large, I contain multitudes."
-Walt Whitman

mardi 19 août 2014

extrait

Il lâcha le livre et se sentit affreusement seul. Au lieu de créer un monde de possibles, c'est plutôt un précipice que le livre creusât autour de lui, un précipice impossible. Toutes ses volontés et ses ambitions se confrontèrent à l'abysse insondable se dressant devant lui. Il ne savait plus quoi faire. Il restait là impassible ne sentant plus aucune chaleur, sinon un vent qui transportait une profonde désolation et un puissant sentiment d'isolement. Lui qui voyait pourtant en les livres les issues par lesquelles il pouvait espérer vivre et rêver, il voyait dans ce livre-là, acculé au mur, le reflet de sa propre insignifiance et sa probante incapacité. Tout autour de lui se dévoilait un énorme ventre  sombre l'avalant ; ses défenses et ses armes ne lui étaient d'aucuns secours contre la peur de l'échec qui naissait, après une longue gestation tantôt consciente tantôt inconsciente, en lui. Il n'entrevoyait plus de réalisations et de concrétisations. Toutes ses pensées se fixaient puis s'effritaient sur les parois où avaient arrêté de grimper en chemin, même pas à mi-chemin de l'ascension, toutes les vertus qu'il s'était inventé.

mercredi 13 août 2014

une scissure dans l'image

le parebrise est craqué
et mon oeil gauche tressaille
mon oeil gauche vrille et tremble
et défait l'horizon qui s'étend
à proximité
à mes pieds
à ma portée
si proche que je peux presque l'atteindre
mais qui pourtant s'éteint
dans l'incessante oscillation
de mon oeil gauche
dans les précaires nervures
de mes regards

toi mon agonie
ta beauté dans toute son impériale indifférence
ton sculptural aléa
bouillant d'acier qui marche
et qui fait craquer de ton pas altier
le parebrise avec lequel
je tente de me protéger

"Sûrement, tu as dû beaucoup penser à nous, à ce que nous avions bâti ensemble, à la façon dont nous en avons avec tant d'insouciance détruit la structure et la beauté, mais pourtant nous n'avons pas pu détruire le souvenir de cette beauté. Voici ce qui m'a hanté jour et nuit. De toutes parts je nous vois sourire cent fois en cent lieux. Je sors dans la rue, et tu y es. Je me faufile dans le lit la nuit, et tu m'attends. Qu'y a-t-il dans la vie à part l'être qu'on adore et la vie qu'on peut construire avec lui? Pour la première fois je comprends le sens du suicide... Dieu, que le monde est vide et ne rime à rien! Des jours tissés de ternes et médiocres instants se succèdent l'un l'autre suivis de nuits blanches hantées dans une routine amère : le soleil brille sans éclat, la lune se lève sans clarté. Mon coeur a le goût de cendres, et ma gorge se serre lasse de pleurer. Qu'est-ce qu'une âme perdue? C'en est une qui s'est écartée de son vrai chemin et tâtonne dans l'obscurité des routes du souvenir."
- Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan

mardi 5 août 2014

"Il y avait quelque chose dans la puissance sauvage de ce paysage, jadis champ de bataille, qui semblait lui crier, - présence née de cette force dont tout son être reconnaissait le cri comme familier, saisi et rejeté dans le vent - quelque juvénile mot de passe de courage et de fierté, l'affirmation passionnée, pourtant presque toujours tellement hypocrite, de son âme peut-être, pensa-t-il, du désir d'être bon, de faire le bien, ce qui était juste. C'était comme s'il regardait à présent par-delà l'étendue de plaines et par-delà les volcans jusqu'aux vastes houles de l'océan même, sentant toujours dans son coeur, l'impatience sans bornes, l'incommensurable languissement."
- Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan

dimanche 3 août 2014

temps du soir

- salir comme j'ai jamais rien sali, par saccades, par rythmiques lourdes - juste des déjections de mots, de verbes et de phrases glanés sur les redondantes distorsions de mes écoutes - dans le milieu et le mitan du temps - laisser quelque chose sans se soucier de l'erreur et de l'échec, cette formidable et féconde erreur, ce formidable et glorieux échec - et dans les corridors, les horizons du soir, dans les amas de cendres, ce sont leurs images qui composent les parois de mon cerveau, qui composent ce papier - tous mes souvenirs couplés à mes émotions dans un dégoulinant portrait, un patchwork, une jactance à la pollock, mes fureurs agglutinées en longues coulisses de sueurs graves, ça suinte encore et toujours dans les caniveaux de mon âme qui ne sait pas contenir la colère qui bout, qui ébulitionne et ébouillante mes espoirs, ma confiance, ma profonde illusion éthylique - que crache sur moi cette nuit étouffée de nuages qui masquent grossiers les étoiles, les reflets du jour qui s'essoufflent en spasmes et qui toussent, en myriades de gravures pointillistes de luminescence - j'attends encore la profonde confession du monde, j'espère construire sur les gravats invisibles des tombes, des ténébreuses tombes, de nouveaux chants, de nouveaux choeurs qui battent l'air ambiant, l'atmosphère pesant des pressants phosphènes, des lumières et des phares fatigués et pâles - les routes convergeant dans le ventre du vent - chante encore l'impossible, chante les relents du rêve inabouti d'une humanité adulescente - le souffle pétris, pris dans l'obscur voile, tombe dans les puissants champs de nos magnétismes éreintés - j'entends les rires et les iris éclorent dans un mouvement de joie qui célèbre, malgré tout, par-devers, la vie.

mardi 29 juillet 2014

William Faulkner's 1949 Nobel prize speech

"Ladies and gentlemen,

I feel that this award was not made to me as a man, but to my work - a life's work in the agony and sweat of the human spirit, not for glory and least of all for profit, but to create out of the materials of the human spirit something which did not exist before. So this award is only mine in trust. It will not be difficult to find a dedication for the money part of it commensurate with the purpose and significance of its origin. But I would like to do the same with the acclaim too, by using this moment as a pinnacle from which I might be listened to by the young men and women already dedicated to the same anguish and travail, among whom is already that one who will some day stand here where I am standing.

Our tragedy today is a general and universal physical fear so long sustained by now that we can even bear it. There are no longer problems of the spirit. There is only the question: When will I be blown up? Because of this, the young man or woman writing today has forgotten the problems of the human heart in conflict with itself which alone can make good writing because only that is worth writing about, worth the agony and the sweat.

He must learn them again. He must teach himself that the basest of all things is to be afraid; and, teaching himself that, forget it forever, leaving no room in his workshop for anything but the old verities and truths of the heart, the old universal truths lacking which any story is ephemeral and doomed - love and honor and pity and pride and compassion and sacrifice. Until he does so, he labors under a curse. He writes not of love but of lust, of defeats in which nobody loses anything of value, of victories without hope and, worst of all, without pity or compassion. His griefs grieve on no universal bones, leaving no scars. He writes not of the heart but of the glands.

Until he relearns these things, he will write as though he stood among and watched the end of man. I decline to accept the end of man. It is easy enough to say that man is immortal simply because he will endure: that when the last dingdong of doom has clanged and faded from the last worthless rock hanging tideless in the last red and dying evening, that even then there will still be one more sound: that of his puny inexhaustible voice, still talking.

I refuse to accept this. I believe that man will not merely endure: he will prevail. He is immortal, not because he alone among creatures has an inexhaustible voice, but because he has a soul, a spirit capable of compassion and sacrifice and endurance. The poet's, the writer's, duty is to write about these things. It is his privilege to help man endure by lifting his heart, by reminding him of the courage and honor and hope and pride and compassion and pity and sacrifice which have been the glory of his past. The poet's voice need not merely be the record of man, it can be one of the props, the pillars to help him endure and prevail."

lundi 28 juillet 2014

mouvement

mes poursuites sont ponctuées de trêves et de distances où déferlent, prophétiques, les horizons de nouveaux autels - stalles où se meuvent les augures, où s'installent les mues d'amours à renaître - j'observe les périodiques du temps, cette horloge qui n'attend rien des hommes, ses esclaves, ses grossières poussières

des perditions se déploient
les vertus évidées
je fais le vide de mon être pour le combler de plus grands essors

lundi 21 juillet 2014

Voilà

"Poetry is not a turning loose of emotion, but an escape from emotion; it is not the expression of personality, but an escape from personality. But, of course, only those who have personality and emotions know what it means to want to escape from these things." 
T.S. Eliot

dimanche 1 juin 2014

Citation

"Je suis à la veille de mourir. Demain peut-être serai-je déjà à l'agonie. Mon corps se meurt de jeunesse. La révolte me sauverait sans doute. La révolte prolongerait mon existence. Hélas! J'ai perdu mon goût de m'indigner, de m'insurger, j'ai perdu le goût des émeutes devant les parlements, j'ai perdu le goût des satires, des libelles, des tracts et des pamphlets flamboyants qui ne trompent personne, qui ne dérangent personne, qui ne font de bien ni mal à personne. Parce que je refuse de jouer le jeu ; parce que je m'abandonne aux voix de la Terre ; parce que je me lance à la poursuite de toutes les comètes de l'imaginaire, je n'ai plus de souffle pour autre chose, je n'ai plus l'énergie de vivre. Le refus est impitoyable : le refus a votre peau tôt au tard. Il vaut mieux que ce soit tôt que tard. La mort vient quand vous n'en pouvez plus de refuser. Avec l'ivraie, on vous arrache alors pour vous brûler dans le brasier éternel de la Géante. C'est ainsi que vous apprenez qu'il n'est pas bon de se colletailler aussi bien avec la saisie qu'avec l'insaisissable. 
- Victor-Lévy Beaulieu, 1968

lundi 26 mai 2014

Surveillance

Déposer ou apposer les bases d'une fondation à venir. Une structure à édifier malgré la simplicité des choses. Aux alentours, je vois des gens qui semblent souffrir en silence, suffisants d'insouciance. Une fille aux cheveux impossibles tire sur ses cils pour les démêler, les désempêtrer du mascara collant, et ça tire et ça déforme sa paupière. Une action qui envahit l'espace temps de dix secondes. Beaucoup de personnes aux tatouages cheaps, le gris-bleu se voulant noir, les yeux vitreux jetés dans la fenêtre du livre où ils ne voient rien, impénétrés. Masses de cheveux rouges, châtains clairs, châtains foncés, châtains cendrés, châtains, du roux, du blond avec une frange bleu, des dizaines de bruns différents - il n'y a pas deux bruns pareils - un peu de noir plus noir qu'ébène, le noir de l'ébène carbonisée, de l'ébène ben carbonisée. Des personnes qui dévoilent leur calligraphie naissante, qui édifie la structure des choses à venir. Que leur magma se solidifie, se fie sur du solide. Solidifier. Leur visage difficile à percer, difficulté de sonder l'émotion dans l'étang vaseux de leur face. Personne ne semble souffrir finalement. Personne ne semble souffrir comme moi je souffre en tout cas. Mais je ne souffre pas, je m'essouffle, je m'essouffre. Cette incertitude dans leur regard concentré. Jus fait de concentré d'incertitude. Bonne source de vitamines. Évaluation finale : A+ à E. Échec possible. L'échec est toujours possible, il est à portée de main, il est apporté de main. Mais ils n'ont pas honte d'échouer parce qu'ils n'ont pas d'idéaux. On est comme ça ici, on n'a pas honte d'échouer parce qu'on n'a pas d'idéaux. Moi j'embrasse ma honte, ma mante religieuse, comme j'ai embrassé celles qui ont construit le casse-tête de ma honte et de ma culpabilité. L'image sur le casse-tête, c'est du noir ; nombre de pièces : inconnu. Je n'ai plus de souvenirs de quand j'avais cet âge. Aucun. Que le prolongement d'émotions jamais tues, jamais tuées. Parfois le passé peut réellement disparaître. Ce sont les émotions qui nous édifient. Les souvenirs sont toujours déformés.

vendredi 23 mai 2014

Un certain abandon

Don't touch this fucking zit at the corner of your lips! Ne dégale pas cette ostie de gale à la commissure de tes lèvres! Mais tu sais que tu ne peux pas t'en empêcher, la petite douleur fine et stridente lorsque que tu enlèves cette croûte pas encore assez morte, cette croûte en-dessous de laquelle renaît la petite blessure, la peau fait peau neuve sous le petit amas de croûtes mortes, ça travaille, il ne faut rien enlever, il ne faut pas défaire la régénération des chairs, ne rien déchirer croûte que croûte sinon le sang coulera gluant faute de coagulant, un sang décoagulé. Attendre. La blessure est superficielle, en surface, elle va disparaître. Pas comme les autres en profondeur dans les stries profondes du corps, pognées directes dans ce que le corps a de cérébral, d'émotif, d'irréparable. J'ai peur de dévoiler la chair vive et vulnérable de mes blessures.
La bière bue coule fade, une grosse laurentide vieille, fossile de mes années universitaires, alcool dans lequel se distilla mon rut de jeune vingtenaire, les maux de tête, les trous de mémoire, les mémoires perdus, la quête de cuisses hospitalières, le stupre, les hanches de femmes aimées puis oubliées, mes abandons. Souvenirs déficients, altérés. Altérité altérée, altérité désaltérée, comme j'ai désaltéré mes altérités! Vide rempli par la honte d'abord puis l'indifférence ensuite, la résignation. Je bois et je cherche. Sensation proustienne avortée, comme les deux enfants que j'ai failli avoir.
Mon exil est local. J'aime cette sensation d'exil qui n'en est pas vraiment un. Je suis toujours sur la même terre, dans le même pays que je ne reconnais pas parce que je ne l'ai jamais connu. J'ignore où je suis, je suis un insulaire continental, un marin à pied. Je cherche une île déserte. Mais je suis sur une île prise, une île prisonnière - elle m'emprisonne hier -, prise dans des ornières, entourée de terre. Il n'y a rien de plus triste qu'une île au milieu d'un continent, centre débalancé du monde que je ne vois pas ailleurs que sur de grandes cartes sans centre. La terre est plate mais elle trouve ses courbes dans le grand angle du monde.

mercredi 21 mai 2014

Extrait

Je m'appelle Grenole Froment. Si je commence cette histoire en vous disant mon nom, qui n'est pas mon vrai nom, c'est parce que je suis tanné de ceux qui disent pas leur nom. J'ai déjà lu des livres dans lesquels les protagonistes disent pas leur nom. J'aime pas les livres dans lesquels les protagonistes disent pas leur nom. Je trouve que ça parait trop que l'écrivain tente d'auréoler de mystère son protagoniste. Personne n'est mystérieux. Du moins, pas en disant pas son nom. Mais si Grenole Froment c'est pas mon nom c'est pas non plus mon surnom, parce que tous ceux que je connais ont un surnom. Grenole Froment c'est le nom que je me serais donné si j'avais été quelqu'un d'autre. Si j'avais été le héros d'un roman d'aventure par exemple. J'aurais été un voleur mince et laid, qui sait être rusé et cruel envers ceux qui le méritent, mais bon aussi. J'aurais été un voleur qui vole pour survivre, pas pour s'enrichir. Parce que j'haïs les riches et même en me mettant en scène je serais pas capable d'aimer les riches. Je volerais les riches parce que c'est à chier et parce que c'est pas original de voler les pauvres, tout le monde fait ça. Ouais, j'aime pas les riches. Au Québec, y'en a beaucoup qui disent que les Québécois ont un problème avec l'argent, qu'on souffre d'un complexe d'infériorité, qu'on n'aime pas ça quand quelqu'un réussit et qu'il est riche. Mais l'affaire c'est que c'est vraiment n'importe quoi puisque tout le monde a un problème avec l'argent, ceux qui n'en ont pas en veulent et ceux qui en ont en veulent toujours plus. Avez-vous déjà entendu quelqu'un dire : "J'ai assez d'argent!"? Non, moi j'aime pas les riches, autant par jalousie que parce que ça m'emmerde de voir des gens plein d'argent. Mais j'aime pas les pauvres non plus. Surtout ceux qui blâment les riches pour leurs problèmes d'argent. Bref, je pense que j'haïs l'argent point. C'est pour ça que j'aimerais être un voleur dans un roman d'aventure. Je ne suis pas sûr si c'est un bon argument par contre, mais je m'en fous, j'ai toujours été pourri quand vient le temps d'argumentir, d'argumenter je veux dire. C'est parce que j'haïs mentir aussi. Tout le monde ment. Le monde ment. Si j'aime pas argumenter c'est pas parce que je suis pas intelligent, mais parce que j'aime pas argumenter avec des morons. Et comme Montréal sinon le monde est composé de morons comme le corps humain est composé d'eau, ça fait que j'aime pas ça argumenter. Je trouve que Grenole Froment c'est pissant comme nom. S'il fallait le décrire, il aurait quelque chose d'une barre tendre dans son apparence. Il serait maigre en tout cas ça c'est sûr. Grenole Froment ça fait nom de maigre. Mais moi je suis pas maigre je suis gros, pas obèse, juste gros. Gros façon années 2000, façon abdomen adipeux bien bièreux, façon les douchebag sont la norme donc je suis gros. Motto du motté : je ne suis pas douche, donc je suis gros. À notre époque, c'est ça être gros. J'haïs les douches encore plus que l'argent mais ça, ça n'a rien à voir avec la jalousie. C'est viscéral, c'est tiré direct de la bile et des entrailles, de ouesse que la haine naît en l'homme sans qu'on comprenne pourquoi. J'haïs tout d'eux, c'est physique et psychologique. J'haïs les athlètes qui n'en sont pas vraiment même s'ils sont convaincus d'en être. Ceux qui vomissent parce qu'ils font des marathons et qu'ils devraient pas en faire et qui sont juste pas capables de parler d'autre chose que leur câlisse de marathon! Tous les crossfiteux, les spartan raceux, ceux qui feront jamais parti d'un fight club parce que la première règle d'un fight club c'est de pas parler du fight club et qu'eux sont pas capables de parler d'autre chose que leur ostie maladie mentale! Grenole Froment lui y'est maigre, comme une barre tendre, comme un clou, comme une lame de couteau, mais vif pis drette! Il plie pas Grenole Froment, il casse pas Grenole Froment! Mais de toute façon, c'est pas mon vrai nom et c'est même pas mon vrai surnom. Mon vrai surnom, c'est Quoi.

mercredi 7 mai 2014


Poets are the unacknowledged legislators of the world. - Shelley

samedi 3 mai 2014

temps des jours

Sur cette grande feuille devant moi surlaquelle j'esquisse mes pensées, lentement, j'évolue en parallèle des lignes libres, si près de les toucher Mais aussi loin que se perd mon regard, je n'y arrive pas. Seul l'infini me dira si j'y parviendrai.
En attendant, des ailes lourdes de pluies, épuisées d'absence, me gardent au sol, mais se solidifient en unités puissantes. Je sens venir d'espérées migrations. La formation d'un corps autour duquel mon orbite naîtra, où je commencerai peut-être une nouvelle révolution.

mercredi 16 avril 2014

Essai

Le cycle des saisons continue et les symboles se disloquent. Avec le printemps arrivent de toiles stérile sur lesquelles l'esprit et les passions engourdies par le froid insistant réapparaissent dans une nouvelle lumière pour dessiner de nouveaux motifs. Les bourgeons emprisonnent les odeurs gelées et attendent de s'ouvrir. Le vent frappe d'une lame glaciale mais nos manteaux noirs boivent le soleil, invincibles. Pourtant les ambiguïtés restent et il me tarde de saisir l'évocation inspiratrice qui peut amener l'épiphanie. Les subtilités m'échappent, je ne fais plus de choix, pris entre l'image et l'être je cherche encore mon véritable désir.

mardi 15 avril 2014

Les amas du jour

Dans les heures nébuleuses
Et l'éperdition haletante aux rythmes
des promenades sans destinations
des promenades sans distinctions
J'oublie mes souvenirs

L'impossibilité de fixer les traits
De définir les formes
Je ne vois rien
Ni les modèles épuisés d'alentours
Ni les promesses d'espoirs puissants

D'aléas en errances
L'horizon repousse le point de fuite
Sous les pulsations battantes d'un formidable coeur

Dans l'étale sans issues
Au-delà des regards striées de parures
Mes yeux recherchent le verbe-chair
La symbiose des sens
Où l'impossible désespère

La courbe intacte attend que tu viennes la rompre
Que tu viennes plier l'âme du jour
Sous le poids de ton absence

Le théorème que tu déploie
Force l'étude des beautés irrévélées
Et des esprits qui n'attendent que toi

dimanche 6 avril 2014

"Chaque fois que j'ai lu Shakespeare, il m'a semblé que je déchiquetais la cervelle d'un jaguar."
- Lautréamont

Macbeth

Éteins-toi, éteins-toi courte flamme,
La vie n'est qu'une ombre en marche, un pauvre acteur, 
Qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène,
Et puis qu'on n'entend plus. C'est un récit 
Conté par un idiot, plein de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien.

Out, out brief candle,
Life's but a walking shadow, a poor player,
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing.

Macbeth (V, V)

Devant le corps de sa femme terrassée par l'ambition, le meurtre, la culpabilité et la folie, alors qu'il a éliminé en véritable tyran innocents, amis et ennemis, Macbeth prononce, dans ses derniers retranchements, attendant une armée en marche contre lui et sachant que sa mort approche, cette perle qui a été récupérée et galvaudée à profusion, si bien que sa force s'en retrouve presque amoindrie. Je crois qu'à travers son désespoir, malgré la gravité du propos, rarement les spasmes de vivre n'ont été si bien distillés : si d'un côté cela rend compte de la possible sinon probable insignifiance de l'existence humaine et que d'un autre cela affirme également à quel point la vie se résume en une série de balbutiements qui forge le destin ; à l'opposé, je trouve que cette phrase transcende une sorte d'humanisme et d'espoir diffus qui en même temps peuvent fouetter l'homme à nourrir le brasier de sa vie pour justement en faire quelque chose de signifiant et lui permettre de trouver dans l'acceptation des forces plus grandes que soi - j'entends là les forces métaphysiques - une scène où construire, avec ses passions, de réelles raisons de vivre. Ce qu'il faut, c'est que tout ce bruit et cette fureur, même s'ils ne signifient rien pour ceux - les autres - qui les entendent, soient intelligibles pour soi.

lundi 17 mars 2014

temps des jours

Donc, dans ce jour bleu et froid nulle part je trouve un souffle m'irradiant suffisamment l'esprit pour déclencher un réel désir de renouveau créatif. Entre deux inaccomplissements, je médite quelques phrases qui entrecoupent les intervalles et au final, le temps, malgré tous les remous qu'il peut manifester, ne fait que créer de la poussière, et les fibres du vide s'amoncellent et tissent des amas de matières mortes.

"Tout ce qui est intéressant se passe dans l'ombre, décidément. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes." 
- Louis-Ferdinand Céline

samedi 8 mars 2014

dans le bruit qu'essuie le silence

dans le bruit qu'essuie le silence
quand je cherchais à décrucifier le temps
j'ai vu surgir les stigmates de mon inaction

dans une révolte patiente
j'ai attendu le silence pour trouver
mon exil et mon évasion

dans le naissant silence
où jouent les musiques du monde
l'écho retentissant des ondes
soulève les images bleues de la nuit avenir

dans le mutisme de mon temps
je veux voir mourir
la haine et le mensonge mes proches
défaire les humaines guerres
que se livrent les nouveaux tyrans
défaire les ruelles et les gouttières
où sédimentent les âmes agonisantes

dans le silence constellé d'ombres j'attends
la pluie des volontés qui lavera
les ébauches incomplètes et vaines

l'obscurité grandit dans ce silence envahissant
où se projettent malgré mes rêves avortés
mes ambitions naissantes

dans ce silence qui suit le bruit
la pâle lueur d'une origine
un cri se fait entendre
et résonne formidable après cette absence

mercredi 19 février 2014

Pause

Tout défile. Je marche et rien n'arrête mon regard. Dans la nuit qui se lève les flaques d'eau au sol sont sans reflet. Des personnes aux visages mats marchent et filent, pressés. J'ai lu le manuscrit de Francis aujourd'hui et j'ai trouvé ça beau. Inspirant. Il m'a donné envie d'écrire. J'espère qu'il me lira. Mais en attendant je m'évertue à fixer mon regard sur le mouvement ambiant. Échec, splendeur et misère de l'échec. Une sorte de bleu. Quoi boire? Une prémisse de l'Écosse à venir. Qu'écrire? Rien. Toujours rien. 
Que l'inutile
Que le vide vespéral noyé de nuit 
Que les détails invisibles des formes des formes
Que le son magique de la trompette de Miles
Que l'extraordinaire chaleur d'un whisky fait y'a 15 ans
Que l'encre que boit ma feuille assoiffée
Que mon pauvre esprit ne sait étancher
Que ma solitude de février
Que l'incomplétude des choses...
Le temps défile et déploie sa vacuité. J'ai lu quatre romans en dix jours et rien ne se remplit. Lumières n'éclairant rien. S'écoule la cire d'une chandelle dont le parfum de vanille s'essouffle. L'encre fait ses offrandes en vain et se heurte à l'accident. Crevaison. Blue in green de Miles Davis. Je suis entouré de meubles de bois vivants plus vieux que moi, qui parle et dise plus que moi. Et je n'entends rien. Sourd, beaucoup de choses se sont perdues en moi, ma mémoire et mes rêves dans des pages déchirées, dans les fonds des verres vidés. Sur le bord d'une rue dont j'oublie le nom, à l'intersection du souvenir et de la création, une passante a passé. Modalité de l'image. Insondable dans l'ombre, dehors d'atteinte, elle avait une beauté impossible. Elle a passé et est sortie de ma vie.

lundi 10 février 2014

errances dans mes îles

j'avance le long du fleuve brisé
ce fleuve brillant de lave glaciale

mon inspiration stérile est prise
ma respiration s'immobilise
j'avance sans pas

saisir ce vide que le regard
n'arrive pas à remplir

sous les glaces s'écoulent
furieuses
les eaux vives
comme sous ma peau mon sang
viole mon désespoir

il rage aujourd'hui en cet été de l'hiver

j'avance à ne plus me perdre
dans les fêlures du vent

la plaine souffle sur moi son froid
l'effroi me frôle et
mes errances éclatent
en formidables déroutes

lorsque le soleil videra la ciel
je continuerai d'observer les absences
face aux voluptés des obstacles

dans le calme effrayant
du temps qui se défait
mes îles se composent

mardi 21 janvier 2014

"La grandeur de l'homme se mesure à celle des mystères qu'il cultive ou devant lesquels il s'arrête." - Maeterlinck

mardi 7 janvier 2014

temps libre

La lumière des rues a percé mon confort. Le chapelet du temps s'égraine en cailloux dans mes souliers et mes certitudes boitent sur des sentiers inconnus. Mes sens esclaves se butent aux frontières du jour et s'ankylosent dans les hystéries sourdes. Puis, dans l'obscurité, la transversale d'un visage griffé des larmes dolentes révèle, dans la nuit déployée en un océan croissant, le profil virginal d'une beauté à naître.