mercredi 3 août 2022

impromptu

 



Dimanche après-midi, promenade sur le rivage du fleuve. Il fait chaud et il y a des passants, des cyclistes et des outardes partout. Je me terre dans la solitude sourde de mes écouteurs d'où sort un impromptu à propos. Les bruits autour sont assourdis, mais ceux que je fais en marchant sont lourds et forts et je sens chaque pas, chaque contact de mes pieds au sol me traverser le corps au complet. Je marche sans destination aucune, j'erre tout simplement. 

Ma longue promenade m'amène vers le Parc des Rapides et j'en arrive à m'arrêter longuement une fois rendu aux bords du fleuve, là où les vagues déferlent avec plus de superbe et de confiance. J'enlève mes écouteurs et le bruit ambiant explose, comme si je venais de sortir d'une chambre insonorisée. Quand je les regarde, j'y vois tout d'abord une qualité erratique, un peu de chaos archaïque se manifestant, mais en prolongeant ma contemplation, le mouvement des vagues devient si harmonieux qu'il semble tout à fait prémédité et orchestré. Je m'assieds, ferme les yeux et j'écoute le bruit des vagues tatouer en moi le grondement formidable des eaux survoltées. Je me plais à imaginer, dans l'infiniment petit, la peau du tambour de mes tympans vibrer sous mille martèlements répétés à une vitesse furieuse, plus l'écho décuplé. Le bruit est incessant, il n'arrête jamais et ne mourra que lorsque le fleuve mourra, ce qui ne saurait se voir de vie d'humain (quoique...), ne dit-on pas d'ailleurs que la vague à Guy, un peu plus à l'ouest, est une vague éternelle?

J'ouvre les yeux mais déjà le voile aux nervures diaphanes apparaît devant mon regard et je n'entends plus les vagues. Comme si mon esprit était un petit bateau venant à l'instant de triompher des remous du fleuve et voguant déjà, juste un peu plus loin en bas du courant, sur les eaux calme d'une vie inspirée. La débâcle est constante mais en synergie avec une volonté de contrôle aux humeurs inconstantes. Puis cette idée de plus grand que soi dans l'existence de la nature m'envahit complètement. Mais ça revient vers moi parce que je suis celui qui lui donne cette dite existence - à l'idée comme à la nature -, je suis au coeur de ma perspective et endormir mes sens ou ma raison pour interpréter le monde est impossible. Du moins j'en suis incapable. La substance est réelle, mais elle n'existe pour moi qu'à travers mes perceptions. Au-delà de la substance, le bruit des vagues possède l'essence que mon esprit lui donne mais, elle aussi, n'est tributaire que de ma psyché, donc de mon existence. 

Pendant que j'essaie de démêler les fils de cette vérité, pour voir un peu plus clair dans tout ce maillage, quelques marcheurs passent à côté du rocher où je suis assis en ce moment, en pleine contemplation et réflexion, et ne restent jamais plus de trente secondes. Pour eux, il ne fait pas de doute que les vagues existent autrement et que leurs perceptions ne sont probablement pas en conjonction avec les miennes. Et il en est ainsi des vagues comme du monde. Les passants se multiplient et essayer d'imaginer comment ils perçoivent la scène en vient à m'étourdir. Le soleil devient plus cru, sa lumière rend l'écume des vagues encore plus criarde, si bien que je détourne le regard et reprends ma promenade pour retourner chez moi. 

Je remets mes écouteurs, le son extérieur coupe court, l'isolement revient, puis je repars l'impromptu que j'écoutais. L'image des vagues derrière, la mélodie d'un piano en-dehors du temps et le bruit sourd de mes pas suffisent à remplir qui je suis en cet instant précis, content que ces sensations et réflexions se multiplient, serein - et assurément naïf - à l'idée que le monde puisse exister en moi.