lundi 29 janvier 2018









une conversation de regards
comme un dialogue de sourds
la vitre floue comme seul point de fuite
les pensées noyées de larmes à l'envers
les yeux tremblent et puis hésitent
la valse trouble d'un bal de paupières
sur le tableau de bord le coeur lourd
à un virage sec de tomber à terre
mais ils s'enlignent au halo des lueurs
celles à venir leur donneront raison
la vitre devient nette et le soleil en rayons
se recompose dans le prisme des heures
où lentement complices se retrouvent les repères








vendredi 26 janvier 2018




à la tilivision
à la toute petite vision
dans une émission consacrée à la littérature
l'animatrice et l'écrivain invité
boivent du mousseux cheap
assis en tailleur sur un lit blanc
dans une chambre maculée de blanc
un bol de fraises en premier plan
bien visible
.
.
.

je vais continuer de faire
des haïkus pis des sonnets pis d'autres poèmes
tuseul dans ma boîte à chaussures






























dimanche 21 janvier 2018





Mon réveil ce matin fut comme une lente plainte; le prolongement du souffle de ce que mon sommeil n'a pas souffert de rêve, et tout n'est qu'ennui dans les premières lueurs grises du jour. Je ne sais plus regarder en-dehors de moi. Hier soir encore, vaine tentative de people watching qui n'aura même pas duré cinq minutes; le désintéressement, l'incapacité de sonder l'immanence des êtres à l'apparence tyrannique et mon échec à me comprendre comme sujet dans cette relation assujettie au simple regard unilatéral m'ont rapidement fait décrocher. J'ignore ce que je risque à me défaire des autres pour me plonger dans ma solitude et tenter de polir les aspérités de mon Moi. On pourrait m'accuser d'être égocentrique (parce qu'il faut immanquablement être coupable de quelque chose), mais je ne saurais m'identifier à pareil trait de caractère puisque je sens mon centre vaciller en-dehors de son axe (si telle chose existe; serait-ce cet idéal de soi que tout un chacun est supposé avoir) et je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas rapporter les choses à moi parce que je suis absent lorsque la balle revient, toujours pris dans un constant clair-obscur, je deviens une cible floue et tous les miroirs que l'on m'offre (miroir réel, les livres et l'art en général, les regards des autres, ce texte même que j'écris) m'envoient des reflets inversés, déformés, éphémères et étrangement dénués de signifiance. Car ce texte que je couche ne recèle pas plus de vérités que mon être en contient, sinon ces vérités très pragmatiques qui constituent mon corps humain. À trop chercher qui l'on est, l'on oublie qui l'ont est. La poésie, l'ennui, le calme, l'absence totale de vent dehors et le silence lourd - si ce n'était du crissement de la pointe en métal de mon crayon sur le papier - ne sauraient amoindrir ou donner du sens à la constellation de désirs, pas de besoins mais bien de désirs, qui compose le rêve éveillé de ma propre inanité. Le centre est presque entièrement déchiré et ne tient que par quelques fibres, quelques liens qui persistent à raison de rapports contradictoires. Trouver de sens est vain. Pour le reste du jour, je (s'il s'agit bien de moi) tâcherai de ressentir.



















mercredi 17 janvier 2018

haïkus de fin de carnet, de fin de vacances pis de réunion plate


(je relis mes notes
c'est tellement dégueulasse
qu'j'ai envie d'vomir)
      _____

en un an il s'en
est passé en estie
des affaires de fou
     _____

tous ces horizons ruinés
où meurt ce regard
qui allait trop loin
     _____

et elle lui dit
les yeux dans les yeux
"on mérite mieux que ça"
     _____

une volée d'outardes
crie dans la neige et fuit
un peu en retard
     ______

en ne faisant rien
elle épuise le silence
des jours oubliés
     _____

je m'ennuie de Ti-Jean
de ses petits poèmes
immenses et beaux
     _____

contorsion d'orgasmes
lézards les corps en sueur
tremblent et font peau neuve
     _____

entre quatre murs
des chimères de désir
ouvrent des fenêtres
     _____

Dans le bus, sur le long de la Rivière-des-Mille-Îles, là où y'a pas mille îles pantoute :

sur le lac gelé
des cabanes de pêcheurs
chantent le silence















samedi 13 janvier 2018

immense



24 mars 1930

Je relis passivement - et j'en retire comme une inspiration, comme une délivrance - ces phrases toutes simples de Caeiro, parlant tout naturellement des dimensions modestes de son village, et de ce qui en découle. De là, dit-il, et parce que son village est tout petit, on peut voir davantage de l'univers que depuis la ville ; c'est en quoi le village est plus grand que la ville :

                     "Parce que j'ai la dimension de ce que je vois,
                      Et non pas celle de ma taille."

Des phrases comme celles-là, qui semblent pousser toutes seules, sans être dictées par une volonté quelconque, me lavent de toute la métaphysique que j'ajoute spontanément à la vie. Après les avoir lues, je m'en vais à ma fenêtre, qui donne sur une rue étroite, je regarde le vaste ciel et ses astres nombreux, et je me sens libre, porté par une splendeur ailée dont la vibration frémit dans mon corps tout entier.

"J'ai la dimension de ce que je vois"! Chaque fois que je médite cette phrase, avec l'attention de tous mes nerfs, elle me semble, toujours davantage, destinée à rebâtir astralement l'univers. "J'ai la dimension de ce que je vois"! Quelle puissance mentale sans limites, que celle qui va du puits de nos émotions les plus profondes jusqu'aux étoiles les plus lointaines, qui s'y reflètent et, d'une certaine manière, s'y trouvent ainsi à leur tour.

Dès lors, conscient d'avoir appris à voir, je contemple la vaste métaphysique objective des cieux infinis, avec une assurance qui me donne envie de mourir en chantant. "J'ai la dimension de ce que je vois"! Et la vague clarté lunaire, totalement mienne, commence à abîmer de sa lueur indécise le bleu à demi noire de l'horizon.

J'ai envie de lever les bras en criant des choses d'une sauvagerie inconnue, de lancer des phrases aux mystères des hauteurs, d'affirmer une nouvelle et vaste personnalité face aux grands espaces de la matière vide.

Mais je reviens à moi, et je m'apaise. "J'ai la dimension de ce que je vois"! Et cette phrase devient mon âme tout entière, j'y appuie toutes mes émotions, et voici que descend sur moi, au-dedans, comme sur la ville au-dehors, la paix indéchiffrable d'un clair de lune à l'éclat dur qui s'élargit avec la tombée de la nuit.

~ Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité








dimanche 7 janvier 2018

thème imposé




pendant que la neige tombe sans se faire mal
je me dissous en une matière trop brute
où l'angoisse que la maladresse m'impute
fait d'un flocon une avalanche horizontale

les névroses immatures disloquent ma peau
plus épaisse est la neige plus creuse est la faille
cette solitude crue que le froid tenaille
où l'hiver me force à déserter le troupeau

je ne suis hélas qu'une confusion de corps
j'aimerais m'unifier et m'appartenir or
les anciens désirs gèlent mais jamais ne meurent

et déposent sur ma nuque un souffle glacial
les abandons réels ne se font pas sans heurts
je m'en remets au chaos d'un hiver lustral