vendredi 26 janvier 2024

 


Pluie froide janvier, je pousse ma roche vers ce que je deviens. La voix d'un jeune Leonard Cohen résonne et remplit le vide de mon silence. J'avance en étranger. Sourd aux ébats des saisons entremêlées. À chaque pas qui creuse asphalte ou verglas, j'étire les distances entre le monde et moi. Je déserte les reflets. Un apaisement qui ne vient pas. 























jeudi 7 décembre 2023


Las de démêler les amalgames qui se tressent et se détressent en moi ; épuiser de me perdre dans les flux et reflux des nébuleuses erratiques de ma conscience, j’essaie de m’oublier, de me fuir en regardant le monde. Expérience impossible puisque c’est en moi qu’il vit. Ce vers de Rilke : « Ô moi qui veut croître / je regarde au dehors et c’est en moi que l’arbre croît. » Combien de milliers de mots j’ai crachés sur les pages pour tâcher d’harmoniser le chaos? Mais dans mes fouilles, les sédiments s’entremêlent et je me perds dans les strates intérieures de l’être. Jusqu’où peut descendre l’introspection? J’ai l’impression de détailler de loin, en plissant mes yeux troubles, les braises d’un feu ardent. Je m’en retourne vers le monde, mais n’y voit qu’un chaos que je comprends encore moins (faut le faire!). Puis je m’attarde sur les arbres enneigés dehors. Un énorme chêne plie ses branches lourdes d’une neige endormie depuis qu’elle est tombée. J’ignore si ce chêne croît en moi, mais je sens s’installer entre nos deux présences une harmonie. Un calme que l’hiver appuie. Au loin, je sais que le monde gronde. La rumeur me le rappelle, les jours passés et à venir aussi. Les bottes martèlent leur mécontentent devant l’hypocrisie de dirigeants corrompus par le pouvoir et l’argent, devant un gouvernement d’une redoutable mauvaise foi. Le tissu social contre un tissu de mensonges. Je trouverai peut-être dans les désordres conjoints un peu d’harmonie. Sinon, je repenserai au calme émanant des arbres recouverts de neige endormie. Certaines branches touchent presque le sol. Les prochains jours seront froids, mais ceux qui marcheront ne plieront pas. 
















jeudi 16 novembre 2023

 

Café tiède dans mon Thermos, un léger goût de métal. Mes étudiants font leur examen, à livres ouverts, je suis las de surveiller quiconque essaiera de tricher. Dehors novembre. La cime des arbres découpe le ciel, couleurs d’automne sur fond bleu. Je ferme les yeux - allez-y, trichez si vous l’osez! - et m’imagine le bruit des feuilles mortes craquant sous les pas, je sais que le plaisir de cette sensation me durera longtemps. Plus loin à l’est, des manifestants pro-palestiniens bloquent le pont Jacques-Cartier, je n’ose imaginer leur souffrance et écrire à ce sujet me semble d’une futilité sans nom. Les tremblements terrifiants d’une déchirure. Quand nos réalités s’entrechoquent, on prend notre part de coups, au sens propre comme figuré. Les métaphores ont aussi leur violence. Imaginer Gaza assombrit mes pensées et l’être humain m’écœure. L’Histoire continue de perdre pied sous le poids de l’horreur… Une étudiante vient me tirer de ma réflexion et me pose une question. Une autre question inutile comme elle m’en pose depuis le début de la session. Son anxiété de performance est maladive, peut-être même pathologique, et, pour elle, tous les moyens sont bons pour avoir la meilleure note : mentir (à répétition), la fraude (ChatGPT), le chantage quant à sa cote R, les messages répétés pour avoir les questions à l’avance sinon les réponses aux questions, etc. Elle veut faire médecine, j’avoue ne pas comprendre. Il m’est arrivé plusieurs événements cet automne qui ont fait de ma session une des plus difficiles de ma carrière et qui mériteront que je m’y attarde davantage prochainement. Oser élaborer quelques études de cas. Mon regard balaie la classe - peut-être aurai-je réussi à faire une différence pour certains, peut-être - et retourne se perdre sur la cime des arbres du parc Angrignon. Le bleu du ciel pâlit. Dehors novembre, mais ce sont les Cowboys qui jouent dans ma tête. Resteront leurs chansons. Mon Thermos est vide, l’amertume du café m’apaise, au moins pour un temps.












lundi 9 octobre 2023

 



(toujours) au mitan de mes distances
le doute ploie mon genou sur la dalle
froide d'une brume amère
les lézardes enracinent le sol 
il pleut sur les pierres

dans l'humilité j'écoute l'encens muet
le sel d'un automne patient 
repu de s'être déposé (ce fut un long voyage)
l'horloge se fatigue et ralentit 
le poids des blessures qui creusent en moi
l'ambitieux sillon d'une inaudible portée

à mi-chemin de l'ombre et du silence 
une voix éperdue une chandelle flambe
mes deuils inconnus disparaissent 
et latentes mes langueurs pourront partir 
d'exil en migration

enfin comme un maître sans marteau
et las de ses métaux je calmerai 
mes révoltes dans l'alcool de la retenue
rien ne les protège
les désillusions seront leurs

j'en prends à témoin le vent du fleuve
je garderai mes larmes pour une autre fois
où les confidences du passé auront
peut-être
un semblant de sens






























mercredi 27 septembre 2023

accumulation

 

Laquelle des dernières ébauches devrais-je reprendre et développer pour me réapproprier cet espace? Pourquoi ce frein? Et pourtant je n'ai tellement pas dit mon dernier mot. Il faut continuer de se construire, continuer à devenir. Une sonate de Haydn jouée par Brendel par dessus le bruit du midi, infinies mélodies dont je ne me lasse pas, une gorgée de café tiède dans ma tasse qui traîne à côté des 73 copies qui me restent à corriger, je suis rendu à la semaine 6 de la session déjà, et déjà deux cas de fraude où des étudiants ont utilisé leur montre intelligente, tricher à son examen sur Baudelaire, attentat antipoétique à souhait, il y a lassitude ici et elle pèse d'un poids un peu plus lourd à chaque fois, le spleen inévitable de la cinquième semaine de cours, à chaque session ça fait ça, je fuis ma tâche un cours instant, le temps de regarder la lumière dans les feuilles du chêne qui rouillent, promesse d'automne à venir, la fraîcheur des nuits muettes comme contrepoids au soleil trop chaud de ces journées de septembre, à quand un peu de pluie? je me sens étrangement anachronique, toujours cette aliénation subtile d'une individualité aux prises avec les oppressions implicites de notre monde postmoderne, les contraires se chevauchent et me demandent plus d'introspection qu'à l'ordinaire, tout ceci m'impose à organiser mes pensées plus que jamais pour ne pas être submergé par celles-ci, juste éclaircir tout ça pour que le noyau du présent ne débarque pas de son axe, juste pour ne pas perdre complètement le contrôle, mes pensées confuses se bousculent à la sortie, mais ce foisonnement demeure pertinent je crois et l'effort constant de ma conscience me donne une énergie que je ne soupçonne pas toujours, il faut juste trouver le moyen de la canaliser, comme je devrais trouver un moyen de finir ce texte, le fait est qu'il ne peut pas avoir de fin, c'est un perpétuel work in progress. Comme absolument tout d'ailleurs.

















samedi 3 juin 2023

 




la canicule enfin tombée
le vent s'en donne à coeur joie depuis
aussi libéré que moi - pour un bref instant -
du poids de notre insouciance abrutie 

bruissement incessant des feuilles
les poumons de la terre cherchent leur souffle
pendant que le Nord brûle dans l'invisible
ses nouvelles cicatrices
et Schubert dans l'aube 
autrement silencieuse

ma voix inutile continue de faire
sa reptation étrange 
dans l'indifférence harmonieuse 
des beautés contraires

point d'orgue 
la durée s'étire souple 
dans la polyphonie du temps
le passé meurt au contrepoint de sa naissance 





















mardi 9 mai 2023




Une nuit sans sommeil. Si seulement je pouvais expliquer cette insomnie passagère par le tourbillon de la pensée, mais non... Mon esprit, abruti de fatigue autant que mon corps, ne parvient même pas à lancer la pensée qui démarrerait le flux de conscience dans l'élan implacable de son déploiement. J'ai enchaîné les morceaux de ma trame sonore nocturne habituelle, mais rien n'y fait, je suis à la fois sourd et alerte, rien ne m'engourdit et les mélopées de minuit m'indiffèrent. Une nuit sans sommeil désertée de toute mythologie, sans pulsions et sans rêves. Les yeux fermés paupières brûlantes, je m'applique à l'écoute attentive de ma respiration, mais je n'entends que le redoutable sommeil de mon amoureuse à côté, son abandon semble profond et total. Ses courbes caressent mon oeil. Son sommeil m'apaise parce que je sens qu'elle se repose et récupère. La nuit fraîche pénètre par la fenêtre ouverte de notre chambre, si bien que nos chaleurs - son corps endormi, mon esprit éveillé - cohabitent et s'activent, elles me réconfortent, mais non... Le sommeil ne veut rien savoir de moi. Illusion du silence au coeur de la nuit. Les bruits nocturnes dehors suivent leur cours et, dans la distance, me caressent malgré tout pour me rappeler que je suis exactement où je dois être, même si ce n'est pas tout qui coopère. Une nuit sans sommeil. J'aimerais en profiter pour rassembler mes idées et créer quelque chose d'original, mais non... Je suis incapable de me fuir. Je me vautre dans d'insignifiants abandons pour m'oublier, juste un peu. C'est un de ces moments où le poids de la pensée, pourtant invisible et immatérielle, est insoutenable. Je ne perçois rien tandis que la paix de l'esprit étouffe et cherche son air. Juste souffler le temps d'un moment de repos. Désorienté et sans repère, je divague dans ce que la vie ne m'a pas offert. Mais que sont ces reliefs à peine ébauchés où rien ne semble exister, comme si l'inconnu et le mystère se matérialisaient, pour mieux me narguer, devant moi? Les distorsions grésillantes de l'ombre pèsent sur mes yeux usés par le temps et je ne vois rien de distinct. Le flou comme fossé entre moi et le monde. J'aimerais tant être nyctalope... Épuisée et ankylosée à ne rien faire, ma conscience décide soudain de s'étirer dans le mutisme souple de la nuit où l'inconfort et la patience s'escriment dans un affrontement sans issue. Toute concentration rassemblée, je m'évade vers un point de fuite invisible au centre d'un scotome obscur et... plus rien. Je suis là, éveillé. Abasourdi et tout à fait confus : venais-je de rêver sans dormir ou avais-je rêvé que je ne dormais pas.  









 

lundi 17 avril 2023

Haïkus de printemps

 


ce que le jour offre 
à mon regard défait les 
fils de l’éphémère  

*

le printemps s’éveille
des écureuils se pourchassent 
dans l’élan du rut

*

quand l’instant contient
juste un peu d’éternité 
l’attention s’évade

*

le chant des oiseaux 
dans les branches de l’érable 
qui reprend ses forces

*

un avion dans le ciel 
amène le crépuscule 
le soleil s’endort

*

un faucon aux aguets 
au sommet d’une épinette 
soudain le silence
























mardi 4 avril 2023

perspective

 


La lampe est dans mon angle mort, donc mes yeux écrivent dans l'ombre de ma main. J'ai trop corrigé, ce répit de lumière me fait du bien. Trop de feuilles blanches ont défilé, la fibre du papier triturée par les encres noire et rouge, la pulpe a saigné, les oscillations ont vacillé et mes yeux ont défailli. Il y en a eu des charniers, de petits champs où l'ignorance s'est indifférée à tuer notre langue vivante. Ces moments où l'écriture devient l'instrument de mesure d'une possible idée un peu plus vraie parce que bien formulée, mais non. Leurs pensées se désarticulent, et plusieurs d'entre eux écrivent comme des pantins inconscients des fils et encore plus de qui les tire. J'ai trop corrigé, mais j'écris encore, j'ai des idées à construire. 

Je suis immobile dans l'espace stérile, mais mon esprit est ailleurs, en maints lieux en mêmes temps. Nos idées et nos actions sont des langages différents - nos idées se déploient dans la durée; nos actions, dans l'espace - et chacune a sa formule, une arborescence qui la détermine et remonte plus loin que la mémoire. Une des origines de notre existence est la conjonction d'une idée et d'une action qui n'auraient jamais eu d'impact si ce n'était de leur rencontre. 

Sous les illusions dansantes des idées, les mots que j'écris dessinent des arcanes et des énigmes d'où je ne tire aucune réponse. La création du sens est rendue facultative quand on sait qu'il prend naissance - ou pas - dans les réverbérations et l'écho d'une lecture attentive, et dans le champ fertile du regard curieux et sensible du lecteur. Il faut faire du texte le terrain neutre aux légers reliefs d'où émergera le sens selon qui le cultive puisque, de toute façon, il n'y a de sens que celui que nous créons. 

Mes abstractions m'étourdissent, mes errances et mes fuites me déroutent plus que jamais, mais ces étranges pulsions me remplissent de vie. Je ne fermerai pas les yeux devant l'horizon du possible. De prime abord, j'ai peur de ne faire aucun sens mais, après réflexions, puisque rien n'en a, à quoi bon ne rien faire? Pourquoi s'empêcher de façonner à pleines mains la tendre argile du verbe? La création est cette union de l'idée et l'action, un noeud sur lequel se reposer et prendre son temps, un accord dans le maillage infini de la nature, la naissance d'un élan au trajet inconnu; elle s'oppose à la destruction, et c'est peut-être ça le plus important. 
































































jeudi 16 février 2023

prélude

 

Je me suis fait tout regard dans une nuit de suie noire et ce qui commença en aveuglement effaré devint apaisé dans le secret du silence; j'accorde désormais mes actions à la geste du temps. La nature erratique des choses ne demande qu'à s'organiser dans l'harmonie des contraires. De plus en plus, je soumets ma passion à ma raison à la recherche de vérités, mais je ne découvre rien, rien de neuf en tout cas. Ne m'est révélé que ce que je parviens à construire; je constate des nuances se créer (qui sont peut-être ces vérités que je cherche - elles me donnent quand même la sensation d'être dans le vrai) et j'ose croire aux vertus de l'équilibre le plus précis. Mais si sublime soit-il, cet équilibre est également des plus fragiles; le maintenir demande une attention soutenue et une implication totale. (Peut-être quelque chose comme de la volonté?) Je sens résonner en moi l'écho de ce que je ne connais pas, il se rapproche et s'amplifie au lieu de fuir et disparaître, l'air de me dire que je trouverai ce que je cherche - ce qui existe - dans ce que je n'entends pas. Il ébranle l'édifice mais celui-ci tient bon, chaque corps a sa place et joue son rôle. Et dans toutes mes pensées, aucune réponse, que des questions; avec celle-ci qui me taraude plus que les autres (puisse-t-elle être prise en-dehors du temps, ou est-ce là une seule et même chose) : dois-je être ou devenir.












































 

jeudi 8 décembre 2022

 



l'effigie du jour
décapitée en retrait
abolit les pôles

*

le temps se reperd
entre l'automne et l'hiver
il ne fait plus froid

*

mes regards changent et 
mon confort devient malaise
le lucide a honte

*

l'urgence engourdie
je m'en remets à l'amour
d'une éthique utile

*

ciel bleu en bravade 
son vide arrogant m'agresse 
du plus bel éclat 

*

dans l'écho de l'encre
le vertige des noyés
s'étiole en silence

*

avant de mourir
il nous faut aller où l'on 
n'arrivera pas
























lundi 21 novembre 2022

 



Minuit dans son approche allonge les phrases de la lune. J'entends le verbe de la nature, ses temps et déclinaisons, un verbe impersonnel. Ma contemplation est perturbée par le relents du jour qui affluent pêle-mêle dans l'estuaire de mes songes. Au-dessus de ce bourbier trouble, l'appel éclaté du monde multiplie les éclairs, chaque décharge est brève et vive, mais l'onde de choc me pénètre jusqu'aux os. Des guerres indigestes dans le ventre de la tempête grondent là-bas, juste assez loin pour ne pas déranger; et nous nous endormons indélogeables de nos conforts. Je dors d'un oeil car mes rêves ont un goût amer. Désengagé dans un angle ou un autre, chacun de nous s'oppose. Nous vivons aux confins du prochain, au point le plus éloigné de centres inconnus. Nos orbites chaotiques n'ont rien de tracé, sinon affaissement et déclin. Nous sommes tous l'étranger de chacun, perdu dans l'élan effréné du monde. Je me défais du temps qui, comme un train sans conducteur, s'emballe à vitesse folle - à quand le déraillement? Il nous faut dompter notre rythme. Je ralentis et ressens le pouls du ciel, son étreinte souple et mystérieuse, son souffle intemporel.
















mercredi 2 novembre 2022

 




Comme une impression fugitive. Quand je me penche en moi, ce n'est point l'abîme qui me sourit, mais la luxuriance sauvage de ce que je défriche sans cesse. Ce n'est pas un hasard si, saoulé par le chaos de mes songes, je me tourne à ma fenêtre et m'apaise devant l'écho d'une nature plus forte. Savoir qu'elle nous survivra tous me rassure, et je ferme les yeux dans le soleil frais et tendre du matin. Je m'attèle à démêler la tourbière de mes pensées. Concentrer toutes réflexions si possible pour en arriver à une idée nouvelle, fruit des effluves épurés, d'un labeur qui ne me quitte plus. À l'éthique comme seule voie probable pour une meilleure vie se mélange la tentation de la solitude comme posture du lucide. Mais ce serait trop facile. L'aliénation de soi dans le corps social devient le contrepoids nécessaire à notre égoïsme fondamental. Tout est question d'équilibre. Chaque jour comme une corde raide et nous, funambules inconscients ou en mal de sommets, entre le vent imprévisible et le soleil frais et tendre.

















mercredi 14 septembre 2022

 






je suis riche comme le silence
de calculs rapprochant l'infini
je cultive toute arborescence 


































vendredi 2 septembre 2022




retourner la braise
en mode auto-construction
où rien n'est détruit

*

dépecer le monde 
avec des gestes polis
être une vigie

*

subir la pression
comme on ressent la souplesse
fugue en terrain vague

*

l'haleine du fleuve 
en mélodies fumigènes
au coeur de la ville

*

mon regard vacille
un oeil dans le crépuscule
le réel est double
















mercredi 3 août 2022

impromptu

 



Dimanche après-midi, promenade sur le rivage du fleuve. Il fait chaud et il y a des passants, des cyclistes et des outardes partout. Je me terre dans la solitude sourde de mes écouteurs d'où sort un impromptu à propos. Les bruits autour sont assourdis, mais ceux que je fais en marchant sont lourds et forts et je sens chaque pas, chaque contact de mes pieds au sol me traverser le corps au complet. Je marche sans destination aucune, j'erre tout simplement. 

Ma longue promenade m'amène vers le Parc des Rapides et j'en arrive à m'arrêter longuement une fois rendu aux bords du fleuve, là où les vagues déferlent avec plus de superbe et de confiance. J'enlève mes écouteurs et le bruit ambiant explose, comme si je venais de sortir d'une chambre insonorisée. Quand je les regarde, j'y vois tout d'abord une qualité erratique, un peu de chaos archaïque se manifestant, mais en prolongeant ma contemplation, le mouvement des vagues devient si harmonieux qu'il semble tout à fait prémédité et orchestré. Je m'assieds, ferme les yeux et j'écoute le bruit des vagues tatouer en moi le grondement formidable des eaux survoltées. Je me plais à imaginer, dans l'infiniment petit, la peau du tambour de mes tympans vibrer sous mille martèlements répétés à une vitesse furieuse, plus l'écho décuplé. Le bruit est incessant, il n'arrête jamais et ne mourra que lorsque le fleuve mourra, ce qui ne saurait se voir de vie d'humain (quoique...), ne dit-on pas d'ailleurs que la vague à Guy, un peu plus à l'ouest, est une vague éternelle?

J'ouvre les yeux mais déjà le voile aux nervures diaphanes apparaît devant mon regard et je n'entends plus les vagues. Comme si mon esprit était un petit bateau venant à l'instant de triompher des remous du fleuve et voguant déjà, juste un peu plus loin en bas du courant, sur les eaux calme d'une vie inspirée. La débâcle est constante mais en synergie avec une volonté de contrôle aux humeurs inconstantes. Puis cette idée de plus grand que soi dans l'existence de la nature m'envahit complètement. Mais ça revient vers moi parce que je suis celui qui lui donne cette dite existence - à l'idée comme à la nature -, je suis au coeur de ma perspective et endormir mes sens ou ma raison pour interpréter le monde est impossible. Du moins j'en suis incapable. La substance est réelle, mais elle n'existe pour moi qu'à travers mes perceptions. Au-delà de la substance, le bruit des vagues possède l'essence que mon esprit lui donne mais, elle aussi, n'est tributaire que de ma psyché, donc de mon existence. 

Pendant que j'essaie de démêler les fils de cette vérité, pour voir un peu plus clair dans tout ce maillage, quelques marcheurs passent à côté du rocher où je suis assis en ce moment, en pleine contemplation et réflexion, et ne restent jamais plus de trente secondes. Pour eux, il ne fait pas de doute que les vagues existent autrement et que leurs perceptions ne sont probablement pas en conjonction avec les miennes. Et il en est ainsi des vagues comme du monde. Les passants se multiplient et essayer d'imaginer comment ils perçoivent la scène en vient à m'étourdir. Le soleil devient plus cru, sa lumière rend l'écume des vagues encore plus criarde, si bien que je détourne le regard et reprends ma promenade pour retourner chez moi. 

Je remets mes écouteurs, le son extérieur coupe court, l'isolement revient, puis je repars l'impromptu que j'écoutais. L'image des vagues derrière, la mélodie d'un piano en-dehors du temps et le bruit sourd de mes pas suffisent à remplir qui je suis en cet instant précis, content que ces sensations et réflexions se multiplient, serein - et assurément naïf - à l'idée que le monde puisse exister en moi.

























dimanche 15 mai 2022

 


il se passe rien et tout à la fois
de vrais fragments poignent
cette aube comme un vase renversé sur le plancher du jour
les craques buvant ce qui en reste
jusqu'à la satiété des failles

aucune intention au bout des mouvements
les pensées stagnent dans la chaleur grise
la patience avant l'orage avant l'éclipse 
m'enlise en terrain neutre
dans ma propre révolution
ouvert aux totalités avenirs

j'arrête et repars aux caprices du jour
l'invisible animal souple des humeurs mystères
de son haleine engourdit mes élans 
caresse l'équilibre des souffles

mon attention s'égare puis revient 
sur ce qui reste de l'aube

le prisme se dilate et mes regards sans heurt
se reposent de lumière 

sur le plancher tout aurore bue
il est frais dans l'ombre tendre
et craque un peu moins ce matin 
























dimanche 1 mai 2022



Écrire comme on dessine sur une feuille, sans intention aucune, toutes directions possibles. Le temps d'une grande tasse de latte à la surface dessinée en brouillon laiteux. Depuis hier je sens la bride de la fatigue se détendre et relâcher son étreinte enfin. La course des dernières semaines fut effrénée éreintante, je peux maintenant me ressouffler. Dans le matin calme, gorgé de soleil, le silence est habillé de musique, tous les voisins dorment encore et je me sens sereinement seul. Une sonate de Franz Schubert me rappelle le concert de cette semaine. "Schubert a en commun avec Mozart cette faculté de fixer le ciel alors qu'il est au plus profond du trou noir", écrivait l'inimitable Christophe Huss dans Le Devoir le lendemain du concert. Cette image résume à merveille ce compositeur qui ne me lâche plus depuis quelques années déjà. Le pianiste gallois Llŷr Williams (j'avoue avoir arrêté mon élan pour trouver le "y" avec un accent circonflexe et j'ignore toujours comment prononcer ce prénom) nous a offert la sonate D.959 et ce fut un torrent d'émotions qui me traversèrent à ce moment, jusqu'à ces quelques larmes qui coulèrent pour mieux aller se réchauffer dans ma barbe durant l'andantino. Cette sonate comme une tempête de doigts d'où fusent les mille variations d'une âme impétueuse (mais laquelle ne l'est pas?). J'aimerais bien écrire un livre qui s'intitulerait Les trois dernières sonates de Franz Schubert, j'ai l'impression que n'importe quelle histoire pourrait s'appeler ainsi. Au concert, mon ami Marco m'a fait remarquer la jeune femme assise à côté de nous. Elle portait une robe asiatique blanche à étoffe épaisse et texturée de dessins que je ne saurais esquisser, elle portait surtout des gants en dentelle et son ensemble lui donnait des airs de fantôme victorien. Sans attarder mon regard sur elle, j'ai néanmoins remarqué qu'elle écoutait le concert les yeux fermés. Quelles images et quelles sensations pouvaient bien l'habiter? Ses souvenirs du temps qu'elle était vivante dans un château oublié de cette Angleterre gothique? Les landes grises et vertes comme le fourreau du vent. Ou peut-être était-elle cette poupée de porcelaine ayant pris vie qui écoute la sonate les yeux fermés pour se créer des souvenirs? Qui sait. La mémoire comme une architecture d'alcôves et de seuils, de tiroirs hétéroclites et de fenêtres à vitrail. Une cathédrale vivante qui respire, qui ronfle ou qui chante. Les souvenirs comme des illustrations sur les murs de l'antichambre du présent. Mon café est rendu froid. Dans les modulations lentes de la sonate, là où les tensions se calment, le silence devient un peu plus présent et les voisins sont plus absents que jamais. Quelque chose cloche. Peut-être l'éclat du soleil matinal amène-t-il un calme que le froid des précédents jours empêchait. Étrangement, je vais m'ennuyer de l'hiver bientôt. Mon esprit commence à errer plus loin que les phrases peuvent en rendre compte, je gomme les ellipses d'un temps à coudre. Incapable de tout mettre en ordre; mes images sont des distillats parfois frelatés. Images et pensées comme plein de petits noeuds à faire et défaire - j'aimerais connaître par coeur tous les noeuds, surtout celui bien solide qui ne demande que le mouvement précis et unique pour être défait. Mon cerveau est un filet de pêche aux mailles interlacées. Mes livres ronflent au soleil et demandent mon attention et mon temps, mais le fleuve m'appelle. Son cours vif-argent déshabillé de glace sera le creuset de mes prochains regards et d'images à naître. J'irai étudier ses tumultes réguliers, je sonderai les ombres de son lit invisible, là où les algues dansent. La sonate est terminée. S'arrêter un instant est nécessaire avant le prochain élan. Toute cette volonté qui nous traverse. Nos marches seront peut-être conjointes. Qui sait.  






















 

vendredi 18 mars 2022

éloge de l'inachevé

 

chaque achèvement amène sa petite mort
il faut laisser l'oeuvre perdurer dans le silence
en musique consonante 

nager dans les soupirs 
et les vagues imprévisibles d'un commun néant 
qui passe 
latent

quand les intervalles apaisent le chaos 
jusqu'à ce que le destin se berce
des va-et-vient sur place 
là où les nombres s'épousent
glissent autour du lustre
vers l'irradiant 
dans l'éclat total de la beauté 

il faut décliner les angles de la lumière
trouver les détails dans la chair du flou 
sans foncer jusqu'à l'éther 

dans les seconds mouvements 
toutes les petites morts évitées
les détours du changement 
les sacrifices adaptés

libérer la constance de tout ordre
maîtriser l'agonie 
toute la vie en ressort
 
l'inachevé comme un étirement 
de l'esprit déployé en fauves 
des lyres de souplesse dans l'émail du corps
donner du temps suspendu



l'on n'achève pas ce que l'on est
l'on ne souffre aucun frein 





















samedi 19 février 2022

il y avait long temps

 




la dense mécanique de mes songes errants
insiste en mes tempes des accords dérangés 
lancent aux oreilles des marcheurs indifférents 
les échos aigus de mélodies en danger

dans les reliefs du froid j'ai puisé mes présences
et rêvé l'hiver fierté d'une simple fresque
je crains des douleurs la solitude cadence
et m'épuise au profond de mon être grotesque

quand le bourdon des neiges furieuses balaie
mes traces et que la tempête oublie tout de moi
perdu dans l'abîme d'un absurde ballet

je refais surface dans mes obscurs émois
toute volonté sait reconnaître son maître
obstiné dans la drave des beautés à naître

















mardi 25 janvier 2022

 



J'épuise le soir à coups de paupières lourdes et le temps aboli se défait dans un art inconnu. Qu'est-ce qui deviendra du rêve, de la mémoire ou de l'oubli complet? Je laisse mes pensées sans portée à la fugue jusqu'à ce qu'elles revêtent des images mystères, comme des reflets du monde repliés sur tout et rien à la fois. Falsifier l'écho dans l'harmonie insécable des contrepoints du temps et de l'espace. Lumière et noirceur superposées sur le pétale de ma peau qui disparait et n'existe que pour moi. Toutes ces formes que je ne comprends pas. Pourquoi s'obstiner à chercher le jour en pleine nuit? Dans mon inquiétude muette, je sens des immobilités traversées par le monde. Tout le remous d'une âme tremblant dans le silence des yeux. Je sens que le vent chante par-dessus les cris de ceux qui meurent de froid ou divaguent en rampant au plus profond de la solitude. La fugue continue dans les différents stades évasifs de la beauté, et je ravale mes larmes de sombre effroi.

























dimanche 12 décembre 2021

je vis par hasard

 

je vis par hasard
recraché d’un lit animal 
au fleuve aveuglant

satellite ma présence au monde
me place en parallèle 
de ce qui arrive 
de la possibilité d’un espoir

caché dans une tranchée
à genoux dans la vase
derrière un masque incertain 
mon esprit est invisible
mais mon corps sent la peur
m’étourdit et je dérive

souillures et défaillances 
mes gencives saignent de terre
je ne vois pas mes mains qui tremblent
glacé j’éclate dans l’ombre
en sanglots de lumière
















vendredi 3 décembre 2021

la flamme d’une chandelle

 


la flamme d’une chandelle une vie insignifiante un temps et vibre l’écho des phrases lancées dans l’indifférence asyntaxique de qui ne sait plus se concentrer des paroles gaspillées un symbole perdu dans une mer de signes mon inspiration saigne du nez le temps devient sec comme l’écorce de décembre les feuilles restantes de rouille fragile tremblent et craquent dans les trop grands vents mon air de glace figée dans chaque respire je m’essouffle à l’écume de mes pas dans le vague des heures où je cultive ma mémoire défriche les souvenirs et tous les oublis fanés toutes mes incessantes marches vers mes idéaux et mes échecs je les ai perdus mes petits dépossédés de poèmes scrapés de regards limités l’illusion d’un horizon d’un autre monde au bout du bras comment font-ils asociaux à Morphée pour ne pas voir plus loin ils sont la froide somme de la solitude confinée pourtant vivants et si proches de la mort en même temps je les aurai aimés quand même et je serai resté fier j’ai gardé phare et panache devant leurs moulins sans vent et poésie où j’ai tâché dans leur plus grande indifférence de semer un peu de désir et de volonté mais leur inattention aura tout dispersé chaque grain désablé de l’univers sablier sans essuyer les souillures de leur ego distrait malgré mon échec ils ne m’auront jamais fait perdre mon panache 

*

ce n’est pas complaisance 
de constater le vernis décoller 
les fondations pleument 
et je m’ébroue dans le silence et la nuit 

je me vide sous la superbe agonie des étoiles 
où je vois poindre dans l’hiver des deuils pluriels

la sève s’assèche 
et s’achève le monde que j’ai connu 
toujours décalé 
mon esprit est un terroir d’idées mortes
je commence à croire 
que je ne sais plus disserter des choses 
que je suis à côté de tout 
sauf de mon amour 


















dimanche 14 novembre 2021

 





j'attends une marée que je n'espère plus
je repousse mes réponses aux questions sans fin
en étirant le moment comme seule précaution

j'espérais des actions honnêtes
mais les humains se méfient
cette crainte de voir l'autre devenir un miroir

j'espérais des coeurs humbles
et non les esclaves d'une liberté
qui n'est brimée que par leur bêtise

j'espérais des âmes vraies
désarmées des mensonges 
que nous nous répétons

comme nerveuses excuses
toutes ces voies qui déroutent
et ces voix qui déraillent

la marée ne vient pas mais 
la lisière du soleil offre des promesses 
crue est la lumière qui taillade l'attente











vendredi 22 octobre 2021

vendredi soir

 


une ride dans la brume
les gratte-ciels au loin démultipliés
comme des phares névrosés
architectes de peurs immobiles
je sors de mon coin du monde
fonce en un crépuscule flou
je pars dans ce qui va arriver

solitude en terrasse
toute la semaine se dépose 
en même temps que moi 
et s'évanouit dans ma première bière
je mets le monde sur pause
j'expulse de moi tous les derniers jours
je me refais en attendant demain

je repars dans une nuit excentrée
lumières criardes et réverbères 
je me faufile dans les failles du vent
erre en vagues et terrains
et retrouve mon coin du monde
dans le silence chaud de son étreinte
et l'automne calme de ses yeux































jeudi 16 septembre 2021

 






dans l'aurore les soupirs d'une nuit froide
s'évadent en buée
le vent court d'une fenêtre à l'autre
un bref moment de pur silence 

j'aurais aimé me réveiller fatigué de rêves
mais la rumeur commence à gronder
pris dans un étau difforme entre
tout ce temps perdu et celui à trouver

mais je n'entends que des cris
et la matière s'échappe de mes sens 
je n'avance ni ne recule
mon regard concentré dans toute sa force 
sur une cible qui s'éloigne
je laisse les énigmes se délier






















mercredi 21 juillet 2021

nature morte (ou pas)




Ciel gris pâle aux mille flous, sans nuées d'oiseaux dessinant leurs traces, mais qui ont plutôt choisi de paresser en plein coeur de l'été. Un ciel peint par un vent constant qui souffle inépuisable de l'ouest sans cesse depuis plusieurs semaines. À croire que le vent n'a qu'un sens et qu'une origine, trop lointaine pour être visible. Le frémissement touffu des arbres - cette chair implacable - fait mouvoir l'immobile. C'est là le premier spectacle qu'offre ma fenêtre (les autres m'indiffèrent pour l'instant). Sur le bord de celle-ci, deux vases en verre remplis d'herbes séchées - thé des bois, lichens, cèdre, sapin baumier et cocottes pris sur un territoire protégé; on a tous nos petits méfaits - ça ne sent plus grand-chose, c'est juste beau maintenant. À droite, deux petits pots de terre cuite protègent des fleurs sur le point d'éclore. Puis de grosses plantes en pots dont j'ignore les noms habillent le coin inutile et oublié du salon - tout espace a un coin oublié -; l'une ressemble à un petit arbuste penché et une autre, à un tronc mince et court d'où jaillissent quatre énormes feuilles aux nervures saillantes, d'où suintent et s'écoulent de grosses gouttes d'eau trouble. Paresseux supplice de la goutte tombant sur mon plancher innocent et stoïque, marquant le temps qui passe d'une imperceptible érosion. Tout ça me paraît sans odeur, mais si je devais m'en départir, je m'en rendrais compte, tout ça m'apparaît essentiel désormais : j'admire la ténacité des plantes. Au coin opposé, peut-être un peu plus utile, une vieille lampe de lecture sur pied s'enracine dans les craques du plancher et sert de mât aux chétives toiles d'araignées trop fragiles pour que je les enlève. Je n'ai pas de problème avec les petites, mais quand une araignée trop grosse à mon goût se pointe le bout des pattes de dessous le divan, je l'envoie jouer dehors. Deux d'entre elles ont essayé de revenir, mais je sais être ferme dans mes résolutions. Pu capable de m'asseoir à mon ordinateur, étant donné les circonstances de la dernière année, c'est dans mon vieux divan rouge, laid et trop rigide, que j'ai installé mes quartiers estivaux. Il y a des coussins déformés, un vieux plateau de bois en manque de vernis et marqué de cernes de tasse à café, plusieurs sous-verres en carton ondulé d'humidité, une couverture au patron mexicain, un carnet, des stylos, trop de livres et trop de cds - mes anachronismes -, bref toute la nourriture nécessaire à mon repos et à mon indolence où mon cerveau alterne entre le feu doux et l'ébullition, quand il n'est pas à off, vautré dans le tissu stérile de l'été. Les mots des autres, les films des autres, la musique des autres. Je ratisse large dans le spectre halluciné des oeuvres dont je me nourris - faire la dissection de mes influences serait plus complexe qu'il n'y paraît - et si je me défais sans effort du moins digeste, je me laisse charmer, en ultime spectateur, quand je tombe sur une puissante épiphanie. Je les cherche de plus en plus et sais mieux les trouver. Les moments qu'elles me font vivre sont chargés de vie et de poésie, mais elles contribuent également à renforcer mon incapacité chronique à me lancer dans un projet d'une quelconque envergure et une crainte ridicule et l'inaction qui en découle réussissent à distiller une culpabilité absurde qui freine mes élans et confirme ma lâcheté. Peut-être qu'un premier signe de courage est de le reconnaître? Mais qu'est-ce que le courage aujourd'hui de toute façon.

J'écoute le chant du monde et l'orchestre est désaccordé. J'isole certaines partitions et parviens à y trouver des impressions qui ne sont que les miennes en fait. Un ciel aux mille visages, le parcours des nuages, le tremblement des ondes dans le vent, les multiples détails d'une rumeur informe, les vibrations de la maison que j'habite, les odeurs mortes d'un souvenir et la sensualité sublime des nervures d'une grosse et grasse feuille de vivace. Ça ne sert à rien, mais pourtant je vois dans toutes ces teintes le métal souple des corps éclatants. Mes impressions sont hétérogènes, mais leur gestation me souffle des secrets qui évoluent dans une patience concrète et précise que je parviendrai à mettre en mots. Je sais que les images sont bien accordées.


































samedi 3 juillet 2021

 




Me réveiller bien au chaud sous ma lourde couette de plumes, dans l'appartement anormalement froid en cet étrange matin de juillet - deux jours après de grandes chaleurs ne m'ayant qu'abrutit -, toutes fenêtres ouvertes et traversées d'un grand vent chargé de nuit fraîche, à côté son corps endormi plus brûlant encore, voilà ce qui me prédispose à une matinée des plus calmes et sereines. Libéré des soucis du travail depuis plusieurs jours déjà, après m'être posé pour ralentir l'élan, je pourrai enfin me reposer et m'offrir le luxe d'une oisiveté espiègle où je ne serai bon qu'à lire.

Au sortir du lit, les yeux encore pétris de sommeil et le corps se déliant de l'immobilité nécessaire au rêve, le froid est si bon que c'en est une bénédiction. Dehors, je n'entends que la rumeur de l'aube qui s'anime : chants d'oiseaux, bruissements des feuilles, désertions humaines sinon l'écho d'une voiture passant très loin et la somnolence d'un ciel paqueté de nuages. C'est à ce moment, avant le premier café, la première page ou la première musique du jour, que je suis le plus calme possible, proche d'une paix complète avec moi-même, déposé, posé et reposé. 

Et c'est à ce moment que je sens soudainement mes failles travailler, tranchées saillantes, ce qui me plonge dans un paradoxe dont je me passerais bien. Habituellement, dans l'état d'alerte et de tension que provoquent tantôt ma vie professionnelle tantôt ma vie sociale, un élan perpétuel me détourne du repos, m'empêche de me poser et de se ressentir, dans la lenteur et la patience, les faiblesses et les blessures de mon être; je les sais présentes et m'en accommode, je travaille dessus. Mais lorsque mon environnement me dispose au calme et à la tranquillité, lorsque les failles s'activent, désirantes d'être ressenties et considérées, et me refusent le repos complet, ce sont alors elles qui travaillent sur moi.

À savoir si je sors grandi de cette impression paradoxale, je ne saurais répondre. Dois-je chercher le repos et accepter l'éventualité d'une introspection tranchante, ou le mouvement perpétuel de l'action permettant de s'éloigner de ce que tous cherchent à fuir? La question a plus d'importance que la réponse et s'y attarder est probablement plus positif que négatif, mais quand doit-on arrêter le questionnement? On cherche à s'en échapper ou l'on accepte que la réponse nous échappe? Essayer d'être calme sur la corde la plus tendue.






































dimanche 2 mai 2021

impression

 






Par un étrange dérèglement dont j'ignore encore la nature exacte, j'ai vu passer cette semaine plus de jours qu'il y en a eu. Je sais que cent nuages ont passé dans le ciel mais je n'en ai vu aucun. Et pourtant un orage n'a cessé de me suivre comme un voyeur feignant sa nonchalance et les vents ont mis trop de temps à le disperser. Dans cette grisaille dormait une colère bousculée, prête à s'éveiller à tout moment pour s'étirer et se délier des contraintes. Un dédain de soi aux multiples voix concertées s'est fait aller le timbre et le cuivre et a pesé lourd en mon être désordonné. Je me suis multiplié en me scindant, j'ai épuisé toutes les parties de l'ensemble et je me suis désassemblé sans pouvoir me ramasser. Ce n'est qu'au sortir de cette dissipation, dans l'exécution d'une tâche unique visant un seul objectif, atteint de surcroît, que j'ai été en mesure de comprendre mes troubles des derniers jours, et maintenant j'essaie d'aiguiser ma lucidité sur la lumière d'un soleil froid. J'ai failli crier, mais savoir que mon cri irait se perdre dans l'indifférence du monde m'a retenu. Albert Camus a dit de l'absurde qu'il naît quand l'appel humain se confronte au silence déraisonnable du monde. Le mot "silence" est mal choisi ici - le silence serait une bénédiction - car c'est à l'indifférence dissonante du monde que se butent nos appels. Nous sommes tous au fond de l'abîme des autres, nous avons tous notre inexistence. Le silence sait autre chose. Il est l'allié, le prochain langage à apprendre, j'en étudie les mystères et lui écris sans cesse, il est peut-être l'ultime destinataire. Je dois seulement ne pas tomber dans le piège où je m'accuse coupable de n'être pas entendu. Le silence est merveilleusement sauvage, à contempler sans chercher à le dompter. Il s'agit d'en construire lentement la mélodie et le sens, d'observer sa danse et d'entendre mieux ce qu'il dit.

































samedi 17 avril 2021

 




être plus sensible à la mécanique des jours, les secondes les minutes les heures ont toutes leurs engrenages précis, des corps automatiques à la sensualité tantôt apaisante, tantôt dévorante


être plus sensible à leurs alliages, tous ces fils entrelacés tirant chacun vers leur origine, des toiles tissées de multitudes sans que le centre s’écartèle, juste un noyau en expansion, être largesse 


être plus sensible à la méthode avant qu'un fil ne parte en vrille et se torde ou se casse et dérape, voir les outils se multiplier et adapter les formes les unes aux autres, orchestrer ses schémas 


être plus sensible à ces chants, quand la souplesse du son s’installe et que s'adoucissent les angles, être à la fois le craquement et l'empreinte muette, tout est polyphonie quand je est un autre