jeudi 27 avril 2017

mardi

Murs beiges-gris-plate de la classe et le temps dehors non moins gris-plate. Étudiants endormis sur le bord de se faire réveiller en crisse parce que gros, très gros cours aujourd'hui, celui qui sépare les allumés des éteints, ceux qui embarquent de ceux qui restent sur le quai de la passivité. To be or not to be. Être ou ne pas être. La traduction est incomplète en ce sens où, dans la langue anglaise de l'époque, Be veut autant dire être que faire. Il faut faire pour être, comme il faut être pour faire. Même si les deux notions sont très proches, la traduction française n'a pas le luxe de la polysémie. Évidemment, tout le monde connait la célébrissime réplique d'Hamlet, mais personne connait la suite de la tirade, là où il tente de répondre à la fameuse question, c'est donc là-dessus que s'attèlent les étudiants ce matin, à grands coups d'incompréhension que je dissiperai pendant une heure et demie aujourd'hui et une autre heure et demie vendredi. Je peux presque entendre les ondes de leurs synapses sollicitées, le travail de l'intellect, comme jamais. "Monsieur, deux cours sur un soliloque, c'est pas un peu exagéré? - Sachant que ça fait plus de 400 ans que ce soliloque défie et mystifie les lecteurs qui veulent bien s'y frotter, non, deux cours, ce n'est pas exagéré." Personne s'est obstinée. Après une grosse demi-heure laissés à eux-mêmes, ils sont, pour la plupart, dans le flou, donc je rectifie le tir. Voir les yeux de Justin s'écarquiller alors qu'il vient de comprendre, c'est pour ça que je fais ce que je fais, que je suis ce que je suis. Il vient de comprendre que Shakespeare n'a rien de ringard, rien de daté ; il vient de comprendre les notions d'intemporel et d'universel, il vient de comprendre quelque chose d'énorme, il a une prise de conscience. Son visage change. Ses muscles se relâchent. À la crispation de l'incompréhension succède le relâchement de l'illumination. On pourrait presque voir une sorte de maturité naître, en direct. Une sorte d'épiphanie. Juste ça aurait plus que fait ma journée. Ils seront une dizaine à avoir cette réaction.

Plus tard en après-midi, les murs sombres du Musée des beaux-arts remplacent les murs beiges-gris-plate de la classe. Mais ils ne sont pas sombres longtemps ; pendant deux heures, je déambule dans les différentes salles où est consacrée une exposition à Marc Chagall. Maelström, explosion, symphonie de couleurs, que d'expressions galvaudées qui ne rendront jamais hommage à ce que je suis en train de voir. Pas de regarder, de voir. Je prends littéralement dans la gueule, à bout portant, une trâlée de salves de canons à couleurs. Chagall se réinvente à chaque oeuvre et on reconnait sa signature, le verbe de ses couleurs, à chaque fois. Après une heure, les élèves en visite qui me tapaient sur le gros nerf solide n'existent plus, je ne vois que de la créativité humaine à la puissance mille, toutes les oeuvres bougent : mouvement dans l'immobilité, y'a quelque chose qui vit dans ses oeuvres. Je dois m'arrêter à quelques reprises, respirer, réaliser, j'hallucine. J'interpelle deux dames qui partagent mon émotion et mon enthousiasme. Je leur dis que je n'en reviens juste pas. Je suis presque étourdi, à deux doigts du syndrome de Stendhal. 

Parce que toutes ces belles émotions m'ont donné soif, je pars rejoindre les chevaliers pour notre rendez-vous hebdomadaire, en notre lieu, à notre table. Ç'aurait pu s'arrêter là, mais non. On parle voyages, littérature, poésie, arts et vie, Dionysos, Bacchus et Vénus, Kundera, Whitman, Dostoïevski, Nietzsche. Encore. On parle du silence comme contrepoint de la vérité. De l'amour à un sens, comme dirait Nietzsche : "Et si je t'aime, est-ce que ça te regarde?" Les pintes d'entrechoquent, les poings s'abattent sur la table. C'est pas de la colère, c'est de l'énergie. Et on en a inépuisable en nos verres, nos têtes et nos coeurs, inassoiffable en nos gosiers, nos rêves et nos vers. Rien ne nous arrête, on passe d'une montagne à l'autre sans les escalader, mais plutôt en sautant d'un sommet à l'autre. Entre deux transports, je regarde pour la ixième fois si des billets pour Bonobo se sont libérés. C'est sold-out depuis trop longtemps, j'ai tardé à me décider. Surprise : je parviens à me trouver un billet. J'irai en solo, par soir pluvieux, dans un Métropolis plein à craquer écouter le surdoué. Auditoire en sueur tout autour que je ne sens pas tellement je suis creusé en mon menhir. Quatuor à cordes, section cuivre, guitare, drum - le drummer est une ostie de machine, une gorgone ; le regarder trop longtemps, c'est l'hypnose assurée - chanteuse au soul impossible, Bonobo au centre avec ses claviers et sa basse issue directe de l'ombre, toute pleine d'échardes de lumière. Presque deux heures de musique qui domptent et soumettent totalement le corps. Faut danser disait l'autre. Ainsi soit-il. Et ce faisant, l'oubli devient si simple et si beau. Et ce faisant, la catharsis, toujours trop sous-estimée, s'opère et évolue comme la lente mue régénératrice d'un puissant serpent qui avance, inlassablement, dans cette nuit qui n'appartient qu'à lui.

dimanche 23 avril 2017

Cirer ses bottes. Le noir brille. Le parfum empyreumatique de la cire. Proche du vinyle, du goudron. Coups de brosse sur le cuir qui s'assouplit. Embaumer sa barbe des reflets soyeux d'une odeur sapinée... Grande marche au parc. Bonobo et rien d'autre. Dehors une superbe solaire. Puis une discussion avec l'ami français. Six heures de décalage. Six heures de temps. Notre heure n'est pas la même. Notre temps est différent. Mais nous sommes là. Sur la même onde. Avec les mêmes doutes, avec le même espoir... En face, un couple. Deux humains et deux cellulaires. Comment ne pas les plaindre. Être désolé. Un peu... Retour à Whitman et Nietzsche. Des feuilles d'herbe pis du gai savoir. Que de la force... Personne ne regarde les arbres autour. Érables et chênes. Solitudes centenaires... Voir la mort passer au loin. Inoffensive. Pour l'instant... Tabac sombre du cigare. Parfum de copeaux de bois calcinés. Vernis nature de plantes exotiques. Fragilité de la cendre sous l'implacabilité de la flamme. L'oxygène crée le feu. Paradoxe de la vie quotidienne... Boire un superbe vin d'Alsace. Pas juste une coupe. La quille au grand complet. Parfums de fleurs inconnues. De fruits à cueillir et goûter. Flirter avec Marie-Jeanne. Écouter ses errances, accepter ses névroses. Défaire un foulard absent pour fleurer une nuque invisible. Savoir que les fauves du désir seront relâchés dans le rêve pour mieux s'incarner auprès de l'inaccessible, dans le néant. Dans un champ de stèles érigées en mémoire de rien... Trouver dans chaque geste, dans chaque moment de la solitude un vouloir-vivre. Une exaltation. Une extraordinaire liberté. 

vendredi 21 avril 2017

un retardataire


constat de l'échec
une larme sur l'ardoise
la pierre prend vie


mardi 18 avril 2017

haïkus d'Escalier (suite)


deux lignes défaites
l'arbre danse dans le vent
la fraîcheur de l'ombre
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regard silencieux
elle s'est vue dans mes yeux
reflet inversé
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une beauté trouble
patienter devant l'énigme
espérer un cri
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Miron, Whitman, Nietzsche
les murs tapissés de morts
des vers éternels
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le verbe et l'énigme
lignes parallèles qui
se touchent quand même
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amène la gloire!
les autres sont des enflures
amène la gloire!
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ma main maladroite
devant de possibles adieux
confort de l'étreinte
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avant leur départ
les déesses trébuchent et
soufflent la chandelle
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l'avalanche tombe
crépuscule des idoles
je n'ai pas de fin
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un sommeil sans rêve
est à prévoir pour celui
déserté d'espoir
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attendre le coup
imparable, dans la plaie,
sans pouvoir agir
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et viendra la crise
dans la nouvelle saison
des larmes et des fleurs
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gaspiller le temps
à déconstruire l'amour
encore et encore
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car c'est bien plus beau,
le soleil brille dans l'encre,
quand c'est inutile

mardi 11 avril 2017

Nietzsche, dithyrambe de la solitude pure
Comment devenir ce que l'on est
du désarroi et de la souffrance finit
par renaître la volonté
Walt Whitman, ultimate lover of life
dans ta superbe ta démesure
- échos d'Arcade fire tantôt dans le Parc La Fontaine
And I search for you in every passing car
dans tous les visages inconnus
que des fantômes en mal d'humains à hanter
Gogol, t'avais raison su' quasiment toute -
Kerouac, natural born freeman
Freud, Proust et James fuckin Joyce
tous ces livres sur ma table, my soul's trap
en attendant d'aller voir Hamlet
- le soleil vient de finir de faire son agace
il vente à ébranler les chênes
il vente à briser les chaînes
la poésie définit le monde
qui ne peut qu'être orage ce soir
évidemment -
lire, tout lire
pour pallier à l'impossibilité de tout écrire
je veux que mes yeux brûlent d'avoir trop bu d'encre

samedi 8 avril 2017

"En réalité, on n'a perçu, de la symphonie du devenir universel, que la partie chantée par la civilisation, mais on est resté sourd à la mélodie des instincts, malgré son intensité primitive."
- Sigmund Freud

vendredi 7 avril 2017

tout Nils Frahm depuis l'aube
tous les haïkus de Jack murmurés
comme de petits mantras
yerba mate très amer - on corrigera plus tard -
dehors le bruit sourd de la brume
dehors le printemps se prend pour l'automne
un autre calepin de terminé
un autre pan de vie que je range
avec une sorte d'indifférence calme
dans ma bibliothèque
                                         à l'abri

mardi 4 avril 2017

haïkus d'Escalier


Portishead ce soir
des souvenirs plein la tête
routes accidentées 
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les muses se moquent
entouré d'indifférence
par-delà l'orage
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one more dreamless night
'tis strange, nothing to repress
but all to express
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s'obstiner à voir
dans l'illusion de l'éclipse
juste un peu de temps