jeudi 7 décembre 2023


Las de démêler les amalgames qui se tressent et se détressent en moi ; épuiser de me perdre dans les flux et reflux des nébuleuses erratiques de ma conscience, j’essaie de m’oublier, de me fuir en regardant le monde. Expérience impossible puisque c’est en moi qu’il vit. Ce vers de Rilke : « Ô moi qui veut croître / je regarde au dehors et c’est en moi que l’arbre croît. » Combien de milliers de mots j’ai crachés sur les pages pour tâcher d’harmoniser le chaos? Mais dans mes fouilles, les sédiments s’entremêlent et je me perds dans les strates intérieures de l’être. Jusqu’où peut descendre l’introspection? J’ai l’impression de détailler de loin, en plissant mes yeux troubles, les braises d’un feu ardent. Je m’en retourne vers le monde, mais n’y voit qu’un chaos que je comprends encore moins (faut le faire!). Puis je m’attarde sur les arbres enneigés dehors. Un énorme chêne plie ses branches lourdes d’une neige endormie depuis qu’elle est tombée. J’ignore si ce chêne croît en moi, mais je sens s’installer entre nos deux présences une harmonie. Un calme que l’hiver appuie. Au loin, je sais que le monde gronde. La rumeur me le rappelle, les jours passés et à venir aussi. Les bottes martèlent leur mécontentent devant l’hypocrisie de dirigeants corrompus par le pouvoir et l’argent, devant un gouvernement d’une redoutable mauvaise foi. Le tissu social contre un tissu de mensonges. Je trouverai peut-être dans les désordres conjoints un peu d’harmonie. Sinon, je repenserai au calme émanant des arbres recouverts de neige endormie. Certaines branches touchent presque le sol. Les prochains jours seront froids, mais ceux qui marcheront ne plieront pas. 
















jeudi 16 novembre 2023

 

Café tiède dans mon Thermos, un léger goût de métal. Mes étudiants font leur examen, à livres ouverts, je suis las de surveiller quiconque essaiera de tricher. Dehors novembre. La cime des arbres découpe le ciel, couleurs d’automne sur fond bleu. Je ferme les yeux - allez-y, trichez si vous l’osez! - et m’imagine le bruit des feuilles mortes craquant sous les pas, je sais que le plaisir de cette sensation me durera longtemps. Plus loin à l’est, des manifestants pro-palestiniens bloquent le pont Jacques-Cartier, je n’ose imaginer leur souffrance et écrire à ce sujet me semble d’une futilité sans nom. Les tremblements terrifiants d’une déchirure. Quand nos réalités s’entrechoquent, on prend notre part de coups, au sens propre comme figuré. Les métaphores ont aussi leur violence. Imaginer Gaza assombrit mes pensées et l’être humain m’écœure. L’Histoire continue de perdre pied sous le poids de l’horreur… Une étudiante vient me tirer de ma réflexion et me pose une question. Une autre question inutile comme elle m’en pose depuis le début de la session. Son anxiété de performance est maladive, peut-être même pathologique, et, pour elle, tous les moyens sont bons pour avoir la meilleure note : mentir (à répétition), la fraude (ChatGPT), le chantage quant à sa cote R, les messages répétés pour avoir les questions à l’avance sinon les réponses aux questions, etc. Elle veut faire médecine, j’avoue ne pas comprendre. Il m’est arrivé plusieurs événements cet automne qui ont fait de ma session une des plus difficiles de ma carrière et qui mériteront que je m’y attarde davantage prochainement. Oser élaborer quelques études de cas. Mon regard balaie la classe - peut-être aurai-je réussi à faire une différence pour certains, peut-être - et retourne se perdre sur la cime des arbres du parc Angrignon. Le bleu du ciel pâlit. Dehors novembre, mais ce sont les Cowboys qui jouent dans ma tête. Resteront leurs chansons. Mon Thermos est vide, l’amertume du café m’apaise, au moins pour un temps.












lundi 9 octobre 2023

 



(toujours) au mitan de mes distances
le doute ploie mon genou sur la dalle
froide d'une brume amère
les lézardes enracinent le sol 
il pleut sur les pierres

dans l'humilité j'écoute l'encens muet
le sel d'un automne patient 
repu de s'être déposé (ce fut un long voyage)
l'horloge se fatigue et ralentit 
le poids des blessures qui creusent en moi
l'ambitieux sillon d'une inaudible portée

à mi-chemin de l'ombre et du silence 
une voix éperdue une chandelle flambe
mes deuils inconnus disparaissent 
et latentes mes langueurs pourront partir 
d'exil en migration

enfin comme un maître sans marteau
et las de ses métaux je calmerai 
mes révoltes dans l'alcool de la retenue
rien ne les protège
les désillusions seront leurs

j'en prends à témoin le vent du fleuve
je garderai mes larmes pour une autre fois
où les confidences du passé auront
peut-être
un semblant de sens






























mercredi 27 septembre 2023

accumulation

 

Laquelle des dernières ébauches devrais-je reprendre et développer pour me réapproprier cet espace? Pourquoi ce frein? Et pourtant je n'ai tellement pas dit mon dernier mot. Il faut continuer de se construire, continuer à devenir. Une sonate de Haydn jouée par Brendel par dessus le bruit du midi, infinies mélodies dont je ne me lasse pas, une gorgée de café tiède dans ma tasse qui traîne à côté des 73 copies qui me restent à corriger, je suis rendu à la semaine 6 de la session déjà, et déjà deux cas de fraude où des étudiants ont utilisé leur montre intelligente, tricher à son examen sur Baudelaire, attentat antipoétique à souhait, il y a lassitude ici et elle pèse d'un poids un peu plus lourd à chaque fois, le spleen inévitable de la cinquième semaine de cours, à chaque session ça fait ça, je fuis ma tâche un cours instant, le temps de regarder la lumière dans les feuilles du chêne qui rouillent, promesse d'automne à venir, la fraîcheur des nuits muettes comme contrepoids au soleil trop chaud de ces journées de septembre, à quand un peu de pluie? je me sens étrangement anachronique, toujours cette aliénation subtile d'une individualité aux prises avec les oppressions implicites de notre monde postmoderne, les contraires se chevauchent et me demandent plus d'introspection qu'à l'ordinaire, tout ceci m'impose à organiser mes pensées plus que jamais pour ne pas être submergé par celles-ci, juste éclaircir tout ça pour que le noyau du présent ne débarque pas de son axe, juste pour ne pas perdre complètement le contrôle, mes pensées confuses se bousculent à la sortie, mais ce foisonnement demeure pertinent je crois et l'effort constant de ma conscience me donne une énergie que je ne soupçonne pas toujours, il faut juste trouver le moyen de la canaliser, comme je devrais trouver un moyen de finir ce texte, le fait est qu'il ne peut pas avoir de fin, c'est un perpétuel work in progress. Comme absolument tout d'ailleurs.

















samedi 3 juin 2023

 




la canicule enfin tombée
le vent s'en donne à coeur joie depuis
aussi libéré que moi - pour un bref instant -
du poids de notre insouciance abrutie 

bruissement incessant des feuilles
les poumons de la terre cherchent leur souffle
pendant que le Nord brûle dans l'invisible
ses nouvelles cicatrices
et Schubert dans l'aube 
autrement silencieuse

ma voix inutile continue de faire
sa reptation étrange 
dans l'indifférence harmonieuse 
des beautés contraires

point d'orgue 
la durée s'étire souple 
dans la polyphonie du temps
le passé meurt au contrepoint de sa naissance 





















mardi 9 mai 2023




Une nuit sans sommeil. Si seulement je pouvais expliquer cette insomnie passagère par le tourbillon de la pensée, mais non... Mon esprit, abruti de fatigue autant que mon corps, ne parvient même pas à lancer la pensée qui démarrerait le flux de conscience dans l'élan implacable de son déploiement. J'ai enchaîné les morceaux de ma trame sonore nocturne habituelle, mais rien n'y fait, je suis à la fois sourd et alerte, rien ne m'engourdit et les mélopées de minuit m'indiffèrent. Une nuit sans sommeil désertée de toute mythologie, sans pulsions et sans rêves. Les yeux fermés paupières brûlantes, je m'applique à l'écoute attentive de ma respiration, mais je n'entends que le redoutable sommeil de mon amoureuse à côté, son abandon semble profond et total. Ses courbes caressent mon oeil. Son sommeil m'apaise parce que je sens qu'elle se repose et récupère. La nuit fraîche pénètre par la fenêtre ouverte de notre chambre, si bien que nos chaleurs - son corps endormi, mon esprit éveillé - cohabitent et s'activent, elles me réconfortent, mais non... Le sommeil ne veut rien savoir de moi. Illusion du silence au coeur de la nuit. Les bruits nocturnes dehors suivent leur cours et, dans la distance, me caressent malgré tout pour me rappeler que je suis exactement où je dois être, même si ce n'est pas tout qui coopère. Une nuit sans sommeil. J'aimerais en profiter pour rassembler mes idées et créer quelque chose d'original, mais non... Je suis incapable de me fuir. Je me vautre dans d'insignifiants abandons pour m'oublier, juste un peu. C'est un de ces moments où le poids de la pensée, pourtant invisible et immatérielle, est insoutenable. Je ne perçois rien tandis que la paix de l'esprit étouffe et cherche son air. Juste souffler le temps d'un moment de repos. Désorienté et sans repère, je divague dans ce que la vie ne m'a pas offert. Mais que sont ces reliefs à peine ébauchés où rien ne semble exister, comme si l'inconnu et le mystère se matérialisaient, pour mieux me narguer, devant moi? Les distorsions grésillantes de l'ombre pèsent sur mes yeux usés par le temps et je ne vois rien de distinct. Le flou comme fossé entre moi et le monde. J'aimerais tant être nyctalope... Épuisée et ankylosée à ne rien faire, ma conscience décide soudain de s'étirer dans le mutisme souple de la nuit où l'inconfort et la patience s'escriment dans un affrontement sans issue. Toute concentration rassemblée, je m'évade vers un point de fuite invisible au centre d'un scotome obscur et... plus rien. Je suis là, éveillé. Abasourdi et tout à fait confus : venais-je de rêver sans dormir ou avais-je rêvé que je ne dormais pas.  









 

lundi 17 avril 2023

Haïkus de printemps

 


ce que le jour offre 
à mon regard défait les 
fils de l’éphémère  

*

le printemps s’éveille
des écureuils se pourchassent 
dans l’élan du rut

*

quand l’instant contient
juste un peu d’éternité 
l’attention s’évade

*

le chant des oiseaux 
dans les branches de l’érable 
qui reprend ses forces

*

un avion dans le ciel 
amène le crépuscule 
le soleil s’endort

*

un faucon aux aguets 
au sommet d’une épinette 
soudain le silence
























mardi 4 avril 2023

perspective

 


La lampe est dans mon angle mort, donc mes yeux écrivent dans l'ombre de ma main. J'ai trop corrigé, ce répit de lumière me fait du bien. Trop de feuilles blanches ont défilé, la fibre du papier triturée par les encres noire et rouge, la pulpe a saigné, les oscillations ont vacillé et mes yeux ont défailli. Il y en a eu des charniers, de petits champs où l'ignorance s'est indifférée à tuer notre langue vivante. Ces moments où l'écriture devient l'instrument de mesure d'une possible idée un peu plus vraie parce que bien formulée, mais non. Leurs pensées se désarticulent, et plusieurs d'entre eux écrivent comme des pantins inconscients des fils et encore plus de qui les tire. J'ai trop corrigé, mais j'écris encore, j'ai des idées à construire. 

Je suis immobile dans l'espace stérile, mais mon esprit est ailleurs, en maints lieux en mêmes temps. Nos idées et nos actions sont des langages différents - nos idées se déploient dans la durée; nos actions, dans l'espace - et chacune a sa formule, une arborescence qui la détermine et remonte plus loin que la mémoire. Une des origines de notre existence est la conjonction d'une idée et d'une action qui n'auraient jamais eu d'impact si ce n'était de leur rencontre. 

Sous les illusions dansantes des idées, les mots que j'écris dessinent des arcanes et des énigmes d'où je ne tire aucune réponse. La création du sens est rendue facultative quand on sait qu'il prend naissance - ou pas - dans les réverbérations et l'écho d'une lecture attentive, et dans le champ fertile du regard curieux et sensible du lecteur. Il faut faire du texte le terrain neutre aux légers reliefs d'où émergera le sens selon qui le cultive puisque, de toute façon, il n'y a de sens que celui que nous créons. 

Mes abstractions m'étourdissent, mes errances et mes fuites me déroutent plus que jamais, mais ces étranges pulsions me remplissent de vie. Je ne fermerai pas les yeux devant l'horizon du possible. De prime abord, j'ai peur de ne faire aucun sens mais, après réflexions, puisque rien n'en a, à quoi bon ne rien faire? Pourquoi s'empêcher de façonner à pleines mains la tendre argile du verbe? La création est cette union de l'idée et l'action, un noeud sur lequel se reposer et prendre son temps, un accord dans le maillage infini de la nature, la naissance d'un élan au trajet inconnu; elle s'oppose à la destruction, et c'est peut-être ça le plus important. 
































































jeudi 16 février 2023

prélude

 

Je me suis fait tout regard dans une nuit de suie noire et ce qui commença en aveuglement effaré devint apaisé dans le secret du silence; j'accorde désormais mes actions à la geste du temps. La nature erratique des choses ne demande qu'à s'organiser dans l'harmonie des contraires. De plus en plus, je soumets ma passion à ma raison à la recherche de vérités, mais je ne découvre rien, rien de neuf en tout cas. Ne m'est révélé que ce que je parviens à construire; je constate des nuances se créer (qui sont peut-être ces vérités que je cherche - elles me donnent quand même la sensation d'être dans le vrai) et j'ose croire aux vertus de l'équilibre le plus précis. Mais si sublime soit-il, cet équilibre est également des plus fragiles; le maintenir demande une attention soutenue et une implication totale. (Peut-être quelque chose comme de la volonté?) Je sens résonner en moi l'écho de ce que je ne connais pas, il se rapproche et s'amplifie au lieu de fuir et disparaître, l'air de me dire que je trouverai ce que je cherche - ce qui existe - dans ce que je n'entends pas. Il ébranle l'édifice mais celui-ci tient bon, chaque corps a sa place et joue son rôle. Et dans toutes mes pensées, aucune réponse, que des questions; avec celle-ci qui me taraude plus que les autres (puisse-t-elle être prise en-dehors du temps, ou est-ce là une seule et même chose) : dois-je être ou devenir.