vendredi 27 juillet 2018

3369 kilomètres



Fait qu'on a pris la route 155, la route de la St-Maurice, en passant par La Tuque, pour se rendre au Lac-St-Jean, les longs vallons s'étiraient beaux dans l'heure bleue avant d'arriver, Lac Bouchette s'est offerte dans un coucher de soleil magnifique mais aveuglant, tellement qu'on a dû s'arrêter à un moment donné quand il y a eu trop de soleil, je sentais l'horizon du Lac St-Jean juste après la lumière, le lendemain il nous offrirait des horizons à perte de vue à l'intérieur des terres, le Lac serait bien mouvementé, comme une mer intérieure, fait que c'est comme ça qu'on a commencé notre road trip.

Le lendemain, on a vu de ma famille, ma mère rapetisse à vue d'âge pis ça me fait mal, elle a trop d'énergie dans un corps qui suit plus, sur le bord du Lac, devant une eau juste assez frette, on a jasé pis rattrapé le temps perdu, je la vois taire la douleur de son corps rendu chétif qui souffre, plus d'orgueil bien placé dans ma mère de 4 pieds onze que dans tout ceux que je connais, en ce qui me concerne, me semble que plus on vieillit pis plus on aime, sinon la vie fait juste aucun sens.

Ensuite à Alma un deuxième show du Québec Redneck Bluegrass Project en deux semaines, après les avoir vus en grande rentrée montréalaise au Club Soda, on avait la chance de les voir dans un contexte complètement différent, deux membres du band viennent d'Alma pis ça faisait trop longtemps qu'ils n'avaient pas joué là, la crowd était vraiment vraiment jeune, le band était au somment de son art, en cohésion totale, juste assez chaud pour pogner l'instant, c'était un lundi, y'avait plu menaçant en crisse pendant toute la journée mais on a eu le show sec et sauf, Marie-Jeanne aidant, le show fut bien unique, juste à nous, on s'est dit qu'il fallait continuer de vivre les choses comme si c'était la première fois, à chaque fois.

Le but était de partir manger de l'asphalte, jusqu'à pu faim, un char pis une barge de bitume, sauce macadam, après le Lac, les Monts-Valin, le Nord du Saguenay comme l'antichambre de l'immensité du Grand Nord qui se pointe en haut de nous, on est juste capable de regarder au sud, le nord est trop loin et trop grand, on fait deux hikes, un tranquille, l'autre juste assez intense, je ne me lasserai jamais de gravir des montagnes, rendus en haut, elle et moi on se regarde, on dit rien et on se comprend trop, ça va être comme ça pendant toutes nos vacances parce que c'est toujours comme ça anyway, un moment donné, sans faire exprès, elle m'a révélé son plus beau profil depuis que je la connais, un profil où son regard traversait toute, j'ai croqué l'instant, c'est rendu ma photo préférée. 

Après, le Saguenay, post-déluge depuis plus de vingt ans déjà, "T'étais où pendant le déluge?" partout et nulle part que je lui ai dit, on a été chanceux, on a rien perdu, je lui montre tous les endroits importants de ma jeunesse, ceux qui m'ont construit, la maison et le quartier de l'enfance, mon école secondaire (mon école primaire a été rasée), le cégep, l'université, mes premiers appartements, là où j'ai travaillé, etc... Chicoutimi n'est plus ce qu'elle était, enfin c'est l'impression que j'ai, je ne me reconnais plus dans cette ville, je serai toujours fier de mes origines et de ma ville natale, quasiment chauvin même, mais je ne pense plus appartenir à cet endroit, comme à aucun endroit d'ailleurs, et je me demande si c'est une bonne chose, rien ne vaut mieux que bouger dans ces cas-là.

On a vu ma soeur et des amis avant de partir pour la Côte Nord, là où le vrai road trip a commencé, à Tadoussac, on est allé se poser où la confluence des eaux à lieu, là où le fleuve et le Saguenay se rentrent dedans, ensuite on a entrepris notre montée vers le nord, je ne connaissais rien au-delà des Bergeronnes, de là à Sept-Îles, les paysages étaient magnifiques, tantôt à flanc de falaise, tantôt à flanc de montagne, on a écouté de la musique à en avoir de la corne sur les tympans, tout le meilleur du kéb et du classique, c'était beau et prenant et fort, je l'ai regardée, amoureux, et je l'ai vue amoureuse, comme rarement je l'ai vue, les heures changeaient, s'acclimataient à son visage et dessinaient sur lui de nouveaux phares, dehors, la route était sinueuse à souhait, mais c'est elle qui nous épousait.

Après un show de Galaxie à Sept-Îles tout ce qu'il y a de plus percutant, encore fébriles et plein d'énergie, on est parti vers Natashquan, on s'est enfoncé en plein dépaysement, on avait quand même observé, entre Baie-Comeau et Sept-Îles, le délabrement des lieux, sur les routes, on a l'impression que les maisons périssent et meurent, pourrissent un peu ayant vieilli prématurément, secouées un peu trop fort par le vent, dans une région négligée où nos bons dirigeants brassent pu grand-chose, ça nous a rentré dedans quand même, ensuite, vers Natashquan, ce qui m'a secoué, c'est l'aridité des landes, la pessière et le début de la taïga, les baies à marées basses, les humains amarrés bas, toujours prêts à partir, au loin ou pas, sur le fleuve, et nulle part ailleurs, où le regard s'épuise, le fleuve qu'on a vu toujours retiré au loin, tantôt séduisant, tantôt agaçant, mais jamais furieux, alors que j'avais trop envie de voir sa violence, mais non, dans les baies, le sable respirait en attendant, dans un calme sur lequel ventait le froid.

"Dans toutes les toilettes des femmes, il y a des pubs dénonçant la violence conjugale avec des numéros où appeler", qu'elle m'a dit à un moment donné, j'avais pas idée que ce fléau touchait la région, et ça m'a fait mal ça aussi, ça m'a rendu triste, la région se meurt, sans le tourisme et Hydro, elle serait déjà morte, les heures de gloire de la pêche sont bien loin derrière, entre Natashquan et Kegaska, j'avais le sentiment de rouler sur une route gravelée d'injustices et d'inégalités, discrètement on a fait l'étalage de nos hontes et de notre culpabilité héréditaire en tant que nation colonialiste, les réalités des autochtones nous happaient, on s'est senti vraiment mal, le long de la route s'accumulaient les beautés tristes, les épinettes étaient maigres, dans les vapeurs et les nuages, des paysages découpés aigus d'épinettes effilochées et dégriffées, ça a sorti comme ça dans mon carnet, le Québec est une belle province pleine de routes tristes.

Aller jusqu'au bout d'une route, c'était ça qu'on voulait, pourquoi? je saurais pas dire, juste aller au bout de quelque part, juste avant Kegaska, les nuages s'affaissaient sur la taïga, tout semblait stérile, à force de faire du char, des fois tu te demandes pourquoi tu vas si loin, mais ça n'a plus d'importance, une fois arrivé là-bas, ils étaient au ras du fleuve rendu golfe, les nuages étaient rendus si bas sur l'eau qu'on les goûtait, c'était frais, clair et vif, aucune odeur, mais je peux dire que dans ma vie j'ai goûté à un nuage, pis ceux qui me croiront pas, ben c'est parce que ça ne leur ait jamais arrivé encore, on a trempé nos pieds dans l'eau étonnamment chaude, placé nos mains sur la pancarte "route 138 fin", pis on est reparti avec le sentiment du devoir accompli, c'était un devoir un peu absurde, mais on a eu A+, on a trouvé du calme dans notre chaos.

Fait qu'on a fait demi-tour pis on a recommencé à revenir chez nous, encore plus sereins, pendant tout le long de notre road trip, elle et moi aurons été sur la note, synchros, j'aurai pas vu le fleuve en maudit, mais je vais avoir vu là où l'horizon rend la route miroir et où son reflet s'assèche et s'évapore à mesure qu'on avance, on aura bu les meilleures bières du monde, plus de soixante, avec tous les parfums et saveurs inimaginables typiquement d'ici, ça fleurait bon les épices sauvages, on aura senti de l'orage pis de la mer à en créer de nouveaux souvenirs, pis des plus beaux à part ça, on aura survécu aux légions d'estie de mouchetiques (y'a pas de faute ici), on aura écouté de la toune d'amour à nous loader de rêves et d'espoir, j'aurai été capable de faire un peu de ménage dans ma tête, mon coeur et ma vie... et je suis désolé si mon amour n'a pas les formes simples des chansons qu'on écoute, s'il s'exprime selon les détours confus de mon esprit assoiffé de toi, mais sache que ton coeur qui bat sourd dans le silence des kilomètres avalés, nos sourires complices et mes regards qui peinent à s'épuiser sur l'infini de ton corps ne sont que les pauvres mais ô combien vraies métaphores et conjurations étranges de mon coeur amoureux de toi.


































samedi 21 juillet 2018

réouverture temporaire - haïkus à Mélie



de petits mots denses
désamarrent les encres
les ancres volent et dansent
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la route m'avale
me recrache auprès de toi
couronné d'étoiles
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aller dans le jour
une émotion à la fois
au bout de nos vies
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au bord de la route
nos fantômes font du pouce
mais le char est plein
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la lumière verte
sur le cuivre de tes yeux
des diamants sauvages
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attiser la nuit
pour amoindrir nos violences
et s'aimer enfin
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de fausses promesses
d'orages - la lune nous
sourit dans le soir
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j'ai espoir en nous
les prémisses du sommeil
dissipent nos peurs
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je peine à trouver
l'animale que tu es
tu es en plusieurs
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le lierre aviné
de l'ivresse grimpe sur
nos tendres tristesses
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la pluie sur la tôle
le vent dans les fleurs sauvages
ta beauté nacrée
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on garde nos larmes
pour ces instants de joie
que le soleil jalouse
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elle était toxique
la muse des mauvais sorts
toi tu es magique
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accorder les heures
où je me déploie en toi
poussé par un souffle
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de sueur fanée
le pouls de l'aube se pose
léger sur ton sein



























jeudi 5 juillet 2018














La chaleur dans les chairs. Dans la canicule, les gyrophares chantent. Les sirènes n'ont pas toutes des queues de poisson. Ça ne pouvait qu'imploser---ou pas---dans une déflagration d'images de songes éclatés de lumière sombre. Des brèches, des failles et des plaies où pulsent d'obstinés souvenirs rampant comme lierres trop touffus, où poussent les grappes des alcools d'hier. Trop de mots, trop de lettres, écrites ou non, lues et relues, envoyées ou non. Être en manque de correspondance. C'est la faute à Jack Kerouac. And his madlongletters pleines de flamboyance. Surtout celles au tournant de 1950-1951 lorsqu'il vient de découvrir sa façon d'écrire, quatre mois avant l'état de transe qui amènera On the road, lorsqu'il sait qu'il doit trouver le It qu'il fera chanter dans toutes ses oeuvres à venir. Lire et constater et voir---lettre par lettre, les unes après les autres---la voix de Ti-Jean naître, parce que the voice is all... Sentir que dans certaines lettres, c'est à moi qu'il écrit et personne d'autre. 
    Écrire à défaut d'aller voir son monde. Ça ça ferait changement. Mais encore là, pas le temps. Dans la catégorie des poèmes du quotidien un peu niaiseux : prendre le temps/de faire les choses. On pourrait ajouter "défaire les choses". Parce que tout est toujours faire ou refaire, ce qui équivaut à défaire ce qui était---et on parle même pas de parfaire. Mais pas le temps---étrangement. Se sentir en dette, comme si je devais quelque chose à tout un chacun. (Y'avait huit rencontres à avoir, des bières entre amis, connaissances et esprits, j'en ai eu deux, j'en ai relancé trois, qui pouvaient pas ; j'ai bu à la santé de tous.) 
   Écrire à la place? Prendre le temps de faire les choses. (Je devrais mettre à exécution mon désir d'écrire une lettre à personne et à tout le monde, à soi et à autrui, mais sans superadressé. En fait sans autre superadressé que celui qui ne l'a jamais été, que celui qui n'existe pas---Yes, the "mysterious reader") Cinquante pages de notes not nuts manuscrites non retranscrites à accumuler les haïkus, à lettrer les épiphanies comme on chiffre l'univers, à lire les ratures, à grappiller citations de Joyce, Pessoa et Kerouac qui constituent la quasi-entièreté d'une attention, plus que singulière mettons, depuis beaucoup (trop?) de temps déjà---Dois-je me surprendre être intrigué par les mythes à ce point? (Là-dessus, chapeau Fernando! La palme du lucide te revient : Myth is the nothing that is everything. Bravo Personne! (Non, mais tsé...)) Cinquante pages à la calligraphie changeant selon le temps, l'émotion et l'espace, finding patterns into chaos that shouldn't be there. Dois-je me surprendre que toutes questions et hypothèses ou réponses s'accumulent tout le long droit de pages obliques pour en arriver à la fin du carnet à cet unique mot écrit en grosses lettres : INTIMITÉ---??? (depuis beaucoup de temps déjà)). Mais quoi dire. Le serpent siffle : "Tous ces cents vicieux secrets!" Quand l'in- devient l'ex-. Cinquante pages de notes à partager à parsonne. À part faire. À parfaire.
   ---Peser sur pause un peu. Prendre le temps. Savoir le faire. Savoir. Savoir-faire. Savoir-vivre. Savoir vivre. Vivre. Peser sur pause pour quelques temps, question de le retrouver et le prendre. Écrire le temps. Kerouac : "And anything I write from now on is my own business and my own possession and I have no fear that it will be useless." Ça semble si simple. Tout accumuler l'inutile jusqu'à ce qu'il s'avalanche, blanc sourd et noir criard (ou l'inverse) de mots enrobant le silence seul---un silence pour chacun, pour chaque mysterious reader, jusqu'à épuisement des stocks.
    D'ici là, je serai fermé pour rénovations.
    Je suis parti manger de l'asphalte.
    Je suis parti embrasser le frette.