mercredi 31 mai 2017

L'heure bleue

Pour les photographes, l'heure bleue est ce moment de la journée assez bref entre le jour et la nuit, le laps de temps entre le moment où le soleil s'est couché et que la nuit n'est pas encore tombée, comme si celle-ci bordait le jour par l'embrasure de la porte de la chambre sans y rentrer. En d'autres mots, c'est le crépuscule ou la brunante, peu importe, la métaphore l'emporte sur le mot dans ce cas. Et c'est valable également pour l'aube, mais comme tout le monde dort, quasiment tout le monde devrais-je dire, personne n'y porte vraiment attention. Toujours est-il que pendant l'heure bleue, c'est l'atmosphère qui se charge de diffuser la lumière du soleil, celui-ci somnole, donc il n'a cure de continuer son travail pourtant presque infini. Presque, parce que, comme toute chose, même le soleil mourra éventuellement. L'on dit que pendant l'heure bleue, le temps se fige, le calme domine, le bleu devient plus sombre que d'habitude, et partout autour ses reflets se déclinent en une palette de bleus pâles touchant presque qu'au sublime. Mais je ne pense pas voir l'heure bleue aujourd'hui parce que je surveille pendant huit interminables heures des étudiants en train de réussir ou d'échouer leur session. Si je pense à l'heure bleue, c'est parce que le hasard, dans son auguste magnanimité, a décidé de me condamner dans un local - toujours sans fenêtres, faut pas se leurrer - aux murs bleus au lieu du crisse de beige habituel. Une fanfare célébrant ce renouveau aura joué dans ma tête pendant au moins un gros trois secondes. Pour donner l'impression que l'illustre tâche de surveiller ces tâcherons est d'une importance capitale sous la tutelle de la plus glorieuse éthique, je me promène dans la classe à travers les pupitres pour m'assurer que tout se passe dans les règles du non-art, c'est-à-dire celui de rédiger une laxative dissertation sans contrevenir à la nécessaire morale anti-plagiaire. Tout se passe très bien, leur concentration est telle qu'elle gomme leur audace à se risquer à tricher. Donc rien n'attire mon attention un peu engourdie jusqu'à ce que je tombe sur un pupitre vide sur lequel est gravé le prénom "Macha", un des nombreux diminutifs du prénom russe Maria. Spassiba Dostoïevski! Je m'arrête, regarde lentement les lettres. C'est grossier, gravé avec la pointe d'un compas probablement (sinon quoi?). Mais les fissures sont assez profondes quand même et je ne peux m'empêcher de voir que ce petit acte de vandalisme inoffensif résulte d'une solide adéquation d'ennui et de volonté. L'étudiant qui a fait ça témoigne de son ennui avec une détermination peu commune, il n'a clairement pas fait ça d'un seul trait, donc c'est devenu quelque chose d'important pour lui, il a voulu, de cours en cours, s'asseoir systématiquement à la même place pour continuer son ouvrage dont la réalisation s'est probablement échelonnée à moyen terme, comportement obsessif s'il en est un ; rendu là, ce n'est plus du vandalisme, c'est la marque maladroite de quelqu'un qui détruit (ou altère) pour créer. Macha. Les prénoms féminins qui n'ont que des "a" comme voyelle sont magiques. Macha comme la cousine à Vasily rencontrée au Café de la Mairie à Paris il y a de cela trois ans alors qu'on enfilait des quilles à l'aveugle entre amis. Un café à un jet de pierre du Panthéon où repose trâlée de poètes immortels, misère et corde. J'étais avec deux tops du vin, donc je me suis fermé la gueule pour pas avoir l'air idiot et pourtant j'avais misé juste sur la première bouteille. Une grosse syrah sale et poivrée bien tannique et enivrante à souhait. Macha était là, Vasily nous avait dit à mon pote et à moi qu'il n'avait pas vu sa cousine depuis un bon bout de temps et que, dans son souvenir, elle était un peu immature. Nous, mi-trentenaires, nous attendions à rencontrer une post-adolescente trippant sur les mangas russes (c'est un oxymore) ou écoutant de la pop asiatique de bouette (c'est un pléonasme). Le préjugé n'aura pas duré une minute, moins de temps qu'entre l'heure et l'heure bleue. En fait, ce n'était même pas un préjugé, c'était un prjug ; onomatopée d'ébahissement devant un des avatars les plus accomplis de Vénus. Macha dont les yeux bleus et les cheveux blond vénitien aussi purs que blé au vent illuminent toujours des images bien précises. Une Russe partie étudier la neuropsychothérapie (what the?) en Australie, en visite à Paris pour un colloque, belle brillante et complètement sympathique, - plus tard dans la soirée, elle me lira du Gogol en russe, je ne comprendrai rien, mais elle le fera pareil - souriante, curieuse et apprenant sur le vif nos trois français : un avec un accent russe, un avec un accent français et un avec un accent québécois, mal et diction. Dire qu'on a failli se taper le Louvre ensemble elle et moi le lendemain (je place les musées parmi les endroits les plus romantiques qui soient). Fidélité, quand tu nous tiens. Je nous aurais vus avoir le musée à nous deux, que ce soit dans l'aile des stèles étrusques, ou sous les toiles sombres de Delacroix, ou sous les clairs-obscurs d'un Vermeer à la recherche de l'ultime lumière, ou sous les plafonds illustres de la Renaissance, on aurait fait la bête à deux dos comme personnes. Une chose est sûre c'est que les toiles et les statues auraient pris vie à nous regarder et auraient été envieuses de nos abandons communs, de nos fièvres faisant suer peinture et vernis, car même si ces oeuvres sont immortelles, elles restent figées, chose que nous n'aurions jamais été Macha et moi. Fantasme, quand tu nous libères. Je sors de ma brève rêverie et reviens à l'ensemble de la classe. Pendant les huit heures que dureront cette journée, je repasserai plusieurs fois devant de pupitre, le touchant presque à chaque fois, comme tentant de protéger quelque chose qui n'est connu que de moi, qui n'appartient qu'à moi, des images précises situées juste là, dans un prénom gravé sur un pupitre, entre le passé et le présent, dans une heure bleue qui n'en est pas vraiment une, mais qui au fond n'est que ça, parce que l'heure bleue existe aussi pour la pensée.

lundi 29 mai 2017

Un monstre chuchote derrière moi, siffle entre ses lèvres. Je sens venir la violence d'une vie dans l'herbe fraîche. Mais toute violence a une fin. Fracas sauvage de l'aube. Sol et murs de pluie verte. Les mâchoires de la rosée embrassent la nuque, la pierre perce la dépouille, le front éteint. La mémoire s'enracine dans l'argile incertaine. Comme des pantins disloqués, les pensées sont fatiguées de danser tout croche et pour rien dans l'indifférence nue.

dimanche 28 mai 2017


pu de correction
la Neuvième de Beethov
de gloire et de joie


vendredi 26 mai 2017

Dans l'écoute du silence, n'entendre que le bruit que fait l'écoute du silence. Le souffle des bruits blancs survolant le spectre chromatique du son. L'agonie muette de minutes fusillées. Un vide murmurant les muses essaimées ; fugitives autour du temps vertical, en périphérie de l'origine, au-delà de la naissance. Les rangs sans retard se rompent. L'on conserve les armes pour mieux refuser le combat. Se détourne le visage des ronces, la désertion comme plus bel échec. Dans la noblesse de l'inaction passionnée, il faut désapprendre le tourment de l'homme libre.

dimanche 21 mai 2017

débouler par en haut

ai passé le temps avec le vent l'aut'soir surchargé de parfums et de promesses il était à me raconter ses fantômes déguisés en nuit noire entrailles aux couleurs d'ébène concentrée de lumière bleue il fendait le ciel impunément inconstant tout en transport à désaccorder le soir dors dans mon sang va-t'en mais reste encore qui chantait l'autre dans son spleen par-dessus les fantômes tout plein de beauté c'était cet hymne pour cette nuit unique il nous faut regarder avec courage dans le coeur de la beauté et tenir entre la main et ce coeur une vérité brûlante éclats de verre saturés de chaleur pendant que les miroirs agonisent suturer encore et toujours les plaies des langueurs perfides les fissures dans la peau du souvenir en attendant que se dépose complètement immobile l'insomnie sédiments de poussière sur le sommeil une quiétude impossible... relents des discussions avec l'ami là-bas au loin à six heures plus tard d'ici un peu en avance sur notre temps il est l'ami à philosopher dans ses vignes et ses friches et moi ici en retard à déchiffrer mes échecs mes ivresses mes progrès et mes vices à voir dans les sèves bues de nouveaux puits et à accueillir tous ces colporteurs d'infini pendant les trois dernières années avec l'autre cette l'impression de n'être qu'un fantôme que le reflet d'une idylle pâlissant avec l'aube et c'est la même chose encore aujourd'hui seulement je n'ai plus personne à hanter mais pas grave je ne souffre pas la honte du mensonge seulement la liberté du vrai je survivrai aux sentences aux jugements des autres je continuerai l'écoute du silence à des vies de distance à caresser les muses à défier les augures à amener la gloire encore inlassablement il n'est de prophète que nous bâtards d'amours avortés dans lesquels nous ne tomberons plus

mercredi 17 mai 2017

Nul ne lui [l'artiste point vaniteux] est comparable dans les nuances de l'automne avancé, dans la félicité indescriptible d'une ultime et toute fugitive jouissance; il sait une résonance particulière à l'intime étrangeté des minuits de l'âme, où cause et effet paraissent se disjoindre alors qu'à tout instant quelque chose peut naître "du néant": plus heureusement que tout autre il puise à la source souterraine de la félicité humaine et pour ainsi dire à la coupe vidée de cette félicité où les gouttes les plus âpres et les plus amères finissent par se mêler aux plus douces; il connaît cette lassitude de l'âme qui se traîne et ne sait plus bondir ni voler, ni même marcher : il a le regard effarouché de la douleur cachée, de la compréhension inconsolable, de la séparation inavouée; oui, en tant que l'Orphée de toute secrète détresse, il est plus grand qu'aucun autre et, d'une manière générale, il a enrichi l'art de maintes choses qui jusqu'alors paraissaient inexprimables et même indignes de l'art, de celles que la parole ne pouvait éluder - réalités demeurées insaisissables, infimes et microscopiques de l'âme : en effet, il est le maître des réalités infimes.

- Nietzsche, Le Gai Savoir

dimanche 14 mai 2017


l'aube entamée dans la plaie
vivent les lumineux reliefs de l'onde
sa chevelure dans le vent défait
sur son visage le refuge de l'ombre

samedi 13 mai 2017

Le long du chemin pavé de nos étreintes, des rêves déchiquetés gisent. Enlacés, tout ce temps plongés dans l'âme du silence, nos corps perdus à rapprocher les astres, à cueillir les murmures, à sceller les éclairs hésitants, et sans relâche, continuer d'assembler le ciel. Nos lèvres jointes sur la blessure du bruit. Nous nous sommes retrouvés sur le mauvais versant du feu.

jeudi 11 mai 2017

Martèle dans l'aube sans origine, littoral flou entre la nuit et le jour, le chant criard plein d'étincelles d'un oiseau, un seul, qui est là sur une branche parmi mille et qui vit. Et moi aussi dans le monde endormi je suis fin seul aux confins des autres, banni, en exil sur une terre de manchots, toutes mains refusées, tout élan aboli. Le vent suffoque et les heures molles dégoulinent leur plomb sur le bras du temps.

mardi 9 mai 2017

errances en détours dans les avenues autant mentales que physiques à fouler des pieds la cendre invisible du jour à s'isoler des bruits de la ville autour en écoutant les chants superbes de la toxique sirène have to touch myself to pretend you're there coquine coquine coquine Lana puissant cristal érotique conjoncture de fantasmes de parfums et de lumières her voice is sex it is not sexy it's sex Éros sublime souffles lascifs et malgré l'absence même si elle n'est pas là oser croire que nos soupirs s'embrassent fusionnent fondent et forment une lave qui n'appartient qu'au temps en train de relire les Illuminations du plus précoce génie sorte de retour aux sources aux racines aux souches en ce qui me concerne la révolte et l'amour comme troncs indélogeables inabattables en le parcours défriché à regret parfois de ma conscience mais il reste du pas tuable en soi faut croire une volonté qui pousse à hurler aux arbres ces si fidèles oreilles ces si augustes complices tous les secrets de l'encre à tutoyer les astres en dansant avec candeur dans un crépuscule sans fin dans une ronde de cercles imparfaits où les points de fuite ont quitté leur centre infini les satellites se désorientent les révolutions se désaxent les grands vents dominent et soufflent sur les poussières de l'aile de l'instant ce papillon ce maître de la métamorphose cette nymphe de tempête leur chaude indifférence je est un autre tu est un autre nous ne sommes qu'autres malgré nos noms sur nos lèvres comme ultimes prières qui ne sauraient sauver tous ceux coupables d'avoir un peu trop aimé

dimanche 7 mai 2017


dimanche matin
être en manque de grandiose
chercher l'absolu


Le jour est tombé sans que je m'en aperçoive parce que ça fait des jours qu'il pleut. Nuit et jour n'ont plus d'importance, le passage des lourds nuages rythment le temps et le spleen. Et s'épuisent les relents de l'absinthe, les ivresses passées se distillent en amertume. Rien faire, tout arrêter, de penser surtout (im-pos-si-ble). To tame all the scorpions in the mind with greater tragedies. Going back to the Bard. Relire Othello. Qui aurait dû s'appeler Iago en fait tellement c'est lui, the greatest villain ever, qui tire toute les ficelles, qui prend dans sa toile toutes les mouches inutiles que sont les autres. (Les émotions s'entremêlent, se conjuguent et tissent de biens étranges fils...) Si cruel et vil et en même temps d'une intelligence si implacable. La scène 3 de l'acte 3 est absolument monumentale, une dissertation experte sur le pouvoir terrifiant de la suggestion. Ce qu'une idée qui germe dans l'esprit peut faire comme dommage... Iago est détestable en tout et pourtant, la moitié de ses répliques sont de pénétrantes vérités. Et ses derniers mots sont d'une force : "Demand me nothing, what you know, you know ; / From this time forth, I never will speak word." L'empire de qui décide de se taire. Une araignée, une tarentule bien venimeuse devrait porter son nom, et pourtant

Virtue? A fig! 'Tis in ourselves that we are thus, or thus : our bodies are gardens, to the which our wills are gardeners, so that if we will plant nettles, or sow lettuce, set hyssop, and weed up thyme ; supply it with one gender of herbs, or distract it with many ; either have it sterile with idleness, or manur'd with industry, why, the power and corrigible authority of this lies in our wills. If the balance of our lives had not one scale of reason, to poise another of sensuality, the blood and baseness of our nature would conduct us to most preposterous conclusions. But we have reason to cool our raging motions, our carnal stings, our unbitted lusts : whereof I take this, that you call love, to be a sect or scion.

vendredi 5 mai 2017

I know I am deathless,
I know the orbit of mine cannot be swept by a carpenter's
      compass,
I know I shall not pass like a child's carlacue cut with a
      burnt stick at night.

I know I am august,
I do not trouble my spirit to vindicate itself or be understood,
I see that the elementary laws never apologize,
I reckon I behave no prouder than the level I plant my
      house by after all.

I exist I as am, that is enough,
If no other in the world be aware I sit content,
And if each and all be aware I sit content.

One world is aware, and by far the largest to me, and that is 
      myself,
And whether I come to my own today or in ten thousand or
      ten millions years,
I can cheerfully take it now, or with equal cheerfulness I
      can wait.

My foothold is tenoned and mortised in granite,
I laugh at what you call dissolution,
And I know the amplitude of time.

I am the poet of the body,
And I and the poet of the soul.


- Walt Whitman, Leaves of grass 

mardi 2 mai 2017

poésies en Escalier (on s'amuse)


Aphorisme - J'ai juste envie de fourrer la femme sur du Lana Del Rey.

***

des statues de perles immobiles dans le vent
un jet de lumière sur les révoltes assises
faux-semblant hypocrite que la pluie épuise
où tarde à s'ouvrir un crépuscule latent

l'effort vain de tailler de nouvelles sculptures
alors que survient la sécheresse des pintes
chercher dans le néant à fleurer les absinthes
où bourgeonnent patientes mes nobles luxures

prendre son coeur vif et l'étendre sur la table
je construis les azurs repoussant l'ineffable
et détruis le silence à grands coups de courage

à dresser devant soi les murailles obstinées
s'arrêter un instant, anticiper l'orage
et attendre les yeux purs dans lesquels plonger

***

écrire un sonnet
avec l'ami, en le lieu
le jour a un sens


lundi 1 mai 2017

exercice de style - sonnet

un solstice de soufre en son midi éteint
dissimule en son sein les désirs surannés
la lente agonie des chimères refoulées
souffle la naissance des spectres de demain

rêve aboli de force, muse délétère
un nouvel opium aux arômes de safran
qui gémit dans les spasmes du jour haletant
et vit dans le trouble d'un indicible éther

le temps s'étiole au rythme d'hésitants soupirs
éclairs avortés en attendant le délire
et si tout ça n'était qu'un superbe prélude

les harmonies succèdent au calme désarroi
le puissant théorème d'une longue étude
s'extirper des méandres infinis de l'effroi