mardi 29 décembre 2015

clair, net et précis

"God and Christ exist, but they are so distant and beyond us that they cannot be our concern."
- Harold Bloom

They just cannot...

jeudi 24 décembre 2015

courant de conscience

par journée de grands vents la seule chose pour y tenir tête la symphonie numéro 9 en ré mineur de Dvorak au parc Jarry ma blonde dort sur le divan je n'allais pas rester évaché sur mon divan par pareil temps je ne trouve pas les accents pour le r et le a je me souviens au archambault il y a de cela quelques années avez-vous un cd de dvorak ça se prononce dvorjak madame du moins comme on peut franciser un nom tchèque je ne dis pas pour vous reprendre par prétention mais je suis sûr qu'il aurait aimé que vous prononciez son nom correctement oui mais il est mort non madame il est éternel la symphonie du nouveau monde premier mouvement adagio ce sont les arbres les premiers qui entendent la même musique que moi immenses épinettes noires d'environ vingt-cinq mètres de haut on ne s'attarde pas suffisamment à l'âge des arbres on les tient pour acquis mais ils nous survivront en tout après les pluies intenses de la matinée le parterre est d'un vert impossible pour un 24 décembre il y a quelques personnes qui jouent au croquet pas au criquet au croquet comme dans le vieux dessin animé d'Alice au pays des merveilles quand la reine de coeur joue avec des flamands roses quel film impossible pourtant gravé dans mes souvenirs d'enfance on réécoute ça aujourd'hui et on se rend compte à quel point c'est psychédélique ils devaient être tous défoncés ça l'air plate le croquet en tout cas le vent se fait plus violent les feuilles mortes me fouettent le visage et les quenouilles sur le bord de l'étang résistent comme elles peuvent mais perdent quand même de leur parure ça me rentre en-dessous des lunettes j'en ai plein les yeux en tournant vers le nord-ouest le vent redouble d'intensité deuxième mouvement largo le plus lent j'écoute les trois premières minutes ça manque de fureur il devrait faire crépuscule calme ou aube légère pour que le mouvement prenne tout son sens je le saute sacrilège interrompre ces bois et ces cuivres contemplatifs mais ils sont assourdis par le vent qui siffle trop et mes écouteurs de merde ne cessent de glisser de mes oreilles note à moi-même ça suffit les écouteurs de merde je les ai sur les oreilles au moins deux heures par jour c'est le genre d'investissement qui en vaut la peine troisième mouvement scherzo molto vivace un des morceaux les plus grandioses du répertoire romantique parfait pour ce vent à gonfler les plus grandes voiles personne n'a de cerfs-volants quel magnifique mot ça m'étonne entre les parties plus douces on dirait presque des pastorales les acmés d'intensité furieuse quelles percussions je continue de marcher et je ne vois plus grand chose sinon plein de joggers et t-shirt et en shorts des joueurs de soccer beaucoup de marcheurs que des passants flous qui disparaissent rapidement je ne vois plus rien mes lunettes sont sales j'ai le soleil dans la face et mes yeux laissent la place à mes oreilles ce mouvement a inspiré une des scènes de combats les plus épiques au cinéma à savoir Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn contre Darth Maul dans la menace fantôme ok le film était vraiment poche mais le combat final reste très fort ce n'est pas la veille de Noël aujourd'hui c'est impossible on commence notre périple de deux milles kilomètres ce soir elles sont belles les vacances elles sont relaxantes c'est effrayant les vacances quatrième mouvement allegro con fuoco une des plus belles ouvertures de l'histoire de la musique qui n'annonce rien de moins que la découverte qui change le monde qui change le nouveau monde l'épique dans toute sa dimension mythologique ç'en devient presque une valse quand les cordes dansent avec les cuivres sur un menuet symphonique pour ensuite laisser toute la place au déploiement de la force de Dvorak fuck les petits accents je n'ai pas le temps ce mouvement inspira lui aussi une scène pas piquée des proses dans le retour du roi the beacons are lite Gondor calls for aid et Viggo Mortensen qui cours en Aragorn il a porté un t-shirt du canadiens de montréal pendant tout le tournage du film en-dessous de son costume il disait qu'il se sentait plus fort avec je trouve cette anecdote complètement marrante à cinq minutes cinquante-deux secondes tous les brasiers s'enflamment entre montagnes et montagnes plus éloignées les unes que les autres non je ne dois pas penser aux montagnes encore moins à des montagnes de neige les transitions de ce mouvement sont sublimes et dire que Dvorak s'est inspiré de danses amérindiennes j'avoue que ce bout là m'échappe un an de composition pour quarante-cinq minutes d'exécution faut le faire la lumière s'estompe rapidement on peut littéralement voir le jour tombé dans les percussions et les échanges de cordes les arbres dansent encore mais rien de la nature des gens qui passent ou des mots qui me restent et ceux qui m'échappent n'arrivent à reproduire l'impact de cette musique sur les tambours de mes tympans vers le seuil de mon être et de son accord harmonieux avec ce jour impossible finale dramatique à souhait révélations oniriques horizons dignes des plus grands océans des plus grandes chaines de montagnes des coeurs les plus humains. 

samedi 19 décembre 2015

C'est tellement punk.

On the first day of March it was raining
It was raining worse than anything that I have ever seen
I drank ten pints of beer and I cursed all the people there
And I wish that all this raining would stop falling down on me

And it's lend me ten pounds, I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

At the time I was working for a landlord
And he was the meanest bastard that you have ever seen
And to lose a single penny would grieve him awful sore
And he was a miserable bollocks and a bitch's bastard's whore

And it's lend me ten pounds, I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

I recall we took care of him one Sunday
We got him out the back and we broke his fucking balls
And maybe that was dreaming and maybe that was real
But all I know is I left that place without a penny or fuck all

And it's lend me ten pounds, I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

But now I've the most charming of verandahs
I sit and watch the junkies, the drunks, the pimps, the whores
Five green bottles sitting on the floor
I wish to Christ, I wish to Christ
That I had fifteen more

And it's lend me ten pounds, I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

And it's lend me ten pounds, I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

The boys and me are drunk and looking for you
We'll eat your frigging entrails and we won't give a damn
Me daddy was a blue shirt and my mother a madam
And my brother earned his medals at Mai Lei in Vietnam

And it's lend me ten pounds and I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

On the first day of March it was raining
It was raining worse than anything that I have ever seen
Stay on the other side of the road
'Cause you can never tell
We've a thirst like a gang of devils
We're the boys of the county hell

And it's lend me ten pounds and I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning

And it's lend me ten pounds and I'll buy you a drink
And mother wake me early in the morning


vendredi 18 décembre 2015


"So our virtues lie in the interpretation of the time..."
- William Shakespeare

vendredi 11 décembre 2015

Quel extraordinaire personnage


You common cry of curs, whose breath I hate
As reek o'th'rotten fens, whose loves I prize
As the dead carcasses of unburied men,
That do corrupt my air : I banish you !
And here remain with your uncertainty.
Let every feeble rumour shake your hearts ;
Your enemies, with nodding of their plumes,
Fan you into despair ! Have the power still
To banish your defenders, till at length
Your ignorance, which finds not till it feels,
Making but reservation of yourselves,
Still your own foes, deliver you
As most abated captives to some nation
That won you without blows ! Despising
For the city, thus I turn my back.
There is a world elsewhere.
                                                           - Coriolanus, III.3

mercredi 9 décembre 2015

Milieu de nuit

(Clin d'oeil à l'autre, il va comprendre.) L'insomnie n'est pas un manque de sommeil, c'est juste dormir beaucoup plus vite que le temps passe. Et il ne passe pas vite cette nuit. Silence endormi, stérile. Le drone du frigo s'éteint et le silence est rendu quasiment pur. Assourdissant presque. Les pensées sombres ont laissé leur place à l'indifférence des heures. Tout s'arrête. J'écoute les secrets que la nuit a à m'offrir. J'attends patiemment. Ta ténèbre n'évoque plus rien, jument de la nuit partie galoper dans d'autres rêves que les miens. Parce que les miens sont rendus des mirages en pleine nuit en manque d'étoiles. Plus rien ne marque le temps dans ce vase clos enveloppé de velours noir - le drone du frigo est reparti, moment violé par le retour de l'horloge, par le retour du mécanisme, là c'est moi qui s'arrête.

vendredi 20 novembre 2015

parenthèse

(le jour n'a pas de titre
ce cri du vent si près
de casser les fils
la soie vulnérable du coeur
et de l'âme impossible

chaleur d'une aube fragile
j'étudie le silence
et ces cicatrices
             les effondrements vibrent
             fracas et rupture
je construis une réconciliation
                                      (attentatrophié)

aujourd'hui l'automne est seul
et soupire sur les hommes
esclaves de leur haine
indifférents de leur mort

j'assume mes incohérences
parce qu'elles ne sont pas vulgaires
parce qu'elles ne tuent personne
parce que je défriche et lutte
pour faire osciller la faible beauté
d'une lumière invisible

je cherche l'air
je souffle sur les cendres
qui étouffent mon présent)

samedi 14 novembre 2015


"Fuck everything, seriously." - Xavier Dolan.

"... and I will try to express myself in some mode of life or art as freely as I can and as wholly as I can, using for my defence the only arms I allow myself to use, silence, exile and cunning."
- James Joyce

jeudi 12 novembre 2015


un jour
la connerie ambiante
viendra à bout de moi

lundi 2 novembre 2015

Le ciel comme strates de nuages s'accumulant jusqu'à l'horizon, dans différentes teintes de blanc, de gris, fleurtant avec le bleu. Tout cela dégage une impression de calme, une absence de bouleversement. Il n'y a que des migrations d'oiseaux minuscules qui tanguent sur ce ciel ridiculement bas qui semble fatigué, immuable et absolument dénué de toute mythologie parce qu'aucune forme étrange ne s'y déploie. Il alourdit le regard et défait la rêverie. Un ciel terre-à-terre, sans heure, qui n'a rien à offrir parce qu'il en est ainsi, et qui oblige celui qui cherche à détourner les yeux et à les jeter ailleurs pour sonder autres choses.

mercredi 28 octobre 2015

J'ai rien à écrire, rien à écrier aujourd'hui. Mais je dois quand même garder la main. Mes étudiants rédigent et je m'enfonce dans une Brève histoire du monde de Gombrich, lecture inspirée par le livre de Moutier que j'ai terminé dans le temps de le lire. Demain, nous serons en grève au cégep, je vais devoir venir faire du piquetage en après-midi. Le temps s'annonce pluvieux, venteux mais chaud quand même. Certains membres du syndicat sont en train de péter leur coche et ils se montrent agressifs envers ceux un peu moins impliqués, comme moi par exemple. Mais je m'efforce de passer sous le radar. De toute façon, ma révolte est différente. Et je serai là demain d"une manière ou d'une autre. Le livre de Gombrich est complètement fascinant, l'histoire du monde, rien de moins, vulgarisée en 330 pages. Et ça tient la route! En même temps, ça fait beaucoup d'informations à retenir et mon éponge de cerveau est presque saturée, je prends de bonnes pauses pour assimiler tout ça. (J'aurais tellement pu être historien!) Hier, pendant une de ces pauses, je me suis imaginé devenir bibliothécaire dans la plus grande bibliothèque du monde. Je me verrais bien finir rat de bibliothèque, tellement écoeuré des hommes que je n'aurais pas d'autre choix que de m'en remettre aux livres pour trouver du sens à la vie. J'ai des passes comme ça où je pourrais lire sans arrêt, douze heures par jour. D'ailleurs, depuis dix jours, je lis comme c'est pas possible, tout rentre et je n'ai envie de rien d'autre. Je suis un lecteur en série. À l'instant même, j'ai envie de relire Shakespeare, Dostoïevski, Proust, Cervantes et Joyce; je me lirais beaucoup de poésie aussi, T.S. Eliot, Whitman, Kerouac, Miron et j'ai envie de me taper Nietzsche, Freud et Lacan au complet. Et VLB. Sans compter que je veux relire L'Homme révolté de Camus. Et c'est pas juste du namedropping, ma pile de livres mentale est en train de prendre des proportions babyloniennes. Ce goût de m'enfermer, de regarder la neige qui se fait trop attendre tomber et de lire. Ça doit être l'hiver qui arrive. 
Mes étudiants rédigent en ce moment, et ce, pour les dix prochains jours.  Je devrais les surveiller davantage plutôt que de lire et d'écrire sans cesse dans leur face, mais s'ils trichent, je m'en rendrai compte bien assez vite en corrigeant leur copie. Que le bruit des feuilles qui tournent, des crayons sur le papier, leurs gestes et mouvements, craquements de cous, de dos, de doigts, de chaises, de bureaux ; ils n'ont pas l'air de trop souffrir. Ce silence qui n'en est pas un est salvateur. La semaine passée, ils étaient fatigués, indisciplinés et insupportables - rien de mieux qu'une évaluation pour les ramener à l'ordre, c'est aussi à ça qu'ça sert -, j'aurais donné du magistral une semaine de plus et j'aurai capoté, j'aurai sérieusement voulu détruire quelque chose. Mais non, je ne détruirai rien.
Superbe hasard! Je tombe sur une nouvelle revue sur Nietzsche à la bibliothèque du cégep. La deux mille sept cent quatre-vingt-sixième depuis cinq ans. Comme j'en ai lu au moins deux mille six cents, je la prends machinalement, question de solidifier ce que je connais déjà. Nietzsche sédimente dans les fossiles de mon cerveau. Première phrase qui frappe : "Il n'y a pas de faits, seulement des interprétations." Ha!! Que cela s'applique merveilleusement bien à ma lecture de Gombrich! C'est parfait! Je vais entrecroiser mes lectures, je vais allier le cuivre et l'étain, le bronze de mon marteau n'en sera que plus solide. Et les coups résonneront dans mes illusions jusqu'à ébranler les fondements mêmes de mon existence! Question de me rappeler leur présence.

mardi 27 octobre 2015

"Matin de pluie grisâtre et triste et sombre. Les Mayas, nous rappelle-t-on dans le Journal de Montréal, prédisent la fin du monde pour 2012. C'est rassurant. Personnellement, selon mes calculs, la fin du monde a déjà eu lieu. Elle est partout autour de nous. Il suffit de sortir dehors pour s'en rendre compte."
- Maxime Olivier Moutier, 
Journal d'un étudiant en histoire de l'art

dimanche 25 octobre 2015

Une semaine

Aujourd'hui dimanche
je ne veux pas travailler.
J'aurais dû dormir plus
mais c'est comme si mon esprit
me refusait le sommeil.
Trop d'idées m'assaillent.

J'ai le corps éreinté d'hier. Je n'aime pas trop supporté mon alcool parce que tout me rentre dedans sans que je m'en rende compte et les lendemains sont plus difficiles. Aujourd'hui, je ne veux pas travailler. Je devrais préparer mes cours de la semaine à venir, travailler me donne bonne conscience. C'est un maux de notre temps et je sais que je suis pris dans l'engrenage.

J'ai vu plein d'amis hier soir
que je n'avais pas vu depuis longtemps.
Amitiés et rires dans l'entrechoc des verres.
Des souvenirs travaillés et gravés 
à même la matière brute.

Trop d'idées m'assaillent. J'ai trop de choses à faire. Je m'invente toutes ces choses pour remplir le jour et ça me donne une migraine. Je sais que le jour passera vite et que je ne ferai rien. Tout s'entremêle et les lignes deviennent ratures. Pourquoi me refuse-je l'oisiveté? Mais est-ce vraiment oisif que de boire une théière bouillante dans le matin froid, que de lire cent pages d'un trait?

J'interromps la lecture
de cette très belle énigme,
hypnotisé par la fumée de mon thé.
J'écoute le silence dans mon tranquille désordre
et quelque chose me noue la gorge -
j'aimerais beaucoup être capable de méditer.

Les cloches de l'église à côté de chez moi sonnent midi, brisant ma torpeur. Mon chat me demande de l'attention. Je lui mets les partitas pour violon de Bach. Ce n'est pas ça qu'il veut bien sûr, mais je me plais à croire le contraire. Non je ne travaillerai pas aujourd'hui, je ne ferai rien sinon m'enfoncer dans le calme essentiel et la tranquillité du jour qui passe. (Je viens de me rappeler mon rêve de cette nuit, je me voyais sur des photos que je sais inexistantes.

J'ai un idéal que je sais impossible,
c'est ce que je détaille
minutieusement dans mes mots.
Je sais que je me comprends.)

***

Mardi. Lendemain d'élections.
Un playboy fils d'ordure a été élu.
Le Temps avance sans nous,
illusion du mouvement 
dans notre immobilisme crasse ;
on a manqué le train depuis trop longtemps et 
je me sens plus seul que jamais.

(Mon écriture tremble ce matin en pattes de mouches épileptiques. Les tremblements de ma colère refoulée.) Dans le métro, une blonde poudrée somnole devant moi. On dirait qu'elle s'est fait battre, son visage est tuméfié. Ou peut-être qu'elle est accro au crystal meth. Je me sens soudainement empathique. Elle écarte les jambes inconsciemment et révèle un cameltoe d'une vulgarité sans nom, mes yeux retournent d'eux-mêmes à mon livre en interceptant toutefois ses ongles : ils sont parfaits, cisaillés comme des perles roses éclatantes. Oxymore au bois dormant.

Dans son énigme, Dany Laferrière, en prenant un certain raccourci, dit que les grands thèmes de la littérature peuvent être découpés géographiquement. Parmi ceux-ci, pour l'Europe, c'est la mort ; l'Amérique du Sud, le temps ; l'Amérique du Nord, l'espace.

Chercher à occuper un peu
cet espace si vaste,
remplir le vide autour de soi 
pour combler celui en soi.
Cet espace aux agglomérations
archipeuplées mais où la solitude
est le prédateur le plus menaçant.

Mascarade électorale terminée. Nouveau premier sinistre. Ma totale indifférence. Je suis tellement écoeuré du cirque ambiant que je pourrais tuer quelqu'un. Ou crier à la face du monde mon ultime sentiment de dégoût - meilleure option. Je pourrais aussi tout crisser là et déménager sur l'île d'Islay, ce serait elle la meilleure option. Mais je n'en ferai évidemment rien, je vais m'exploser au badminton, le sport comme dernier exécutoire. 

***

Mercredi matin.
Mon corps comme un noeud de métal.
La tension des muscles m'alourdit.
J'ai l'impression de vieillir 
anormalement vite cette semaine.
Corps endolori et lassitude de l'esprit
ne font pas bon ménage.

Mon seul apaisement se trouve dans la lecture et l'écriture depuis quelques jours. Malgré la lourdeur de la mort rôdant sans cesse dans L'Énigme du retour - cette impression qu'elle apparaîtra à chaque fois que je tourne une page - l'écriture de Laferrière irradie une lumière douce qui me calme.

Un calme nécessaire
pour taire les cris en moi qui 
balancent dans le va-et-vient des saisons,
mon ambivalence sublimée
dans l'indifférence des alentours.

***

(Il n'est pas d'histoire dans laquelle je suis capable de me perdre pour la raconter sinon la mienne.) Vendredi. Métro. Encore. Il y a bien peu de gens dans le wagon ce matin et une grosse femme en face de moi en profite pour parler à tue-tête (quelle extraordinaire expression!) dans son cellulaire. Le maire de Montréal vante le métro en disant que les données cellulaires sont désormais accessibles sur la majorité du réseau sous-terrain. Si cela amène éventuellement les usagers à parler au téléphone  sans arrêt dans le métro, je m'achèterai une voiture c'est sûr.

Station Angrignon. 
Fin de la ligne verte,
encore un autobus à prendre
et d'ici là, à l'attendre.
Une grosse femme espagnol -
elle ressemble à Gimli
mais sans barbe (heureusement) -
est en train de quêter en scandant
"Dieu vous protège!
Dieu vous garde!
Vous verrez la lumière!
Dieu vous bénisse!"

Elle ne dérougit pas,
Sa foi est un pilier que je n'aurai jamais.
J'aimerais tellement croire en Dieu,
- comme si cela me permettrait de trouver
plus facilement le bonheur -
mais j'ai la spiritualité des pierres.

***

Dimanche matin
température écossaise
odeur de terre humide
la nature a étanché sa soif
et les feuilles sont lourdes de pluie.

J'irais marcher pieds nus dans l'herbe du parc Jarry aujourd'hui.
To feel the slippery grass beneath my feet, and I would lay down,
naked, in the coldness to sense Time dripping on me as I am forgetting it exists.

(Great Walt! Mon anglais est nul, mais je m'en fous, comme je me suis foutu de tout cette semaine). Après L'Énigme de Laferrière, j'ai tout de suite commencé un nouveau roman - après un rush de correction, je suis capable de lire huit heures par jour si j'en ai le temps -, la dernière brique de Maxime-Olivier Moutier, Journal d'un étudiant en histoire de l'art. Le prologue était imbuvable, un ramassis de namedropping bobo. Mais j'ai continué et je me suis laissé embarquer ; le bouquin ne me quitte plus les mains et les yeux. Sa prose - malgré son obsession de la virgule - possède un souffle qui nous happe, si évidemment l'on s'intéresse un tant soit peu à l'art. (D'ailleurs, je sens ma prose se modifier par rapport à celle du début de la semaine, l'influence de la lecture sur l'écriture est indéniable, prétendre le contraire est ridicule. À quoi bon s'y soustraire si cela nourrit?)

Il recommence à pleuvoir.
Pendant la prochaine heure,
je vais tout taire
et écouter, lentement,
- en attendant la suite -
les sables mouvants du silence.

samedi 17 octobre 2015

Sur tous les réseaux faussement sociaux ce matin, tous les gensses s'émeuvemeuvent le toupetit sentimental pour des toupetits flocons de neige mouillée de rien du tout. Ô futilité de notre toupetit temps pas plein de pouaisie pantoute. Futile comme des morts de flocons sur la sphalte grise de la ruelle vide ce matin.

Sinon partout, c'est des élections qu'on parle et dans deux jours un premier sinistre, ancien ou nouveau, c'est du pareil au même, va arriver et se prétendre le chef du plusse meilleur pays du monde. Pis le changement changera pas pantoute. Mais faut bien sûr s'assurer de remplir son devoir de citoyen pis aller voter, bien futile aussi ce toupetit vote dans ma conscription vouée d'avance à aucune avancée. J'ai mal à ma démocratie pas démocratique pantoute, à mon pas-de-pays. Non non non, elle est bien vide de pouaisie la vie ailleurs ce matin. 

va falloir aller la chercher queuqu'part
peut-être se terre-t-elle sous le soleil
sous le ciel ambivalent de bleu et de gris
ou peut-être s'évapore-t-elle avec l'âme des flocons tout meurtrissurés
ou est-elle dans les fines morsures du vent
dans les leurres des sourires qui sourissent      
           évanaissant automne
dans le confort des nuques enfoulardées
dans les lames des feuilles tout oxycouleurées
dans leur délicate rouille
la tendre brûlure du silence
la danse muette de tes cils
mes images infinies de toi

lundi 12 octobre 2015

Serait-ce possible, est-ce vraiment la clef? Se raconter jusqu'à se dépasser, transcender l'individu, l'être, et atteindre le collectif universel dénué de spasmes et totalisé? Mais une seule erreur et un seul faux pas peuvent conduire au néant, où tout s'embrouille dans le galimatias, le chaos de la parole singulière et univoque, celle qui ne tend ni s'étend sur quoi que ce soit d'autre, d'étranger à soi?

Je suis las. Mes questionnements dérivent sur des océans mirageux et la barque se perd. Je prends l'eau mais ne me noie, car les failles fissurées sont doubles, la noyade est plus lente, plus longue. Une brèche seule faciliterait la fin. Quoiqu'elle serait plus facile à colmater mais non. Les brèches sont multiples, les efforts se perdent dans les remous, dans le va-et-vient de l'eau ; tout m'effraie dans cette agonie lourde pendant que la mort lente monte, inlassable travail des marées - comme le bois de ma barque termité de coléoptères. 

J'ai perdu le point de fuite de mes images. L'Ariane brisée des songes me sourit dans son évasion muette. J'aimerais prendre l'eau, sentir le trouble des vagues, ces miroirs explosés de lumière sous le soleil d'octobre. En attendant l'hiver où même les océans gèleront et que le monde hibernera, rassemblant dans ses graisses l'énergie nécessaire aux épreuves à venir. La barque tangue et je manque tomber, je perds rames au fil de mes inaccomplissements. La voile déchirée s'en est allée dans le vent.

J'image et je vois - shut your eyes and see - les feuilles de l'automne. Prismes squelettiques déviant les couleurs, ce ne sont que les teintes dansantes de la peinture du jour. Les musiques ondent des distorsions neuves. Et le temps est sourd pendant que l'enchantement se rompt.
  

vendredi 25 septembre 2015

Elle avait des jambes d'un blanc lacté ; elle les avait croisées comme un début de constellation, posture suffisante quasiment arrogante, comme l'air de dire "regardez comment ma contenance est l'incarnation même de la féminité" ; je les imaginais douces comme le duvet de ce lapin conduisant directement dans le terrier mystérieux, mais pas l'air en retard pour un temps, probablement hyper-névrosée par contre, cette névrose tue devant les autres mais qui explose dans l'intime ; elle me happait tout croche vers le pays des merveilles, aux bouts des antipodes, vers le point de fuite des paradoxes ; mais la chute n'eut pas lieu, ce n'est pas cela que j'explore de toute façon. 

Quelques stations plus tard, mon regard retombé dans la démanche de ce nouveau Don Quichotte, la blancheur livide du lapin d'Alice est devenue spectrale, un petit souvenir creux qui n'existera plus après cette page ; toutefois autour de moi les sbires de la Reine de coeur inconnue sont légion et vont tous travailler dans l'édification de notre pas-de-pays-pas-merveilleux-pantoute ; j'ai toujours resté ici mais dépaysé je suis dans mon exil limitrophe se rétrécissant sans cesse ; si bien que mon imagination s'idiotise et s'abrutit ; je ne construis que ce pays en moi à travers les mots que je lis et qui me nourrissent comme l'alcool fait l'eau-de-vie ; j'ai la solitude tranquille, mais elle reste le creuset atterré et où s'entasse ce qui me répugne sous le mortier des tyrans ; et pourtant, il ne suffirait que d'un bon coup de vent pour que le château de cartes s'effondre - tisse tisseur de vents - ; il faut rebâtir une fois les ruines acceptées.

Dans ma classe pendant que mes élèves rédigent, une immense carte du monde remplit le mur du fond au complet ; j'ai pas fait tant de latitudes-parallèles mais quand même pas mal de longitudes-méridiens - quels mots superbes - ; ce monde m'étourdit, il est trop concret et trop absurde en même temps ; je peux comprendre ceux qui dans l'histoire en ont eu marre des hommes en général, ce sont les hommes en particulier qui m'intéressent ; et les lieux singuliers qu'ils habitent, à commencer par ce nord qui m'appelle de plus en plus ; j'y retournerai l'été prochain voir ces pays que j'imagine dans mon perpétuel sentiment de constant dépaysement ; en attendant, toujours et toujours les mots, cette lumière crachée et cette architecture de l'encre qui me révèlent les inconnus, les possibles et le métal trempé de l'âme.

mercredi 23 septembre 2015

Parlez-moi d'un début de roman!

"Et puis, il comprit qu'il allait mourir. Cette pensée lui vint au beau milieu d'une phrase, alors qu'il cherchait ses mots et n'était pas satisfait de ceux qu'il trouvait : ils étaient ou bien trop longs (serpents à lettres pâteuses qui entouraient ses jambes et faisaient monter le sang à sa tête) ou bien creux comme le tronc du vieil érable qu'avec son père jurant et crachant le brun malade de sa chique il avait abattu jadis devant la maison lambrissée de papier-brique, à Saint-Jean-de-Dieu. Ou bien encore, les mots brillaient trop devant ses yeux, l'éblouissaient, lui donnaient le vertige, se modifiaient en d'apeurantes étoiles noires qui tombaient silencieusement derrière ses paupières closes. Alors Abel se laissait tomber sur sa chaise et se mettait à hoqueter : désormais, il n'allait plus pouvoir rien faire ; quelque chose en lui (mais peut-être aussi cela venait-il de l'extérieur, dans cette fourmi absurde se frappant obstinément la tête contre la vitre de la fenêtre, dans une entreprise désespérée tout autant qu'insensée, et dehors les sous-vêtements bruns battaient au vent, faisant quelque danse obscène sur la corde à linge, provoquant l'oeil, créant dans la cours un champ d'angoisse parfaitement circulaire et au centre duquel, comme quelque bête suant et jurant, lui, Abel Beauchemin, venait de comprendre que jamais plus il ne pourrait écrire de romans).
- Victor-Lévy Beaulieu, Don Quichotte de la démanche

lundi 14 septembre 2015

Une aide inattendue

  - Eh bien on aura tout vu! Un arabe qui sert du vin à des Juifs! dit la dame en levant le menton, visiblement fière de son trait d'esprit.
  - Je ne suis pas arabe madame.
  - Non??? Je ne vous crois pas!
  - Non madame, je ne suis pas arabe, je viens de Chicoutimi.
  - Mais c'est arabe comme nom!
  - Non madame, c'est amérindien et c'est au Québec. Ça veut dire "là où l'eau est profonde".
  - C'est joli! dit-elle en souriant. Elle prend un verre de dégustation et le respire silencieusement. Et ce vin, il est casher?
  - Oui madame, casher et mevushal en plus.
  - Mais vous n'êtes pas juif?
  - Non madame.
  - Ah! dans ce cas, je ne peux pas le boire. Au revoir!
    Et elle de déposer le verre sur le petit comptoir et de repartir le plus candidement du monde.
    Ce n'est pas la première fois qu'on me prend pour un arabe ; mon teint basané et ma barbe des séries ne font qu'accentuer l'impression. Je suis habitué à ce genre de répliques depuis que je travaille ici et ça ne me dérange plus. Ici, c'est la SAQ classique du Cavendish Mall, qu'on a rebaptisé, mes collègues et moi, Cavenshmall. On trouve que ça sonne juif ce nom. Ici, c'est un énorme centre d'achats en train de dépérir, laissé à l'abandon, où soixante-dix pour cent des magasins sont fermés et les trente autres ont toujours des ventes de fermeture. Si on enlève le IGA, la pharmacie et la SAQ, qui a la plus grosse sélection de vins cashers du Québec, c'est tout le mail qui fermerait. Ici, c'est beige à vouloir se péter la tête sur les murs pour y ajouter un peu de couleurs.
    Je souris machinalement aux clients qui passent et daignent me regarder, mais j'ai la tête ailleurs. Pas dans l'un des murs de l'endroit, mais bien dans mon mémoire qui stagne depuis plusieurs semaines. Ouais, autant dire dans un mur en fait. Avec le recul, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi ce sujet - la honte et la culpabilité dans l'oeuvre d'Albert Camus -, et je suis bloqué. Au départ, mon directeur de maîtrise m'a dit que ces émotions étaient les plus importantes à approfondir parce qu'elles sont en train de disparaître. Il a raison. Depuis que je vis à Montréal, il ne m'aide pas autant que je voudrais, mais il m'a dit qu'il croit en moi et que je dois construire mes propres analyses. Cependant, à travailler quarante heure par semaine dans une SAQ reculée de l'ouest de Montréal, le temps et la motivation nécessaires aux réflexions sont absents.
    Aujourd'hui c'est vendredi. Pour l'instant c'est tranquille, mais comme c'est le sabbat demain, ça va être le délire à partir de 15h. Je remplace Natasha à la dégustation pendant qu'elle est en pause. Je déteste le vin casher, cuit et trop sucré à mon goût, ça me pue au nez et aux tripes. Un client sur trois refuse de boire le vin parce que j'y aie touché. Selon eux, je suis impur - et comment! - et je contamine le vin. Après de longues minutes, ça commence à s'animer dans le magasin et je vais terminer ma journée à la caisse. Cinq ans d'ancienneté, des connaissances inépuisables en whisky, mais on m'apprécie surtout pour ma compétence à balancer ma caisse. La file devient de plus en plus longue et les clients commencent à s'impatienter. Pour détendre l'atmosphère, je me permets quelques familiarités ici et là avec les clients habituels, qui savent que je ne suis pas juif le moins du monde : 
  - Quatre bouteilles de délicieux Manischewitz! Voilà votre change monsieur. Passez une belle journée et Shabbat shalom!
    Je me suis souvent montré curieux quant à leur culture et, si certains hassidiques sont très fermés, plusieurs laïcs m'ont parlé du judaïsme avec ouverture et éloquence devant mon intérêt. Toutefois, ce ne sera pas aujourd'hui que je vais continuer ces discussions, car ça ne dérougit pas.
    Après deux heures de rush qui ont passé comme trente minutes, une première accalmie. Une vielle dame entre dans le magasin. Ça fait cinq ans que je travaille à la SAQ et j'en ai vu de toutes les sortes des ptits vieux. Le sénile, le sens de l'humour douteux, l'alcolo, le frustré, le joyeux, le top shape, la canne, la marchette, le pas-pressé, le compteur de monnaie (toujours des femmes), le "dans mon temps", le sage, le déphasé, l'égaré, le qui-sort-pas-souvent, le veuf, le silencieux, l'affaibli, le malade, l'oublié, le délaissé par sa famille, le faut-que-je-parle-à-quelqu'un, et le fin seul. Elle, je ne saurais pas dire à quelle catégorie elle appartient. Elle a plus de quatre-vingts ans, elle fait à peine cinq pieds, les cheveux gris courts, un sourire gêné et l'air de ne pas vouloir déranger qui que ce soit. Je m'approche et lui offre mon aide. Elle accepte en me disant qu'elle n'est jamais venue ici, mais qu'elle est invitée chez son gendre et qu'elle ne veut pas arriver les mains vides. Elle ne connaît rien aux vins, donc je fais le nécessaire, juste quelques informations de base. Je lui parle dans mon meilleur anglais et elle m'écoute attentivement, comme si tout ce que je disais était très important, mais c'est moi que je saoule en parlant des différences entre les cépages, des millésimes et des accréditations casher et mevushal. Je coupe court à tout cela, lui trouve la meilleure bouteille pour son budget et l'escorte vers la caisse pour la faire payer.
  - En tout cas, madame, votre gendre va être bien content. Je vous souhaite une belle journée. Il semble faire un temps magnifique dehors en plus, dis-je en regardant l'énorme puits de lumière ensoleillé au centre du mail, seule fenêtre de la prison Cavenshmall. 
  - Vous savez, le temps qui fait importe peu, l'important dans la vie, c'est d'être libre, qu'elle me répond.
    Je ne saurais en effet contredire pareille affirmation, mais je la trouve bien sérieuse.
  - En effet madame, c'est important d'être libre, ça et en santé, balbutie-je. Je me trouve plutôt con de ne pas avoir davantage d'esprit. La fatigue.
  - Oui la santé c'est important, mais choisir, je choisis la liberté.
    Elle tend le bras gauche pour payer et la manche de son manteau se lève un peu, je vois une espèce de marque bleuâtre sur son poignet.
    Elle voit que j'ai vu. Dans ma tête, ça fait : tatouage sur le poignet égale Deuxième Guerre mondiale égale l'événement le plus honteux du 20ème siècle égale honte égale Camus égale mémoire de maîtrise égale moment unique et précieux. Toute ma compassion se dessine sur mon sourire un peu bête et je ne sais pas quoi dire. Elle comprend mon silence, on dirait qu'elle lit dans ma tête.
  - Quel est votre nom madame?
  - Helen Kirschbaum.
    Elle a de tout petit yeux d'un bleu irréel. J'ai mille question en tête que j'aimerais lui poser. Aux non-dits suivent quelques dits. Palpant ma curiosité, elle me parle, généreuse. Elle a été libérée d'Auschwitz en 1945, elle avait 19 ans. Avant ça, Dachau et Buchenwald. Trois camps en six ans. Les officiers femmes allemandes voulaient bien paraître aux yeux des hommes, donc elles se montraient plus cruelles : elles frappaient les prisonnières à coup de martingale, toujours en plein visage, sur les oreilles, les lèvres, le nez. Elle a une cicatrice sur le lobe de son nez, on dirait un bec d'aigle. Elle me dit tout ça le plus calmement du monde et je peine à retenir mes larmes. Honte et culpabilité. Ce sont ses yeux surtout qui me fascinent. Ils en ont tellement vu que ça m'étourdit. Elle pardonne mon émotion et conclut en me disant que c'est pour ça qu'elle préfère la liberté au-dessus de tout. Les cinq minutes qu'ont duré notre discussion en ont paru mille.
    Elle doit partir et je lui demande si je peux la serrer dans mes bras. Façon maladroite d'embrasser toute l'humanité contenue dans cette femme. Elle accepte en riant et me dit que je suis beaucoup trop jeune pour elle. Les sourires qu'on s'échange sont sincères et elle part sans savoir que grâce à elle, même si j'ai le sentiment de porter le poids d'un crime que je n'ai pas commis, je vais débloquer : je vais finir mon mémoire dans la semaine qui suit et je vais le lui dédier.
    À l'instant, mon boss brise ma réflexion et dit : "C'est ben beau cruiser les petites vieilles, mais on a besoin de toi à la caisse 2. Allez, au travail!"
    À ma liste de ptits vieux, je dois désormais ajouter : "le survivant de la Shoah".

jeudi 10 septembre 2015

Cette chanson qui me hante depuis hier soir que j'en ai presque rêvé cette nuit le clip pure poésie en images et en danse le vent et les vagues des crevasses glaciales de neige cette Islande qui m'attire de plus en plus j'irai me perdre là-bas l'été prochain un long mois au même endroit question de jeûner de soleil et d'été un peu jamais j'ai autant espéré l'hiver respirer les volcans sentir la roche millénaire sous mes pieds en attendant que les geysers éjaculent dans un juillet que j'espère froid peut-être que je ferai du longboard sur les longues routes sinueuses et lisses et que je me sentirai libre ou que je me pèterai la gueule et que je me ramasserai dans un hôpital de Reykjavik et qu'on s'occupera de moi en islandais mais d'ici là rien mon café est froid je devrais me lever et m'en faire un autre mais ma tête file à toute allure et je n'ai pas le temps d'arrêter je dois terminer de préparer mon cours de la semaine prochaine et pour ce faire je dois relire rapidement vingt-sept contes fantastiques québécois de loup-garou de diable de curé tout-puissant de feu-follet de marionnettes et d'horreur morréal des créyances pis de couleuré langage de Jos violon l'unique et cric crac cra sacatibi sac-à-tabac mon histoire finit d'en par-là et en faire des analyses sommaires parce que je dois expliquer à mes étudiants qu'est-ce qu'il en retourne puisqu'ils peinent pour la plupart à se figurer eux-mêmes le propos de notre minuscule mythologie la chanson est sur repeat plaisir coupable en même temps je veux aller voir les monstres magnifiques de David Altmejd au musée d'art contemporain tous ces univers éclatés et écartelés comme mon putain de cerveau en ce moment aller prendre une bière avec Luss après pis jouer au hockey en soirée première fois de l'année mes genoux sont dégueulasses et craquent de partout il faut que je finisse mon recueil de poésie que je continue mon roman avant que l'ourobouros s'avale complètement avant qu'il fasse nuit avant que je devienne aveugle que je claque à quarante ans comme cet ostie d'être impossible me l'a dit à New Delhi mais il y a trop de choses à faire trop de choses à taire avant de faire tout ça j'ai même plus le temps de lire comme je voudrais et pourtant cette impression que je fais rien dans ce texte fleuve où la poésie peine à garder la tête hors de l'eau mais faut que ça sorte peu importe si ça sort mal de dedans moi mais en même temps je suis donc ben insensible je devrais arrêter de tout faire pour m'insurger contrer le monde et les injustices de tous les jours des coupes en éducation de la grève à venir d'enfant mort noyé sur une plage en Turquie je devrais arrêter de rêver à l'Islande à Joyce et à Walt Whitman je devrais alimenter mon fil Facebook et Twitter pour avoir des likes qui servent à rien à me donner bonne conscience en likant et partageant la bonne conscience de ceux qui prennent le temps de dire à tous et chacun qu'ils ont bonne conscience mais non je ferai rien de tout ça je vais écouter cette ostie de toune absolument sublime parce qu'il n'y a que ça j'aime et qui me donne quelque chose ici bas la beauté la poésie le sublime l'art sous toutes ses formes je suis peut-être individualiste dans le fond je marche en dehors de la parade de la fanfare horizontale dans la nuit dans le silence dans mes tremblements dans mes draves et mes friches dans mes pleurs sombres dans mon désir irrépressible de vouloir tout lire tout écrire tout faire encore et encore à chaque jour pour ne pas mourir à quarante ans d'une crise cardiaque alors que je fais l'amour ou encore pire en vélo seul sur une route perdue et sur la patinoire alors que je joue mais non mais non il ne faut pas penser à cela ça n'existe pas ces choses personne ne peut prévoir le futur ça s'arrête là non ça n'arrêtera pas je ne veux plus arrêter et pourtant il va falloir que j'arrête car j'ai soif et je dois faire tout ce que j'ai dit que j'allais faire mais avant un autre café encore un peu de temps juste un tout petit peu de temps pour terminer cette phrase fleuve que je voudrais interminable impossible personne ne la lira jusqu'au bout ils vont s'emmerder avant s'ennuyer avant perdre le fil au pire mais non il faut que j'arrête et je n'ai même pas dit la moitié de ce qui se passe dans ma tête et veut sortir avec une telle force que je dois la taire à grands coups j'aimerais tellement gagné ce putain de concours je n'ai pas parlé de ces musées vivants que sont les forêts je n'ai pas nombré tous les malheurs s'abattant sur le monde ni les bonheurs qui n'ont plus la cote de nos jours je n'ai même pas fait le ménage des mots restés dans le filtre des songes je n'ai pas assez mis de poésie dans ma matinée j'en veux plus et toujours plus de cette maudite beauté désespérante et magnifique tracée dans le sommeil des saisons dans l'ombre déchirée et aveuglante des cris dans ce sang en furie violant le granit des lits et dans le souffle des secondes perdues.

mardi 8 septembre 2015


aucun bruit ce soir
sinon ceux glissant
sur les frontières des corps
littoral des murmures

gémissements qui
s'entrechoquent et sautent
dans nos gestations et nos mues

les échos s'évadent
         spirale décentrée
les parallèles s'éloignent
et divorcent du feu

la nudité profonde de la nuit
s'anime et consent
à nos embrasements

lundi 7 septembre 2015

inachèvement

La mort de l'autre en l'âme, je suis retourné voir les miens. Je n'ai pas été capable de terminer le poème que j'avais commencé la gorge nouée d'amertume et de tristesse pour mes amis. Poignées de mains moites, accolades collantes de sueur, de cette sueur de fardeau tragique que seul le poids de la mort amène. Visages gris asséchés, où il ne reste que les sel des larmes. Toutes ces couleurs sombres dans la chaleur de l'après-midi. Nous sommes les nuages voisins des orages. La mort noire buvant le soleil. Dans la cathédrale, le rituel m'a donné la nausée, toute cette ridicule célébration de dieu dans la mort de l'homme. Mes regards tournés vers mes frères m'ont imposé le respect. Ont suivi à tout cela les moments entre nous uniquement. "Vous en virerez une criss en mémoire de moi." Embrassades échangées dans les effluves, nos gosiers assoiffés de l'alcool maître, tous veulent oublier donc se rappellent les vieux souvenirs dont certains datent de trente ans déjà. La pureté de l'amitié. Le Saguenay et le fjord nous avalant dans la nuit, dans l'ombre dessinée des montagnes, l'ivresse montait en nous et relâchait nos misères. On a presque tout dit ce qui se pouvait dire. Et ce poème qui ne veut pas se finir :

et tandis que les masques meurent
au bout de cordes dépoussiérées
au bout des solitudes muettes
j'avalerais ma tête pour qu'elle cesse de tonner
taire dans mon crâne le bruit des scorpions
leur nid de queues assassines
tordues       liées
mon être envahi de tempêtes
sur la grève ensevelie
violentée d'asphyxie de noyades
les fureurs lentes annoncent
l'effondrement
j'ai le cri sourd d'une gorge ensablée

j'espère un hiver précoce
- moins de malheurs arrivent en hiver,
les hommes cessent de se prendre pour le soleil -

mercredi 12 août 2015

le 12 août

Aujourd'hui, quelqu'un a décidé l'année passée qu'il fallait acheter un livre québécois. C'est louable d'un côté, mais vraiment hypocrite de l'autre. Je trouve ça hypocrite dans le sens où ça permet de déculpabiliser celui qui n'achète jamais de livre queb : "C'est pas grave si j'en achète jamais, le 12 août, j'en achète un." Et voilà la littérature sauvée. Non, juste non. Mais comme un bon petit mouton barbu noir mais avec un peu de blanc dedans, j'ai donc fait mon glorieux devoir de littéraire et je suis allé moi aussi me procurer un livre québécois, question de me sentir moins coupable moissi. Ben j'ai acheté un livre queb mais d'un auteur haïtien! Kin toé, fuck the world estie. Quand on peut dépasser les contradictions, on prend les petites victoires qui passent. Sinon, je plains les libraires demain, ça va être vide longtemps parce qu'acheter deux livres deux jours de suite, ça se fera jamais, c'est impossible. Luss est venu après. On s'était dit qu'on travaillerait mais on a pas crissé une seule ligne sur papier. Dans nos têtes par exemple, y'en a de graver ben raide dans le finfond du crâne, à même l'os. Comme à chaque fois qu'on se voit d'ailleurs. Je sais pas s'il l'sait, mais il rend la vie vivable en criss. Travailler pour nous, c'est ça : Bach puis Beethov, cordes de piano et quatuor à cordes, du thé qui vient de bien plus loin que bien des gens n'iront jamais - champ de thé brumeux, Darjeeling, parapluie cassé qui existe encore, j'y retournerais live -, fumer la pipe sur le balcon, arôme impossible qui tapisse l'intérieur de la bouche en attendant la première gorgée de Bowmore Black rocks - t'en veux des sensations? -, Jules qui fugue encore et encore, dans son ostie d'indifférence féline, petite panthère royale dans ma ruelle enfin vide d'enfants, pour le moment - tout ça pis la lecture, l'écriture, pis nos projets dans nos têtes qui veulent pas mourir, qui refusent de perdre. Et quelques traits grivois bien lancés dans tout ça. On a pris le temps, on a travaillé finalement. Mais là y'est parti pis j'aurais dû bouger, prendre une marche, faire du vélo, quelque chose... mais non no nada rien niet (zsche). Pendant ce temps, le ciel est incertain, indécis, aléatoire, imprévisible, ben québécois en fait. Enweille! Branche-toi l'ciel! Je vais probablement manquer les perséides cette nuit, je prendrais bien un orage! Pis au plus criss que j'ai soif.

mardi 11 août 2015


Enfin l'averse...

Je l'attendais depuis des jours. Je n'attendais pas la violence et la force de l'orage, uniquement la quiétude de l'averse, d'un rideau monocorde de pluie déferlant dans le silence matinal. La ruelle habituellement criarde se tait ce matin et écoute l'eau tomber. Le calme écossais à portée d'oreille. Tout est tranquille et je le suis aussi. Je peux me concentrer sur mes pensées et mes actions sans subir de distractions solaires. Lire, écrire et travailler. Et après, aller rouler en voiture sur des routes de campagnes vides, humer l'herbe mouillée, aller marcher en forêt sur un sol meuble, sentir l'écorce et la mousse remplies d'eau et regarder dans les feuilles d'un vert profond décuplé par la pluie de nouveaux spectacles.

mercredi 5 août 2015

Clin d'oeil au grau veau

que la lave des révolutions coule sur les troncs de nos corps
que le volcan florissant exstupre nos accalmies impossibles
que la fougue de l'ombre édouce le faîte de nos augures couplés
que les étaux épurés terrassent les mâchoires du connu

dans mes harcèlements accepte la tranche de mon souffle diamanté
mon coeur en onction de parfums planétaires
mes doigts ajourés de couleuvres soumises
toute mon âme déchirée dans l'immobile d'une plus belle prière

c'est mon être qui recueille les larmes de gravats
et les offre à ta sculpture de chasseresse 
c'est mon tout constellé de tes galaxies furieuses
lactées de paupières magnanimes
c'est mon abandon lacéré à l'autel de tes pas
et qui brame sous ta démarche de gazelle pure
mon amour accroché à la mort
mon amour vissé au soleil
mon amour brûlant de phosphore

mercredi 29 juillet 2015

La beauté d'une mort sans lumières. Cette phrase me saute au cerveau, à la moelle et au coeur pendant que je suis en train de lire La Grande Tribu en même temps que dix pièces de théâtre québécoises en même temps que son histoire à notre très chère littérature pour le cours à monter, à démonter et remonter, en même temps que le souffle poétique de Whitman comme une avalanche dans mon cerveau, ma moelle et mon coeur. La chaleur suffocante du ciel bleu dehors, ma sueur chaude qui coule sans cesse alors que je bouge à peine. Il n'y a pas de sueurs froides dans l'ennui. J'ai tellement écris dernièrement mais rien pour le blog, l'exercice commence à me lasser, je n'ai plus de bouteilles à envoyer dans l'océan fibreux de la grande toile mondiale, des limbes internets, je devrais vider mes quilles de whisky pour remplir d'autre pages blanches et les envoyer aux noyés du web, mais le feu n'en vaut pas la chandelle. La beauté d'une mort sans lumières. La ténèbre accessible en un clignement d'yeux n'est même si noire tant que ça, il y a des phosphènes qui frétillent et virevoltent dans de micromacroéclairs stroboscopiques. Le chaos à portée d'oeil, à une clignée de paupières. Il se passe beaucoup plus de choses lorsqu'on a les yeux fermés. Shut your eyes and see, monsieur Dedalus ; toute cette plage dans son imparfaite entièreté, tout ce limon cette vase froide sur les pieds nus, toute la mer océane devant ton imparfait être fragmenté. Déchirée est la page sur laquelle dessinent yeux fatigués, mes grévistes du sommeil tellement que la tête est bombardée d'aiguilles et de lames de rasoirs tranchant les circonvolutions, les évolutions, les dévolutions et les espoirs de révolutions. Mais vaines lubies. Mes veines lubient dans le reflet et le fracas de la lame. Lame de vagues neigeuses que j'aimerais qu'elles m'emportent dans des eaux étrangères, nager avec les immortels requins, la plus belle inspiration de peur du règne. Je suis salement en manque de forêts, de leur ombre et leurs verts graves dans le cité et ville et dans la prison des jours. La beauté d'une mort sans lumières. Je ne sais même pas ce que ça veut dire et pourtant ça reste entier dans l'onyx obscur et sculpté de mon cerveau, de ma moelle et de mon coeur. 

mercredi 15 juillet 2015


il faut se désempêtrer
de tous ces indicibles

jeudi 11 juin 2015


Something's gone terribly wrong
With everyone
All the world is mad
Darkness brings terrible things
The sun is gone
Our vanity! Our sad, wretched fires... - Thrice

les ténèbres transpirent
des feux déconstruits
et tous les diables dansent
sans fin

*****

trop de livres à lire
trop de mots à écrire
trop de morts à survivre
trop de vies à vivre

vendredi 22 mai 2015


il y a des échecs plus sublimes
que de banales réussites

et après
tout le reste se construit dans le silence
l'or de l'espace et du temps

mercredi 20 mai 2015


aurore bronze et ocre
tu dessines la lumière
et déplies le jour
avec tes doigts de rose

je me réveille et respire
les restes de mes rêves
dans l'encens de tes yeux

vendredi 24 avril 2015

dialogue

Elle : Pourquoi ça te fait tripper tant que ça, lire? Fais-moi ça short and sweet.
Lui : Euh...ok. (Genre de pause servant à rapailler tout ça) Ben j'aime lire parce que je crois que la lecture me fait vivre des émotions diverses que je suis incapable de vivre autrement ; mais ça sollicite pas des émotions faciles, je ne parle pas de tristesse ou de joie, je parle d'émotions qui te traversent comme rien d'autre, comme quelque chose d'inexplicable, mais il faut se laisser embarquer, pis je parle pas de livres qui te racontent une tite histoire cute ou épeurante, je parle de lectures qui transcendent criss! Moi c'est la curiosité mon truc, quand je lis un livre qui pique ma curiosité insatiable, qui peut me permettre de me rendre plus intelligent, qui me permet d'élargir mes connaissances, d'avoir accès à ce que je ne connaissais pas, ça comble un trou, un vide, ça peut faire de soi une meilleure personne, c'est pas comme le cinéma par exemple où on te criss l'image en pleine face. C'est ça qui est malade avec les mots, tu te fais l'image, pis des fois, c'est juste trop beau. Je suis capable de voir la beauté de quelqu'un, un homme ou une fille, tu le ou la regardes, il est beau elle est belle pis that's it! Eille gros effort!? Les mots c'est pas la même chose, la beauté se fait plus discrète mais quand tu tombes dessus, quand tu la trouves, ça peut être une épiphanie! Une putain de révélation qui te montre quelque chose que peut-être juste toi vois! Ça devient à toi, du moins t'as l'impression que ça devient à toi ; ça peut-être aux autres aussi, c'est peut-être déjà à quelqu'un d'autre, mais ça tu le sais pis c'est parfait de même. La poésie, merde, moi ça me fait tripper... pis ça permet de mieux vivre la solitude aussi, même si elle peut la créer de façon impitoyable, en tout cas... tout ça pour dire qu'à quelque part en d'dans d'moi, je suis ben pessimiste, la littérature me donne un peu d'espoir. Tu voulais ça short and sweet hein!? désolé. 
Elle : Non ça va c'est correct.

jeudi 23 avril 2015

hockey


"Comment on peut être fiers d'avoir un chandail des Sénateurs? Une équipe plate dans une ville plate dans un pays plate."
- Chevalier Gaulin

mercredi 22 avril 2015

"Voilà pourquoi je vis seul depuis plusieurs années dans l'arrière-pays plutôt qu'à Montréal. Bien qu'elle soit pleine de tracas, la solitude a ceci de particulier qu'elle vous force à toujours rester debout parce qu'elle fait la vie dure à votre corps et à votre esprit : il n'y a pas de demi-mesure dans la solitude, et c'est pourquoi elle demande autant d'énergie. Elle vous porte souvent au vacillement et quand ça arrive, aucune main ne se tend vers vous, aucune voix ne se fait entendre. C'est un dur apprentissage, car on n'en a jamais fini avec lui, il ne cesse pas d'exiger - et soi-même, on ne peut cesser de résister, car la vie se retire aussitôt comme le refoule la marée en mer Océane, qui ne laisse sur la grève que des débris.
- Victor-Lévy Beaulieu

mardi 21 avril 2015

Dans le ventre de l'ogre

Depuis le 1er février, je m'efforce de nourrir un tant soit peu ce blogue. Au début, un ami et moi l'avons fait par défi et, ensuite, je me suis laissé prendre au jeu et j'ai continué sans relâche d'écrire des posts, à chaque jour, refusant de me censurer et abandonnant dans l'univers des interwebs mes bribes ici et là, sans savoir qui me lit, fortuitement. Aujourd'hui, peut-être plus qu'aucun autre jour depuis presque trois mois, je pensais être arrivé au fin fond du cul de sac et, à mesure que le jour avançait vers son inéluctable fin, je commençais à me convaincre que je ne publierais rien. Je peux bien prendre congé ne serait-ce qu'un jour après tout. Donc, j'ai refermé mon ordinateur et j'ai rouvert le Nietzsche de VLB que j'ai commencé hier. Plus ma lecture avançait et plus les images se déployaient en ma tête trop pleine pour que je ne prenne pas la parole. Je me suis donc servi un verre de whisky cheap, mon scotcheap de semaine, et je me suis laissé aller au gré des mots.
L'objet est superbe. Gros comme un dictionnaire, une magnifique police Garamond, truffé d'images, les pages sont d'un blanc mat avec une infinitésimale teinte beige ou crème. L'odeur de la colle est encore très nette. Lorsqu'on ouvre l'ouvrage et qu'on commence à lire, on ne peut que se laisser absorber. Dire que VLB est au sommet de son art, de son arbre, est un euphémisme. J'ai lu tous ses essais littéraires : son Hugo et son Kerouac semblent avoir été écrits à la va-vite ; c'est dans son Melville qu'il a assis son style de façon autoritaire - je ne compte pas son Foucault, espèce de coït interrompu qui se perd trop facilement -, et c'est dans son Joyce qu'il a pris des proportions titanesques. Cet essai fait encore parti des 10 plus grands livres que j'ai lus, et c'est le plus grand livre que j'ai lu d'un écrivain vivant - que je lis très peu, je le confesse. La barre n'est pas haute, elle est stratosphérique. 
Il m'a suffit de la première centaine de pages - sur 1400 - pour réaliser que je tenais dans mes mains l'objet d'un maître, dans le sens le plus évolué du terme. Je laisse de côté la trame narrative pour l'instant et me consacre à la trame essayistique. Le premier chapitre répertorie, avec une érudition et une éloquence monumentales, les racines idéologiques de Nietzsche en retraçant l'histoire de l'Allemagne, et surtout celle de Martin Luther et de son antisémitisme, pour en arriver à celle de sa famille. Je n'avais jamais réfléchi sur l'influence prépondérante que celle-ci eut sur Nietzsche pour la simple et unique raison que j'ai toujours lu Nietzsche et jamais sur lui. Certaines incompréhensions disparaissent. Mais ce ridicule résumé ne rend pas hommage à l'ouvrage : la somme d'informations que VLB déploit, dans une prose irrésistible à mille lieux de son joual de bataille de ses débuts, est telle qu'il m'a fallu interrompre ma lecture et revenir en arrière à plusieurs reprises pour être bien sûr d'avoir tout saisi ce qu'il avançait, ce qu'il révélait. La richesse des informations n'a d'égal que sa complexité, ce qui alimente ma fascination irrépressible. J'en suis encore qu'au début, mais comprends facilement la portée du texte. 
Tout ça ne fait qu'alimenter ma profonde conviction de ce qu'est appelé à devenir la littérature, c'est à dire un maëlstrom mélangeant savamment trame narrative et prose essayistique. Et tout cela me ramène à mon projet pour cet été et je me rends compte de la commune démesure que celui-ci va prendre ; il me sera impossible de le mener à terme, comme je l'escomptais, cette année. 
Je n'oserais jamais me comparer aux grands qui nourrissent mes lectures, mon intellect, mes émotions et mon être, mais je vais essayer de m'offrir au moins les moyens de mes ambitions.
Cette entrée de blogue prend davantage les allures d'un journal, mais la lecture demande parfois qu'on l'allège, qu'on se libère de sa toute-puissante, et c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour le faire et ne pas sombrer dans un solipsisme solitaire.