mardi 21 avril 2015

Dans le ventre de l'ogre

Depuis le 1er février, je m'efforce de nourrir un tant soit peu ce blogue. Au début, un ami et moi l'avons fait par défi et, ensuite, je me suis laissé prendre au jeu et j'ai continué sans relâche d'écrire des posts, à chaque jour, refusant de me censurer et abandonnant dans l'univers des interwebs mes bribes ici et là, sans savoir qui me lit, fortuitement. Aujourd'hui, peut-être plus qu'aucun autre jour depuis presque trois mois, je pensais être arrivé au fin fond du cul de sac et, à mesure que le jour avançait vers son inéluctable fin, je commençais à me convaincre que je ne publierais rien. Je peux bien prendre congé ne serait-ce qu'un jour après tout. Donc, j'ai refermé mon ordinateur et j'ai rouvert le Nietzsche de VLB que j'ai commencé hier. Plus ma lecture avançait et plus les images se déployaient en ma tête trop pleine pour que je ne prenne pas la parole. Je me suis donc servi un verre de whisky cheap, mon scotcheap de semaine, et je me suis laissé aller au gré des mots.
L'objet est superbe. Gros comme un dictionnaire, une magnifique police Garamond, truffé d'images, les pages sont d'un blanc mat avec une infinitésimale teinte beige ou crème. L'odeur de la colle est encore très nette. Lorsqu'on ouvre l'ouvrage et qu'on commence à lire, on ne peut que se laisser absorber. Dire que VLB est au sommet de son art, de son arbre, est un euphémisme. J'ai lu tous ses essais littéraires : son Hugo et son Kerouac semblent avoir été écrits à la va-vite ; c'est dans son Melville qu'il a assis son style de façon autoritaire - je ne compte pas son Foucault, espèce de coït interrompu qui se perd trop facilement -, et c'est dans son Joyce qu'il a pris des proportions titanesques. Cet essai fait encore parti des 10 plus grands livres que j'ai lus, et c'est le plus grand livre que j'ai lu d'un écrivain vivant - que je lis très peu, je le confesse. La barre n'est pas haute, elle est stratosphérique. 
Il m'a suffit de la première centaine de pages - sur 1400 - pour réaliser que je tenais dans mes mains l'objet d'un maître, dans le sens le plus évolué du terme. Je laisse de côté la trame narrative pour l'instant et me consacre à la trame essayistique. Le premier chapitre répertorie, avec une érudition et une éloquence monumentales, les racines idéologiques de Nietzsche en retraçant l'histoire de l'Allemagne, et surtout celle de Martin Luther et de son antisémitisme, pour en arriver à celle de sa famille. Je n'avais jamais réfléchi sur l'influence prépondérante que celle-ci eut sur Nietzsche pour la simple et unique raison que j'ai toujours lu Nietzsche et jamais sur lui. Certaines incompréhensions disparaissent. Mais ce ridicule résumé ne rend pas hommage à l'ouvrage : la somme d'informations que VLB déploit, dans une prose irrésistible à mille lieux de son joual de bataille de ses débuts, est telle qu'il m'a fallu interrompre ma lecture et revenir en arrière à plusieurs reprises pour être bien sûr d'avoir tout saisi ce qu'il avançait, ce qu'il révélait. La richesse des informations n'a d'égal que sa complexité, ce qui alimente ma fascination irrépressible. J'en suis encore qu'au début, mais comprends facilement la portée du texte. 
Tout ça ne fait qu'alimenter ma profonde conviction de ce qu'est appelé à devenir la littérature, c'est à dire un maëlstrom mélangeant savamment trame narrative et prose essayistique. Et tout cela me ramène à mon projet pour cet été et je me rends compte de la commune démesure que celui-ci va prendre ; il me sera impossible de le mener à terme, comme je l'escomptais, cette année. 
Je n'oserais jamais me comparer aux grands qui nourrissent mes lectures, mon intellect, mes émotions et mon être, mais je vais essayer de m'offrir au moins les moyens de mes ambitions.
Cette entrée de blogue prend davantage les allures d'un journal, mais la lecture demande parfois qu'on l'allège, qu'on se libère de sa toute-puissante, et c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour le faire et ne pas sombrer dans un solipsisme solitaire. 

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