mercredi 29 février 2012

Éveil

vouloir vivre à tout rompre les parois lumineuses du gouffre du jour s'extirper de terre gravir les murs s'élever libre et embrasser les muses invisibles sorties de tempête chantant une nouvelle aube
je n'ai rêvé à rien 

vendredi 24 février 2012

Hockey

Ils étaient tous plus gros que nous, meilleurs buteurs que nous, deux lignes d'attaque plus fortes contre les nôtres, inégales. Dès le dévoilement de l'alignement, on saurait qu'elle serait difficile. Les patins ont fendu et mangé la glace, entrechocs des bâtons et des casques et coups d'épaules. Le corps inondé de sueur, alourdi, ankylosé; la fatigue alors que le coeur pompe tout le sang du corps, les tempes en furie. L'adrénaline, tout va vite, l'étrange ivresse de l'essoufflement, on ne pense à rien, on agit, par réflexes. On dirait que des forces invisibles retiennent leur souffle à chaque descente, à chaque lancer, à chaque arrêt. Les cris d'encouragement fusent de tous côtés ; les cris de joie, seulement du nôtre. On joue notre meilleur match, en équipe, notre défense est solide, notre gardien arrête tout et on gagne ce match qu'on ne croyait jamais gagner, en équipe. Je m'étais promis de ne pas parler d'hockey, mais peu importe. De toute façon, le sport est aussi poésie.
Vous connaissez la bière de la satisfaction? C'est elle je bois présentement, et elle a rarement été aussi bonne.

mercredi 22 février 2012

La cinquième saison

Février, Montréal, Villeray. Ne cours plus les mardis car trop d'ordures dans les rues. Saletés crasses et coagglutinées. Mais mercredi n'est pas mieux et malgré la pluie, les rues sont toujours sales. File alors vers le parc. Personne. Je suis un peu de solitude qui court. Croise un tamoul édenté tout droit sorti d'un film tordu, qui me regarde comme si j'étais un extra-terrestre. Va plus vite. Au-dessus du stade de tennis et des terrains de soccer, on voit la tour de la faculté de musique de l'Université de Montréal et l'Oratoire Saint-Joseph. Suis jamais allé là en six ans et c'est pourtant si proche. Les mots d'Émile me viennent en tête "ah comme la slush a slushé..." La neige n'est plus. Qu'une immense flaque d'eau le parc. Couche superficielle de glace sur le lac qui reflète le gris mat du ciel. Je déteste cette cinquième saison, exclusive à Montréal, celle entre l'hiver et le printemps, comme si aucune des deux ne la voulait. L'hiver la repousse alors qu'en la voyant venir se sauve le printemps. Et nous pris dedans.

vendredi 17 février 2012

Coïncidence (ou peut-être pas)


Lou Andreas-Salomé, née Louise von Salomé, fut tout sauf une femme ordinaire. Femme de lettres allemande d'origine russe, incarnant la liberté intellectuelle, féministe avant même que le mot existe, trilingue, élevée à la noblesse par nul autre que le tsar Nicolas 1er, elle fut tour à tour le seul et unique amour de Nietzsche, la muse de Rainer Maria Rilke, la meilleure amie d'Anna Freud et la brillante disciple, ainsi qu'une des plus fidèles correspondantes de ce cher Sigmund. On peut sans craintes parler d'un destin en tout point hors du commun, pour ne pas dire extraordinaire. 
Je ne connais pas beaucoup les écrits de Salomé, sinon une description de Nietzsche qui témoigne de sa remarquable plume, mais inutile de dire que je suis désormais tout à fait intrigué par cette femme et je me suis promis d'y venir dans un avenir très rapproché.  Toujours est-il que connaissant plutôt bien ceux du philosophe poète à moustache et ceux du psychologisant barbu fumeur de cigare, j'ai eu, hier, l'idée bien inoffensive de me renseigner un peu sur l'oeuvre du poète allemand dont elle fut la muse, poète qui m'est, à vrai dire, en dehors de son nom, absolument inconnu. J'emprunte donc Lettres à un jeune poète à la bibliothèque, ouvrage que monsieur Grasset lui-même (oui l'éditeur) qualifie de "véritable guide spirituel", de "manuel de la vie créatrice de portée universelle", rien de moins. Je suis alors convaincu qu'il représente la meilleure introduction à l'oeuvre de Rilke.
J'ouvre donc ce matin, le 17 février 2012, ledit livre qui est un recueil de dix lettres que Rilke a écrites à Franz Xaver Kappus (le jeune poète en question) et quelle est ma surprise de voir que la première lettre que Rilke adresse à Kappus est datée du 17 février 1903. 109 ans jour pour jour après l'écriture de cette lettre, je la lis.  Dans une autre époque, dans une autre langue, à un tout autre moment. La fulgurance des mots a traversé le temps sans rien faire sinon exister ; une ellipse de 109 ans bouclée en un clignement de paupières.
J'aurais lu cette anecdote dans un roman de fiction et je ne l'aurais pas crue. À trop vouloir jouer avec la chance, il est facile d'abuser la naïveté. Mais en même temps, je me refuse à croire qu'il ne s'agit là que d'une vulgaire coïncidence et je me plais à y voir autre chose. De la poésie, un privilège unique, une anecdote dépassant l'entendement parce qu'il y a justement des signes au sens dépassant l'entendement humain. Et là, et c'est peut-être moi qui est naïf, mais j'y vois un peu de vie ; un peu de vie dans toute son abstraction presque saisissable, dans tout son mystère - comme la profonde douceur du regard de cette femme ci-haut - un peu de vie, à l'état pur.


jeudi 16 février 2012

Lire Nietzsche

"Nietzsche est illisible pour ceux qui le lisent avec les yeux de la raison, il est impensable pour ceux qui veulent le penser avec les instruments de la pensée. Il est le penseur de ce qui ne se pense pas, de ce qui est hors pensée - et là est son véritable mystère : "comment penser l'impensable?" Non pas en le rendant pensable, car ce serait tomber dans le piège philosophique, mais en respectant jusqu'à l'hallucination sa nature d'impensable ; en le vivant dans son corps, dans sa chair, avec ses muscles, ses nerfs, son coeur, avec la conscience que son corps, cet autre moi, sait mieux que la pensée notre vérité d'humain."
- Bernard Edelman

vendredi 10 février 2012

Chopin le matin

belles Nocturnes matinales
un chaud café, la brume figée dehors
le jour s'est levé
sans couleur
tranquillement
ces mélodies comme si le temps n'existait pas

mercredi 8 février 2012

Insomnie

pluie nocturne
orée de l'ombre
claire hier lumière de lune

désir d'inverser la pluie
flocons follet d'obscurité
folies noyées dans
le calme de l'eau froide

corps subimmergé
âme aqueuse
à mi-chemin de la vase et du vent
entre l'étranglement des algues
et l'étreinte du néant
un torrent de nuit s'écroule sur moi

et je dérive
je cherche les vagues du rêve

mardi 7 février 2012

Temps des jours

le soleil distille un proche printemps
dans la rue les passants sans foulard
plissent les yeux sous les reflets du ciel 
un ciel nimbé d'or bleu éclatant

après quelques songes sombres et clairs
le temps des jours passe en jeux de lumière

jeudi 2 février 2012

Marilyn et Molly


Cette photo date de 1954. D'une sublime humanité, elle montre une Marilyn Monroe médusée en train de lire Ulysse. Elle a 28 ans, elle est au sommet de sa gloire mais on la voit ici dans un parc loin de tout, auréolée d'un naturel désarmant.
Si l'on se fie aux pages, Marilyn est en train de lire le chapitre ultime d'Ulysse, soixante pages découpées en huit paragraphes sans ponctuation, le soliloque de Molly

Volcanique Molly le chapitre de l'âme humaine aux limites de la folie fleuve de lave blonde Bloom a voyagé Molly voyeuse incapable de dormir car la fragrance de ses rêves d'autrefois est embaumée de la puanteur de son égout d'époux Molly femme adultère lascivesseulée délire sa salive amère et désenchantée d'aimer parce que perverse comme lui perverse comme tous les autres déviante rivière irriguant sexe et désir le long des corps érodés de solitude au-delà des souvenirs noyés peine de lettres d'amour elle rêve de flamboyante romance du viril Dache Boylan de la poésie du labyrinthique Dedalus et pourtant pourtant oui à Gibraltar une rose rouge dans les cheveux comme une jeune fille andalouse oui les roseraies les jasmins et les primevères oui baiser sous le mur des Maures oui torrent de mer écarlate oui fleur de montagne oui bras enlacés oui seins parfumés la peau fragile le coeur qui battambour elle avait dit oui oui je veux bien Oui

Le chapitre de l'acceptation résolue de la délivrance de l'affirmation absolue où dans le tonnerre des mots Jupiter Joyce l'irlandais fou a saisi la foudre à mains nues pour immortaliser des cendres de l'encre et ceindre d'éternité ce jour ce jeudi ce 16 juin 1904 une pluie d'éclairs toucha Dublin et frappa l'existence humaine de contingence la sortant du reflet de Narcisse les blanches fleurs aux rouges corolles se sont fanées marquant l'humanité en lui rappelant sa brièveté infinitésimale et microcosmique mais également ses ambitions homériques

"Les mots doivent changer parce que les temps changent." - Joyce

Nous sommes jeudi, je viens de finir Ulysse. Et dire que machinalement, j'ai remis mon signet, dans le livre, à la fin.


mercredi 1 février 2012

Détente

À la verticale de la nuit
calme
l'ambiance échappe ses soupirs
monotonnant silence
je n'entends rien
plongé dans les possibles
d'une simple prose