vendredi 25 septembre 2015

Elle avait des jambes d'un blanc lacté ; elle les avait croisées comme un début de constellation, posture suffisante quasiment arrogante, comme l'air de dire "regardez comment ma contenance est l'incarnation même de la féminité" ; je les imaginais douces comme le duvet de ce lapin conduisant directement dans le terrier mystérieux, mais pas l'air en retard pour un temps, probablement hyper-névrosée par contre, cette névrose tue devant les autres mais qui explose dans l'intime ; elle me happait tout croche vers le pays des merveilles, aux bouts des antipodes, vers le point de fuite des paradoxes ; mais la chute n'eut pas lieu, ce n'est pas cela que j'explore de toute façon. 

Quelques stations plus tard, mon regard retombé dans la démanche de ce nouveau Don Quichotte, la blancheur livide du lapin d'Alice est devenue spectrale, un petit souvenir creux qui n'existera plus après cette page ; toutefois autour de moi les sbires de la Reine de coeur inconnue sont légion et vont tous travailler dans l'édification de notre pas-de-pays-pas-merveilleux-pantoute ; j'ai toujours resté ici mais dépaysé je suis dans mon exil limitrophe se rétrécissant sans cesse ; si bien que mon imagination s'idiotise et s'abrutit ; je ne construis que ce pays en moi à travers les mots que je lis et qui me nourrissent comme l'alcool fait l'eau-de-vie ; j'ai la solitude tranquille, mais elle reste le creuset atterré et où s'entasse ce qui me répugne sous le mortier des tyrans ; et pourtant, il ne suffirait que d'un bon coup de vent pour que le château de cartes s'effondre - tisse tisseur de vents - ; il faut rebâtir une fois les ruines acceptées.

Dans ma classe pendant que mes élèves rédigent, une immense carte du monde remplit le mur du fond au complet ; j'ai pas fait tant de latitudes-parallèles mais quand même pas mal de longitudes-méridiens - quels mots superbes - ; ce monde m'étourdit, il est trop concret et trop absurde en même temps ; je peux comprendre ceux qui dans l'histoire en ont eu marre des hommes en général, ce sont les hommes en particulier qui m'intéressent ; et les lieux singuliers qu'ils habitent, à commencer par ce nord qui m'appelle de plus en plus ; j'y retournerai l'été prochain voir ces pays que j'imagine dans mon perpétuel sentiment de constant dépaysement ; en attendant, toujours et toujours les mots, cette lumière crachée et cette architecture de l'encre qui me révèlent les inconnus, les possibles et le métal trempé de l'âme.

mercredi 23 septembre 2015

Parlez-moi d'un début de roman!

"Et puis, il comprit qu'il allait mourir. Cette pensée lui vint au beau milieu d'une phrase, alors qu'il cherchait ses mots et n'était pas satisfait de ceux qu'il trouvait : ils étaient ou bien trop longs (serpents à lettres pâteuses qui entouraient ses jambes et faisaient monter le sang à sa tête) ou bien creux comme le tronc du vieil érable qu'avec son père jurant et crachant le brun malade de sa chique il avait abattu jadis devant la maison lambrissée de papier-brique, à Saint-Jean-de-Dieu. Ou bien encore, les mots brillaient trop devant ses yeux, l'éblouissaient, lui donnaient le vertige, se modifiaient en d'apeurantes étoiles noires qui tombaient silencieusement derrière ses paupières closes. Alors Abel se laissait tomber sur sa chaise et se mettait à hoqueter : désormais, il n'allait plus pouvoir rien faire ; quelque chose en lui (mais peut-être aussi cela venait-il de l'extérieur, dans cette fourmi absurde se frappant obstinément la tête contre la vitre de la fenêtre, dans une entreprise désespérée tout autant qu'insensée, et dehors les sous-vêtements bruns battaient au vent, faisant quelque danse obscène sur la corde à linge, provoquant l'oeil, créant dans la cours un champ d'angoisse parfaitement circulaire et au centre duquel, comme quelque bête suant et jurant, lui, Abel Beauchemin, venait de comprendre que jamais plus il ne pourrait écrire de romans).
- Victor-Lévy Beaulieu, Don Quichotte de la démanche

lundi 14 septembre 2015

Une aide inattendue

  - Eh bien on aura tout vu! Un arabe qui sert du vin à des Juifs! dit la dame en levant le menton, visiblement fière de son trait d'esprit.
  - Je ne suis pas arabe madame.
  - Non??? Je ne vous crois pas!
  - Non madame, je ne suis pas arabe, je viens de Chicoutimi.
  - Mais c'est arabe comme nom!
  - Non madame, c'est amérindien et c'est au Québec. Ça veut dire "là où l'eau est profonde".
  - C'est joli! dit-elle en souriant. Elle prend un verre de dégustation et le respire silencieusement. Et ce vin, il est casher?
  - Oui madame, casher et mevushal en plus.
  - Mais vous n'êtes pas juif?
  - Non madame.
  - Ah! dans ce cas, je ne peux pas le boire. Au revoir!
    Et elle de déposer le verre sur le petit comptoir et de repartir le plus candidement du monde.
    Ce n'est pas la première fois qu'on me prend pour un arabe ; mon teint basané et ma barbe des séries ne font qu'accentuer l'impression. Je suis habitué à ce genre de répliques depuis que je travaille ici et ça ne me dérange plus. Ici, c'est la SAQ classique du Cavendish Mall, qu'on a rebaptisé, mes collègues et moi, Cavenshmall. On trouve que ça sonne juif ce nom. Ici, c'est un énorme centre d'achats en train de dépérir, laissé à l'abandon, où soixante-dix pour cent des magasins sont fermés et les trente autres ont toujours des ventes de fermeture. Si on enlève le IGA, la pharmacie et la SAQ, qui a la plus grosse sélection de vins cashers du Québec, c'est tout le mail qui fermerait. Ici, c'est beige à vouloir se péter la tête sur les murs pour y ajouter un peu de couleurs.
    Je souris machinalement aux clients qui passent et daignent me regarder, mais j'ai la tête ailleurs. Pas dans l'un des murs de l'endroit, mais bien dans mon mémoire qui stagne depuis plusieurs semaines. Ouais, autant dire dans un mur en fait. Avec le recul, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi ce sujet - la honte et la culpabilité dans l'oeuvre d'Albert Camus -, et je suis bloqué. Au départ, mon directeur de maîtrise m'a dit que ces émotions étaient les plus importantes à approfondir parce qu'elles sont en train de disparaître. Il a raison. Depuis que je vis à Montréal, il ne m'aide pas autant que je voudrais, mais il m'a dit qu'il croit en moi et que je dois construire mes propres analyses. Cependant, à travailler quarante heure par semaine dans une SAQ reculée de l'ouest de Montréal, le temps et la motivation nécessaires aux réflexions sont absents.
    Aujourd'hui c'est vendredi. Pour l'instant c'est tranquille, mais comme c'est le sabbat demain, ça va être le délire à partir de 15h. Je remplace Natasha à la dégustation pendant qu'elle est en pause. Je déteste le vin casher, cuit et trop sucré à mon goût, ça me pue au nez et aux tripes. Un client sur trois refuse de boire le vin parce que j'y aie touché. Selon eux, je suis impur - et comment! - et je contamine le vin. Après de longues minutes, ça commence à s'animer dans le magasin et je vais terminer ma journée à la caisse. Cinq ans d'ancienneté, des connaissances inépuisables en whisky, mais on m'apprécie surtout pour ma compétence à balancer ma caisse. La file devient de plus en plus longue et les clients commencent à s'impatienter. Pour détendre l'atmosphère, je me permets quelques familiarités ici et là avec les clients habituels, qui savent que je ne suis pas juif le moins du monde : 
  - Quatre bouteilles de délicieux Manischewitz! Voilà votre change monsieur. Passez une belle journée et Shabbat shalom!
    Je me suis souvent montré curieux quant à leur culture et, si certains hassidiques sont très fermés, plusieurs laïcs m'ont parlé du judaïsme avec ouverture et éloquence devant mon intérêt. Toutefois, ce ne sera pas aujourd'hui que je vais continuer ces discussions, car ça ne dérougit pas.
    Après deux heures de rush qui ont passé comme trente minutes, une première accalmie. Une vielle dame entre dans le magasin. Ça fait cinq ans que je travaille à la SAQ et j'en ai vu de toutes les sortes des ptits vieux. Le sénile, le sens de l'humour douteux, l'alcolo, le frustré, le joyeux, le top shape, la canne, la marchette, le pas-pressé, le compteur de monnaie (toujours des femmes), le "dans mon temps", le sage, le déphasé, l'égaré, le qui-sort-pas-souvent, le veuf, le silencieux, l'affaibli, le malade, l'oublié, le délaissé par sa famille, le faut-que-je-parle-à-quelqu'un, et le fin seul. Elle, je ne saurais pas dire à quelle catégorie elle appartient. Elle a plus de quatre-vingts ans, elle fait à peine cinq pieds, les cheveux gris courts, un sourire gêné et l'air de ne pas vouloir déranger qui que ce soit. Je m'approche et lui offre mon aide. Elle accepte en me disant qu'elle n'est jamais venue ici, mais qu'elle est invitée chez son gendre et qu'elle ne veut pas arriver les mains vides. Elle ne connaît rien aux vins, donc je fais le nécessaire, juste quelques informations de base. Je lui parle dans mon meilleur anglais et elle m'écoute attentivement, comme si tout ce que je disais était très important, mais c'est moi que je saoule en parlant des différences entre les cépages, des millésimes et des accréditations casher et mevushal. Je coupe court à tout cela, lui trouve la meilleure bouteille pour son budget et l'escorte vers la caisse pour la faire payer.
  - En tout cas, madame, votre gendre va être bien content. Je vous souhaite une belle journée. Il semble faire un temps magnifique dehors en plus, dis-je en regardant l'énorme puits de lumière ensoleillé au centre du mail, seule fenêtre de la prison Cavenshmall. 
  - Vous savez, le temps qui fait importe peu, l'important dans la vie, c'est d'être libre, qu'elle me répond.
    Je ne saurais en effet contredire pareille affirmation, mais je la trouve bien sérieuse.
  - En effet madame, c'est important d'être libre, ça et en santé, balbutie-je. Je me trouve plutôt con de ne pas avoir davantage d'esprit. La fatigue.
  - Oui la santé c'est important, mais choisir, je choisis la liberté.
    Elle tend le bras gauche pour payer et la manche de son manteau se lève un peu, je vois une espèce de marque bleuâtre sur son poignet.
    Elle voit que j'ai vu. Dans ma tête, ça fait : tatouage sur le poignet égale Deuxième Guerre mondiale égale l'événement le plus honteux du 20ème siècle égale honte égale Camus égale mémoire de maîtrise égale moment unique et précieux. Toute ma compassion se dessine sur mon sourire un peu bête et je ne sais pas quoi dire. Elle comprend mon silence, on dirait qu'elle lit dans ma tête.
  - Quel est votre nom madame?
  - Helen Kirschbaum.
    Elle a de tout petit yeux d'un bleu irréel. J'ai mille question en tête que j'aimerais lui poser. Aux non-dits suivent quelques dits. Palpant ma curiosité, elle me parle, généreuse. Elle a été libérée d'Auschwitz en 1945, elle avait 19 ans. Avant ça, Dachau et Buchenwald. Trois camps en six ans. Les officiers femmes allemandes voulaient bien paraître aux yeux des hommes, donc elles se montraient plus cruelles : elles frappaient les prisonnières à coup de martingale, toujours en plein visage, sur les oreilles, les lèvres, le nez. Elle a une cicatrice sur le lobe de son nez, on dirait un bec d'aigle. Elle me dit tout ça le plus calmement du monde et je peine à retenir mes larmes. Honte et culpabilité. Ce sont ses yeux surtout qui me fascinent. Ils en ont tellement vu que ça m'étourdit. Elle pardonne mon émotion et conclut en me disant que c'est pour ça qu'elle préfère la liberté au-dessus de tout. Les cinq minutes qu'ont duré notre discussion en ont paru mille.
    Elle doit partir et je lui demande si je peux la serrer dans mes bras. Façon maladroite d'embrasser toute l'humanité contenue dans cette femme. Elle accepte en riant et me dit que je suis beaucoup trop jeune pour elle. Les sourires qu'on s'échange sont sincères et elle part sans savoir que grâce à elle, même si j'ai le sentiment de porter le poids d'un crime que je n'ai pas commis, je vais débloquer : je vais finir mon mémoire dans la semaine qui suit et je vais le lui dédier.
    À l'instant, mon boss brise ma réflexion et dit : "C'est ben beau cruiser les petites vieilles, mais on a besoin de toi à la caisse 2. Allez, au travail!"
    À ma liste de ptits vieux, je dois désormais ajouter : "le survivant de la Shoah".

jeudi 10 septembre 2015

Cette chanson qui me hante depuis hier soir que j'en ai presque rêvé cette nuit le clip pure poésie en images et en danse le vent et les vagues des crevasses glaciales de neige cette Islande qui m'attire de plus en plus j'irai me perdre là-bas l'été prochain un long mois au même endroit question de jeûner de soleil et d'été un peu jamais j'ai autant espéré l'hiver respirer les volcans sentir la roche millénaire sous mes pieds en attendant que les geysers éjaculent dans un juillet que j'espère froid peut-être que je ferai du longboard sur les longues routes sinueuses et lisses et que je me sentirai libre ou que je me pèterai la gueule et que je me ramasserai dans un hôpital de Reykjavik et qu'on s'occupera de moi en islandais mais d'ici là rien mon café est froid je devrais me lever et m'en faire un autre mais ma tête file à toute allure et je n'ai pas le temps d'arrêter je dois terminer de préparer mon cours de la semaine prochaine et pour ce faire je dois relire rapidement vingt-sept contes fantastiques québécois de loup-garou de diable de curé tout-puissant de feu-follet de marionnettes et d'horreur morréal des créyances pis de couleuré langage de Jos violon l'unique et cric crac cra sacatibi sac-à-tabac mon histoire finit d'en par-là et en faire des analyses sommaires parce que je dois expliquer à mes étudiants qu'est-ce qu'il en retourne puisqu'ils peinent pour la plupart à se figurer eux-mêmes le propos de notre minuscule mythologie la chanson est sur repeat plaisir coupable en même temps je veux aller voir les monstres magnifiques de David Altmejd au musée d'art contemporain tous ces univers éclatés et écartelés comme mon putain de cerveau en ce moment aller prendre une bière avec Luss après pis jouer au hockey en soirée première fois de l'année mes genoux sont dégueulasses et craquent de partout il faut que je finisse mon recueil de poésie que je continue mon roman avant que l'ourobouros s'avale complètement avant qu'il fasse nuit avant que je devienne aveugle que je claque à quarante ans comme cet ostie d'être impossible me l'a dit à New Delhi mais il y a trop de choses à faire trop de choses à taire avant de faire tout ça j'ai même plus le temps de lire comme je voudrais et pourtant cette impression que je fais rien dans ce texte fleuve où la poésie peine à garder la tête hors de l'eau mais faut que ça sorte peu importe si ça sort mal de dedans moi mais en même temps je suis donc ben insensible je devrais arrêter de tout faire pour m'insurger contrer le monde et les injustices de tous les jours des coupes en éducation de la grève à venir d'enfant mort noyé sur une plage en Turquie je devrais arrêter de rêver à l'Islande à Joyce et à Walt Whitman je devrais alimenter mon fil Facebook et Twitter pour avoir des likes qui servent à rien à me donner bonne conscience en likant et partageant la bonne conscience de ceux qui prennent le temps de dire à tous et chacun qu'ils ont bonne conscience mais non je ferai rien de tout ça je vais écouter cette ostie de toune absolument sublime parce qu'il n'y a que ça j'aime et qui me donne quelque chose ici bas la beauté la poésie le sublime l'art sous toutes ses formes je suis peut-être individualiste dans le fond je marche en dehors de la parade de la fanfare horizontale dans la nuit dans le silence dans mes tremblements dans mes draves et mes friches dans mes pleurs sombres dans mon désir irrépressible de vouloir tout lire tout écrire tout faire encore et encore à chaque jour pour ne pas mourir à quarante ans d'une crise cardiaque alors que je fais l'amour ou encore pire en vélo seul sur une route perdue et sur la patinoire alors que je joue mais non mais non il ne faut pas penser à cela ça n'existe pas ces choses personne ne peut prévoir le futur ça s'arrête là non ça n'arrêtera pas je ne veux plus arrêter et pourtant il va falloir que j'arrête car j'ai soif et je dois faire tout ce que j'ai dit que j'allais faire mais avant un autre café encore un peu de temps juste un tout petit peu de temps pour terminer cette phrase fleuve que je voudrais interminable impossible personne ne la lira jusqu'au bout ils vont s'emmerder avant s'ennuyer avant perdre le fil au pire mais non il faut que j'arrête et je n'ai même pas dit la moitié de ce qui se passe dans ma tête et veut sortir avec une telle force que je dois la taire à grands coups j'aimerais tellement gagné ce putain de concours je n'ai pas parlé de ces musées vivants que sont les forêts je n'ai pas nombré tous les malheurs s'abattant sur le monde ni les bonheurs qui n'ont plus la cote de nos jours je n'ai même pas fait le ménage des mots restés dans le filtre des songes je n'ai pas assez mis de poésie dans ma matinée j'en veux plus et toujours plus de cette maudite beauté désespérante et magnifique tracée dans le sommeil des saisons dans l'ombre déchirée et aveuglante des cris dans ce sang en furie violant le granit des lits et dans le souffle des secondes perdues.

mardi 8 septembre 2015


aucun bruit ce soir
sinon ceux glissant
sur les frontières des corps
littoral des murmures

gémissements qui
s'entrechoquent et sautent
dans nos gestations et nos mues

les échos s'évadent
         spirale décentrée
les parallèles s'éloignent
et divorcent du feu

la nudité profonde de la nuit
s'anime et consent
à nos embrasements

lundi 7 septembre 2015

inachèvement

La mort de l'autre en l'âme, je suis retourné voir les miens. Je n'ai pas été capable de terminer le poème que j'avais commencé la gorge nouée d'amertume et de tristesse pour mes amis. Poignées de mains moites, accolades collantes de sueur, de cette sueur de fardeau tragique que seul le poids de la mort amène. Visages gris asséchés, où il ne reste que les sel des larmes. Toutes ces couleurs sombres dans la chaleur de l'après-midi. Nous sommes les nuages voisins des orages. La mort noire buvant le soleil. Dans la cathédrale, le rituel m'a donné la nausée, toute cette ridicule célébration de dieu dans la mort de l'homme. Mes regards tournés vers mes frères m'ont imposé le respect. Ont suivi à tout cela les moments entre nous uniquement. "Vous en virerez une criss en mémoire de moi." Embrassades échangées dans les effluves, nos gosiers assoiffés de l'alcool maître, tous veulent oublier donc se rappellent les vieux souvenirs dont certains datent de trente ans déjà. La pureté de l'amitié. Le Saguenay et le fjord nous avalant dans la nuit, dans l'ombre dessinée des montagnes, l'ivresse montait en nous et relâchait nos misères. On a presque tout dit ce qui se pouvait dire. Et ce poème qui ne veut pas se finir :

et tandis que les masques meurent
au bout de cordes dépoussiérées
au bout des solitudes muettes
j'avalerais ma tête pour qu'elle cesse de tonner
taire dans mon crâne le bruit des scorpions
leur nid de queues assassines
tordues       liées
mon être envahi de tempêtes
sur la grève ensevelie
violentée d'asphyxie de noyades
les fureurs lentes annoncent
l'effondrement
j'ai le cri sourd d'une gorge ensablée

j'espère un hiver précoce
- moins de malheurs arrivent en hiver,
les hommes cessent de se prendre pour le soleil -