samedi 25 février 2017

un dude de Côte des Neiges qui connait le japonais
pour avoir vécu au pays du soleil levant
- belle image! -
pendant une très longue année
one from Suffolk who lived in London, Glasgow,
Vancouver and now Montreal
pis un autre, un redneck de Chicout'
who dreams way to much 'bout love
speaking about past voyages
and the ones to come
Paris, London, Prague, Rome and Barcelona
speaking sports and rules
badminton, cricket, squash, hockey and rugby
speaking about different languages
syntax, prose and poetry
reading Joyce, Kerouac and Ginsberg
listening to old drum and bass
and Run the jewels
and Blue Train from Coltrane
and fucking Glenn Gould
drinking wine, beer, bourbon and Lagavulin 12 years old
twelve dead glasses on the table
Ma française is not that good anymore
It's because you're drunk - Yeah you're right, cheers mates!
We're not changing the world
but it feels like a better place right now

jeudi 23 février 2017

j'avance dans le jour
en déchirant les lambeaux des heures

MacDougal street blues & Desolation blues
I feel no sorrow nor pain

lecture interrompue par le bruit de l'averse
la première depuis l'automne dernier
elle gronde par intervalle par cycle
et se dépose sur le calme
de l'espace vide et infini

I'm no slave of my suffering
elle et moi cohabitons
assumés
                      We're fallen 
        angels 
Who didnt believe 
That nothing means nothing

être une force tranquille qui va
prodigieusement libre
        I will suffer no rival

And if you dont like the tone
       of my poems
You can go jump in the lake.

Well said Jack

mercredi 22 février 2017

EVEN JOYCE
Even he, Joyce,
     had love-
Even blind poets
                             - Jack Kerouac

Ti-Jean, surtout les poètes
aveugles sont amoureux fous
tu devrais savoir ça pourtant

lundi 20 février 2017

sur le chemin du retour de la montagne
Dehaes conduit comme un chef
nous sommes calmes et parlons à peine
la musique le fait à notre place et on se comprend
les phares des voitures s'agglutinent
comme un long insecte aux mille yeux
que notre élan irrésistible dépasse
le ciel est lourd d'une masse opaque de nuages
mais - le plus loin que l'on puisse voir
juste avant le début de l'horizon -
il est fendu de lumière par la hache d'un titan
cette lumière est à la fois fatigue du jour passé
et promesse de celui à venir
et l'on avance inlassablement
entêté mais toujours pris entre les deux

jeudi 16 février 2017

De l'égocentrisme

Égocentrisme : (n.m.) vient du latin "ego" (moi) et "centrum" (centre, aiguillon!?!) et signifie : "ne penser qu'à soi-même, tendance à tout rapporter à soi, à ne s'intéresser qu'à soi."

Karl Ove Knausgaard est un phénomène et un phénomène ne fera jamais l'unanimité. Dans une critique rarissime et plutôt virulente - certaines personnes aiment à descendre ce que la majorité admire, ça leur donne cette fausse impression de supériorité et d'unicité -, de son oeuvre, on l'accuse d'être un égocentrique pathétique et méprisable parce qu'il ne fait que parler de lui et de ce qui l'entoure, témoignant ainsi de sa personnalité antipathique. On ne pourrait prétendre le contraire : essentiellement, Knausgaard ne parle en effet que de lui, mais le critique, de mauvaise foi, en oublie le sens profond. C'était d'ailleurs l'une des principales craintes de Proust quant à son oeuvre. Il disait, je paraphrase, craindre qu'on ne le prenne que pour un petit snob condescendant et que ses inlassables descriptions de tout ce qui l'entoure n'étaient qu'un moyen de se flatter et de se satisfaire l'ego, autant dans sa virtuose maitrise du fond que celle de la forme, alors que lui y voyait plutôt l'occasion de tirer de ses observations quelque chose qui transcenderait l'individuel et le personnel pour atteindre l'universel : à travers lui et, surtout, son écriture, il voulait dégager des lois générales touchant tous les humains. En ce sens, son approche est quasi-scientifique. D'ailleurs, lors de sa parution, son oeuvre en a plus fait pour l'étude de la mémoire et du temps que la science à proprement parler. On pourrait dire la même chose de l'oeuvre de Joyce, mais cette digression serait trop longue. C'est néanmoins bon à savoir que la prochaine fois que vous entendrez parler de "quarks", ces particules élémentaires constituantes de la matière observable - rien de moins! -, sachez qu'il s'agit au départ du son émis par un choeur d'oiseaux dans le Wake : le scientifique qui en a fait la découverte était en train de lire Joyce et choisit ce mot pour nommer ces particules. De savoir que cet infinitésimal dénominateur commun est en fait le son que faisaient des oiseaux dans l'esprit d'un écrivain génial ne peut m'empêcher de me faire sourire. Pour en revenir à Proust, inutile de dire qu'il a réussi sur toute la ligne à dégager ces lois qu'il voulait universelles, celles de la révolution des êtres évoluant autour de soi dans le Temps. Il faut être un abruti de course pour voir dans le grand Oeuvre de Proust un éloge de l'égocentrisme et du narcissisme, il fait de la littérature la vie même et c'est exactement la même chose avec Knausgaard. 

C'est une porte toute grande ouverte que j'enfonce, mais à l'ère des réseaux sociaux où tout un chacun s'expose par bribes, de façon éminemment hypocrite et sans réelle franchise, pour témoigner des épisodes supposément "marquants" de leur vie, Knausgaard raconte sa vie, dans toutes ses contradictions, avec justement cette franchise et cette honnêteté inexistantes - sinon déguisées, tronquées et altérées -, de nos jours. Il est à contre-courant parce qu'il est authentique, parce qu'il ne supporte pas le faux-semblant, le mensonge et l'hypocrisie (j'y reviens souvent, mais c'est parce que c'est peut-être le plus grand mal de notre société posthumaine). On l'accuse de platitude? Mais c'est justement sa force. Comme l'ennui en est une dans La Recherche et comme l'absence d'aventures est la grande aventure dans Ulysses. Pour certains, Knausgaard pourrait être d'une banalité abrutissante, mais il a compris, contrairement à beaucoup de gens qui se "mettent systématiquement en scène"- il y a donc falsification sinon altération du réel -, que le banal dans toute sa réalité peut être sublime pour qui sait bien observer. Ce qui en revient au propre de la poésie qui est d'être capable de s'émerveiller devant n'importe quoi comme si c'était la première fois qu'on l'observait. Tandis que la tendance actuelle présuppose qu'il faille vivre de grandes choses pour donner du sens à sa vie, Knausgaard vit la sienne à travers son extraordinaire entreprise littéraire où l'auto-censure n'a pas sa place, où les gestes du quotidien, à travers leur banalité et notre indifférence, révèlent qui nous sommes et permettent de mieux nous connaitre. Et n'est-ce pas là l'essentiel des choses? Les écrivains qui ont consacré sinon sacrifié leur vie à l'écriture, comme Proust, Joyce et Knausgaard, et qui n'ont fait de leur vie que de la littérature, en ont plus fait pour l'étude de l'Humain que bien des sciences, qu'elles soient humaines ou dites pures. La vie imite l'art comme disait Oscar Wilde, et Freud n'aurait jamais été Freud sans Dostoïevski et Nietzsche. J'attends encore quelqu'un pour me prouver le contraire. 

J'aime m'imaginer l'écrivain comme le photographe qui en est encore à l'argentique : il refuse l'instantanéité et le filtre déformant de la photo numérique et de la photo prise au cellulaire, sans parler de l'insipidité du selfie. Comme le photographe anachronique, l'écrivain doit se replier dans la chambre noire de son soi pour révéler les images qu'il voit sur la page blanche, exactement comme le révélateur chimique le fait avec la photo, dans cet espace précis et unique entre l'inconnu de l'obscurité et l'évidence de la lumière.

mercredi 15 février 2017

tuer le temps spontanément

Mardi après-midi, Café Lézard sur Masson. Je dois aller garder ma nièce de dix mois tout à l'heure, la perspective d'avoir deux heures de bébé-thérapie où je pourrai m'oublier un peu beaucoup pour me consacrer à cet être complètement dépendant me fait le plus grand bien. En attendant, j'ai du temps à tuer. J'ai amené une pile de corrections, mais le coeur n'y est pas. La tête non plus d'ailleurs, elle est trop pleine de lecture, d’écriture, des mots des autres et des miens. Neuf bouquins (et pas des moindres) depuis le début de 2017, je m'enligne vers un nouveau record. J'ai terminé Voir le monde avec un chapeau de Carl Bergeron ce matin et si les deux cents premières pages étaient fulgurantes, les cent cinquante dernières m'ont plutôt lassé. Je les ai clenchées à la vitesse grand V pour pouvoir retourner au plus sacrant à Knausgaard. J'ai commencé Un homme amoureux tantôt et j'ai juste envie de décrocher complètement de tout pour me laisser happer dans son univers à nouveau. J'ai de la correction? Too bad. J'ai de la prép'? Too bad encore. Juste lire et écrire. Rarement un écrivain m'a donné autant le goût d'écrire, mais non pas d'écrire pour secouer le fond ou la forme, comme Proust ou Joyce me l'inspirent ; non, juste écrire pour écrire. Pour écrire tout et rien sans avoir à se justifier ou à se formaliser ; sans filtre, sans contraintes, sans censure, sans surmoi, sans taire tout qui m'habite et m'écartèle depuis presque trois semaines parce que je garde tout ça en moi. Pourtant, j'écris quand même pas mal sur ce blog, entre autres, mais ce n'est rien en comparaison de tout ce que j'ai écrit et caché, ou tout ce que j'ai écrit, raturé, rejeté du revers de la main et déchiré par la suite. Tous ces écrits tus par peur de brusquer, chavirer ou troubler leur superadressée. Peut-être que mes souvenirs de tout ça ne deviendront que des casse-têtes dont il manque des pièces, que des questions sans réponses. 

J'ai fait un horrible cauchemar l'autre nuit. J'étais couché sur une table de torture où un bourreau sans visage faisait son office. Il me scia littéralement en deux, en partant de mon épaule gauche jusqu'à mon aine gauche. Les côtes se détachèrent de mon sternum avec facilité mais lorsqu'il arriva à l'os iliaque, il dut y mettre tout son poids pour pouvoir casser l'os qui ne se rompait pas sous la lame de la scie. Il sortit des pinces-grip assez grosses pour couper un cadenas, il se pencha sur moi et je sentis son haleine horrible d'outre-songe venant d'une bouche invisible perdue dans les ténèbres floues de son absence de face. Je ne tenais plus que par l'os du coccyx et le bruit de l'os coupé par les pinces résonna dans tout mon corps. Je ne ressentais évidemment pas la douleur, mais je ressentais "la sensation", celle d'être écartelé, celle d'être détaché de moi-même. Après m'avoir scié en deux, le bourreau se mit en tête de recoudre les deux parties de mon corps.  (Tant qu'à ça, il aurait juste dû me crisser patience dès le départ, non?) Encore là, je sentais la grosse aiguille percer et ressouder mes chairs ; les points de suture étaient gros comme des lacets, ça me faisait une balafre qui me traversait verticalement tout le tronc, la taille et le bassin, passant directement sur le coeur, et qui me donnait l'air d'un Frankenstein grotesque, un Prométhée moderne de seconde classe, où révolte et romantisme boboches sont tracés à gros traits par les pinceaux incertains du songe. La signification de ce rêve saute aux yeux, même si ma ptite Freud en carton adorée n'est pas là pour confirmer, toujours est-il que ce rêve m'a foutu la chienne comme c'est pas possible et j'ose espérer ne plus jamais le refaire. 

Une ancienne étudiante est venue me voir ce matin. Elle n'étudie plus au cégep, mais elle avait à y faire et a pris le temps de venir me saluer. Un peu plus âgée que la moyenne, élève très brillante et d'une curiosité implacable, elle m'inspire une confiance totale et sans limite. Il y a des gens qui, sans qu'on s'explique pourquoi, suscitent ce genre de sentiments. Ils ont le don de nous mettre en confiance ; avec eux, la parole coule de source sans censure, ils sont un privilège. On se rencontre par intervalles, parfois très courts ou parfois très longs, et on a l'impression que le temps ne s'est pas écoulé, qu'on leur a parlé la veille. Dans certains cas, c'est carrément des années qui peuvent disparaître très rapidement (ces fugitives années comme disait Proust), l'on recroise une personne et la confiance qu'elle nous inspire - en espérant bien sur qu'elle soit réciproque, sinon rien ne fonctionne - nous permet d'ouvrir le livre que nous sommes et de révéler les secrets qu'il cache. En fait, elle s’est déjà confiée à moi par le passé alors qu’elle traversait une période très trouble de sa vie et elle avait alors été d’une franchise et d’une honnêteté à la fois désarmantes et fascinantes. Elle possède une écoute incomparable et une prodigieuse sensibilité. Elle m'a demandé comment j'allais et je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai tout déballé dans une logorrhée que j'ai cru indigeste tout d'abord et elle m'a par la suite rassuré en m'affirmant le contraire. Elle écrit et je l'ai toujours poussée là-dedans sans trop savoir si ce qu'elle écrivait était bien - même si ses travaux m'ont donné une bonne idée de son indéniable talent. Elle s'est toujours montrée réservée, le mot est faible, quant à son écriture car elle écrit dans la douleur. Après mon plaidoyer de bouette, elle m'a partagé un de ses textes. Du solide et du lourd, cette fille doit continuer d'écrire. Le fait qu'elle me partage son texte m'a flatté, il y a quelque chose de satisfaisant et d'inspirant de savoir que l'on vous accorde une telle confiance. 

Penser à tout ça et l'écrire me rend calme et serein. Une éclaircie dans la grisaille de février. Mon oeil est alerte et mes mains ne tremblent plus. Mon démembrement cauchemardesque appartient au monde énigmatique du rêve passé et de l'illusion disparue, ça ne m'inquiète pas. Je sens la puissante catharsis de l'écriture s'opérée alors que je sublime le trouble et la souffrance en un peu d'inoffensive poésie.

mardi 14 février 2017

j'ai vu ton coeur battre
dans une veine bleue saillante
juste dans l'angle de ton cou
sous ta peau presque transparente

lundi 13 février 2017

Soir de tempête. Crépuscule de bronze. Lumières d'airain fusant des lampadaires. Les flocons comme des flammèches éphémères dansant dans la nuit. Tout est en fuite dans la possibilité de l'évasion. Il n'y a pas âme qui vive dehors. Toutes se sont effacées le temps d'une soirée. Trois chandelles immobiles dans l'absence de souffle. Sensation de bombe à retardement. Latence de l'effondrement dans le dédale des stèles érigées. Vertèbres de l'ombre. Chercher des forces nouvelles dans le silence de l'ataraxie. Presque tout autour de moi est injecté jusqu'à la surdose de doux souvenirs déchirés.

Le lendemain. Montréal ensevelie sous le poids trompeur de la neige. Je fais le trajet bus-métro dans un état second. Tout ce qui m'entoure m'indiffère complètement, je ne pense qu'à la même... Carrie & Lowell de Sufjan Stevens accompagne le jour. De sa mélancolie découle une beauté pure qui s'épouse parfaitement au froid matinal. Je réfléchis et constate que je ne sais plus parler de. Tout ce que je tais et tout ce que je déchire va m'écarteler. Le parc Angrignon est magnifique mais la marche, éreintante. Le cerveau et le coeur demandent toujours plus d'oxygène. Des écureuils courent sur les branches lourdes de neige. Comme ce hamster infatigable dans ma tête. Fuir et se terrer au plus profond de soi. Je sais que je vais vers quelque chose.

samedi 11 février 2017

Pas seulement dans la maladie, à tout moment en fait

"Dans la maladie, Proust est mon ami. Je l'ai toujours lu dans des circonstances extrêmes de décrochage avec la "vraie vie" des bien-portants. Contrairement à ce que croient ceux qui ne l'ont pas lu, Proust n'est pas un snob refermé sur lui-même. Sa curiosité exceptionnelle s'approprie toutes choses comme une main préhensile et plusieurs de ses personnages les plus réussis sont en fait des prolétaires comme Françoise, la domestique de vieille souche. C'est en outre un archéologue des sens, qui raconte le mystère de la vie en creusant le réel plutôt qu'en suivant le fil d'une narration. Ses personnages sont des cas, qu'il analyse et effeuille jusqu'à la nudité poétique de leur anxiété première. La seule vraie "intrigue" de la Recherche est la procrastination du narrateur, qui diffère sans cesse le moment de faire une oeuvre Entre la première et la dernière page, des centaines de réflexions sur les aubépines, les clochers d'église, les madeleines, l'amour, la mémoire, l'enfance, l'art. Proust est un écrivant français, c'est-à-dire le contraire d'un romancier anglais : mémorialiste comme Saint-Simon et philosophe comme Montaigne, c'est un sensible doublé d'un curieux qui a quelque chose à dire sur tout ce qui l'entoure et sur tout ce qu'il a vécu. Cet essayiste autobiographe était trop poète et beaucoup trop génial pour ne pas faire du moindre détail de sa vie la colonne d'une cathédrale romanesque involontaire. 

Carl Bergeron, Voir le monde avec un chapeau

vendredi 10 février 2017

"Vers la fin de janvier, nous entrons au milieu de l'hiver, c'est-à-dire dans le néant. Les habitants du désert et les marins en pleine mer doivent ressentir une impression analogue. Les repères fixent s'effacent ; toute proximité dans le temps comme dans l'espace devient abstraite ; seule survit l'évidence de la solitude."

- Carl Bergeron, Voir le monde avec un  chapeau

Je hais février. Mois du faîte polaire, il n'est fait que de faux-semblants. En février se dévoile toute l'hypocrisie du soleil ; il est présent dans le ciel, mais ses rayons sont de glace. Ma marche rapide n'y change pas grand-chose, les muscles de mes jambes sont assaillis par la morsure pénétrante du froid ; je ne sens pas mon sang circuler, sans défense contre l'engourdissement. Le vent ne sert qu'à nous faire pleurer des yeux, qu'à endolorir et émacier nos chairs exposées. C'est le visage qui en prend pour son rhume, inévitable lui aussi. Toutes les têtes des passants sont enfoncées dans leur cou et leurs épaules. Le froid fait ressortir notre inhérente irritabilité, tout le monde avance comme des machines alors que la succession des jours renvoie à l'aliénation ; que possède-t-on dans l'indifférence polaire de février? Rien. Que le vide glacial des rues désertées. Nous marchons main dans la main avec la solitude. Et cette année, février est d'autant plus violent, car j'y ai perdu l'octobre sombre et superbe de tes yeux.

jeudi 9 février 2017

Marcel Marcel Marcel...

"Elles avaient fui depuis longtemps que j'étais encore à interroger vainement les chemins désertés. Le soleil s'était caché. La nature recommençait à régner sur le Bois d'où s'était envolée l'idée qu'il était le Jardin élyséen de la Femme ; au-dessus du moulin factice le vrai ciel était gris ; le vent ridait le Grand Lac de petite vaguelettes, comme un lac ; de gros oiseaux parcouraient rapidement le Bois, comme un bois ; et poussant des cris aigus se posaient l'un après l'autre sur les grands chênes qui sous leur couronne druidique et avec une majesté dodonéenne semblait proclamer le vide inhumain de la forêt désaffectée, et m'aidaient à mieux comprendre la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens. La réalité que j'avais connue n'existait plus. Il suffisait que Mme Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre. Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors ; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années."
- Marcel Proust, Du côté de chez Swann

mardi 7 février 2017

De la musique - extrait

Sur le chemin du retour, le transport des communs rassemble tout ce qu'il y a de plus ordinaire sur le Plateau Mont-Royal. Panoplie d'obèses chroniques, d'invalides incompétents, de coupes longueuil, d'étudiants pas révoltés pour deux cennes, une femme avec une pleine caisse de bananes (non mais qu'est-ce qu'elle va foutre avec soixante-dix bananes, prêtre!?) prend toute la place et ne s'excuse pas le moins du monde, des hipsters ennuyants comme le froid, des itinérants qui sentent la pisse et la misère et dont la puanteur pétrifie mon empathie ; lueur d'espoir : une sculpturale blonde aux yeux bleus vient s'asseoir à côté de moi, on échange un regard, dommage qu'elle ait une moustache. Crisse que le monde sont laitte! comme j'ai déjà dit plein de fois. La scène jure terriblement avec le Quintette à cordes n°3 en mi bémol majeur d'Antonin Dvorak qui joue en boucle dans mes oreilles depuis plus de vingt-quatre heures, le Larghetto surtout, c'est à vouloir s'arracher le coeur pour le donner à l'être aimé, avec tout ce qui vient avec. Récemment, on m'a demandé comment se faisait-il qu'un vieux punk comme moi pouvait triper autant sur la musique classique. "Parce que c'est peut-être la seule musique qui peut provoquer en moi autant des larmes de tristesse que des larmes de joie, le Larghetto de Dvorak (maudits accents pas trouvables) en est un excellent exemple. La musique classique c'est de la beauté à l'état pur, une conjonction de tout ce qui fait le sublime, la passion et l'immortel, c'est en-dehors du temps, connecté direct à l'essence de l'humanité. En plus, si tu veux résumer la musique classique, tu y vas comme ça : Bach a pris la musique et en a fait un carré, Mozart a pris le carré et en a fait un cercle, et Beethoven, ben il a fait péter le cercle." Elle acquiesça dans un sourire complice. Et l'on parla encore de musique comme on le faisait sans cesse depuis plusieurs semaines. On partage la même passion pour Schubert qui, malgré son extraordinaire notoriété, demeure probablement un des compositeurs les plus sous-estimés, le plus souvent pris dans l'ombre de Beethoven. Avoir fait tout ce qu'il a fait avant de s'éteindre à 31 ans relève du putain de miracle! Le Larghetto de Dvorak se développe comme une rêverie qui alterne entre la joie et le profondément tragique, où les regains de vie sont interrompus par des accents d'une puissante mélancolie, pour ensuite reprendre dans les soubresauts que déclenchent l'espoir et la passion revigorés. Écouter cette musique alors que commence à naître la tempête enveloppe l'atmosphère du jour. Le vent semble feutré du lyrisme des cordes, les brèves accélérations du tempo dans la seconde moitié du mouvement suppose une urgence indicible qui nous force à nous arrêter pour mieux sentir et ressentir.  Shut your eyes and see. Mettre des mots sur ce qui ne peut pas en avoir, une autre raison pourquoi la musique classique me fascine et me transcende. On dirait que l'Art permet au jour de suffire. 


jeudi 2 février 2017

Depuis qu'elle est partie, l'hiver s'est refroidi. Elle est passée comme un coup de vent brûlant, tantôt calme et tantôt déchaîné, laissant dans son sillage que du passé et aucune promesse, quelques blessures et trop de questions sans réponses. Dehors, le soleil m'indiffère. Il projette sa lumière sur le nacre des murs de mon appartement. Tout est blanc de fausse pureté. Celle qu'il projette sur les arbres dans la ruelle semble déposer le froid de l'air sur l'écorce endormie. Je m'ennuie de la pluie, du clapotement des gouttes sur les feuilles et dans les flaques, et du vrombissement sourd, comme en retrait sur une toile de fond grise, de l'averse. Thé blanc de Darjeeling (la cité de la foudre) ; Puttabong Queen, organic first flush premium ; acheté direct à 'source. Je ne peux pas croire que ça fait trois ans et demi déjà. Le thé est toujours aussi excellent après tout ce temps. Darjeeling, ville montée sur plusieurs paliers dans les montagnes juste à l'orée du Sikkim et de l'Himalaya, ville multicolore engloutie dans la brume de la mousson, entourée de champs de thé à perte de vue, à 75 kilomètres du Kanchenjunga, médaille de bronze des plus hautes montagnes du monde. Des champs de thé perdus dans les nuages, à plus de deux mille pieds d'altitude, on voyait les travailleurs ramasser des feuilles sans relâche, on devinait la rivière s'insinuant dans la vallée en contrebas, et cette odeur... 

À me perdre dans mes pensées, mon thé est devenu froid. Je le bois quand même, saveurs florale et herbacée, un coin du monde dans ma tasse. Proust avait tellement raison. J'alterne sans cesse entre lui et Knausgaard aujourd'hui, trouvant de quoi nourrir mon intellect et ma curiosité selon deux menus semblables mais singuliers. D'un côté, Swann, après avoir entendu la phrase de la sonate de Vinteuil pour la première fois, commence à trouver des beautés à Odette, qui ne lui plaisait pas du tout de prime abord, parce qu'elle ressemble à un personnage sorti d'une toile de Botticelli : "Il n'estima plus le visage d'Odette selon la plus ou moins bonne qualité de ses joues et d'après la douceur purement carnée qu'il supposait devoir leur trouver en les touchant avec ses lèvres si jamais il osait l'embrasser, mais comme un écheveau de lignes subtiles et belles que ses regards dévidèrent, poursuivant la courbe de leur enroulement, rejoignant la cadence de la nuque à l'effusion des cheveux et à la flexion des paupières, comme en un portrait d'elle en lequel son type devenait intelligible et clair." Mais quelle erreur il est en train de commettre! Cette volonté de se duper lui-même ; qu'est-ce qui peut bien pousser un humain à rendre le mensonge vérité avec tant de persistance aveugle? À s'inventer une sortie de secours dans une maison aux portes tout ouvertes? De l'autre, Knausgaard vient de perdre son père et continue de cogiter sur son travail d'écrivain : "Écrire un roman [...] et voir l'environnement former lentement et imperceptiblement l'écriture, car notre façon de penser est intimement liée à notre environnement concret autant qu'aux gens avec qui nous conversons et aux livres que nous lisons." Il n'a pas la prose de Proust, mais il est d'une lucidité fascinante, et c'est un peu beaucoup à cause de lui si j'écris tant dernièrement, ce qui sera lu comme ce qui ne le sera pas.

J'ai l'impression que le temps ne passe pas aujourd'hui. J'ai regardé l'heure à intervalle quasi-régulier sans m'en rendre compte pendant toute la journée, mais ça n'a eu aucun effet sur moi. Peut-être que lorsque nous sommes dans la plus complète solitude (mais le suis-je vraiment?), ne serait-ce que pour une seule journée, on peut s'extirper du temps un peu, cesser d'exister par-devers les autres et n'exister que par et pour soi-même. Ne voir personne et ne parler à personne, prendre un thé, lire deux livres plutôt qu'un, écouter Vheissu et The Alchemy Index de Thrice entre les deux, manger un peu, écrire, se poser pour réfléchir et pour se rappeler, écrire encore, voir le soleil laisser la place aux nuages annonciateurs de la brunante, jusqu'à ce que l'heure bleue apparaisse, parfumer le crépuscule avec les effluves d'un Bowmore 12 ans, voir naître la soirée et tomber la nuit, trois chandelles comme seule lumière... Non, rien... C'est probablement paradoxal, mais je ne sais ni ressens ce que fait le Temps aujourd'hui.

mercredi 1 février 2017

kin toé

"Ce qu'on ne connaît pas assez n'existe pas et ce qu'on connaît trop n'existe pas non plus. Écrire, c'est sortir ce qui existe de l'ombre de la connaissance. C'est ça l'essentiel de l'écriture. Pas ce qui s'y passe ni quelles histoires s'y déroulent, mais le y en soi. Ce y est le lieu et le but de l'écriture. Mais comment l'atteindre?" 

- Karl Ove Knausgaard, La mort d'un père