samedi 31 mars 2018

(pour un ami)




"Je vis toujours au présent. L'avenir, je ne le connais pas. Le passé, je ne l'ai plus. L'un me pèse comme la possibilité de tout, l'autre comme la réalité de rien. Je n'ai ni espoirs ni regrets. Sachant ce que ma vie a été jusqu'à maintenant - c'est-à-dire, si souvent et si largement, le contraire de ce que j'aurais voulu -, que puis-je prévoir de ma vie future, sinon qu'elle sera ce que je ne prévois pas, ce que je ne souhaite pas, et qu'elle m'arrivera du dehors, parfois même par le jeu de ma propre volonté? Rien non plus, dans mon passé, que je puisse me remémorer avec l'inutile désir de le revivre. Je n'ai jamais été que la trace et le simulacre de moi-même. Mon passé, c'est tout ce que je n'ai pas réussi à être. Même les sensations des moments enfuis n'éveillent en moi aucune nostalgie : ce qu'on éprouve exige le moment présent ; celui-ci une fois passé, la page est tournée et l'histoire continue, mais non pas le texte. 

Ombre obscure et fugitive d'un arbre citadin, son léger de l'eau tombant dans un bassin plaintif, vert du gazon régulier - jardin public dans le semi-crépuscule -, vous êtes en ce moment l'univers entier pour moi, car vous êtes le contenu plein et entier de ma sensation consciente. Je ne désire rien d'autre de la vie que la sentir se perdre, au long de ces soirées imprévues, au milieu d'enfants inconnus et  bruyants qui jouent dans ces jardins, confinés dans la mélancolie des rues qui les entourent, et couverts, au-delà des hautes branches des arbres, par la voûte du vieux ciel où recommencent les étoiles."

~ Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité











jeudi 29 mars 2018

qu'esquisses passent



---lorsque le temps s'évade, quand l'on court plus vite que le jour et que sous un ciel de lumière froide, un soleil sans nuage annonce une saison de taille---quand les princesses de souvenirs affranchis dorment depuis tant de temps déjà (et quand seront-elles baisées par les printemps jaloux? est-ce qu'ils viendront déposer leurs fleurs sur leurs lèvres tendres?)---comme si les notes avaient remplacé les mots, rien que de la musique instrumentale, intrus mental, lecture jazz tantôt sur fond baroque tantôt sur déchaînement symphonique, n'entendre que des voix pluriels, et des échos (peut-être)---la grâce du moment saisie et la fatalité de l'oubli perlé de poussière stérile et lente---marmonner à chaque minute de lecture libre les Visions de Ti-Jean, sadmad poet du déferlement, je sens venir la tristesse et elle sera énorme, de celles qui terminent une vie, craindre l'effondrement à chaque minute insondable du jour texturé d'heures---la nuit est sa femme et vient d'arriver, une seule lampe allumée dans la chambre rouge, sueurs des peaux dans l'air, images violentes de la fusion des sexes, sucres des pulpes goûtées juste avant l'étiolement des mémoires, quand la lumière lustrée de mars baigne encore l'éclat des chairs, à quelques frissons de l'abandon nécessaire au naufrage---des particules flottent imperceptibles tout est serein à l'orée du rêve, sentir venir cet amas de nuit, les formes et les reliefs tout d'ombres mal découpées, c'est---quand la ville désertée des sorcières lance de tout autre charmes devant de nouvelles puissances, frileuse devant l'autorité du calme regagné---le silence qui tranche à chaque battement de sablier et qui dessine cette soirée en apparence banale mais qui commence à définir tranquillement sa substance où tu regagneras ta mue, ton île---qu'est-ce qui se passe lorsque l'on choisit de refuser l'ailleurs pour s'en remettre aux routes infinis du cerveau et lorsqu'il ne suffit que d'un feu de braise pour rendre la parole amoureuse volcan?






















vendredi 16 mars 2018






la lumière coule à la commissure des yeux
des larmes auréolées de rayons d'hiver
les mots jetés se fanent aussitôt il faut
     respecter le silence

sur ses joues froides naissent des rougeurs
elle semble désormais si fragile
on s'échange un regard tendre
     (il y a la mort qui traîne
      en l'arrière-plan des choses)

un sourire faible au bout de pleurs ravalés
ses yeux qui brillent quand même - toute mon impuissance -
elle marche à côté de moi, dans un autre jour déjà
je parle, ne sachant pas me taire
puis me tais, ne sachant pas parler

ses yeux regardent plus loin que le regard
elle égraine le passé, un souvenir à la fois
ses mèches roussies de soleil sculptent les reliefs du vent
elle marche, elle avance
     insondable
     elle est une force qui va

je la devance un peu et lui offre mes pas
- qu'elle emboîte sans réfléchir  -
et je me retire pour mieux
     respecter son silence