jeudi 4 avril 2024

 



une amitié lacérée par la gueule du silence 
où gisent tous nos frissons devant l'incertain
où des voix meurent sans connaître l'élan de l'écho
la vérité devient alors un tour de force
          innommable parce qu'étouffée
éprise du noeud aux confluences des discordes
les parallèles s'éloignent et étirent l'espace
          des horizons opposés
          dans un autre passé déjà
les souvenirs se dissipent dans l'empire du vide

















































mercredi 20 mars 2024

Enseigner la lenteur

Ce n'est pas une affirmation très originale que de dire que bon nombre de maux des temps modernes et postmodernes découlent d'une extraordinaire accélération aux multiples facettes, qu'elles soient technologique, idéologique, sociale ou autre. Comme il serait fastidieux de faire ici la généalogie de cet axiome, je me contenterai d'en observer un flagrant symptôme qui me touche au quotidien et qui illustre à quel point notre rapport au temps est désormais aliéné. Les réflexions qui suivent s'inspirent des travaux du sociologue allemand Hartmut Rosa, qui voit en l'accélération le modus vivendi de la modernité tardive, et, dans une moindre mesure, de ceux du philosophe allemand d'origine sud-coréenne Byung-Chul Han, pour qui l'accélération est davantage un symptôme du néocapitalisme et de la psychopolitique qu'une cause comme telle. Malgré certains bénéfices de l'accélération (dans le domaine médical ou dans certaines sphères de la communication par exemple), le fait est que l'accélération influence négativement plusieurs aspects de notre vie en nous contraignant à des rapports aliénés avec ce qui nous entoure. Nous échangeons et communiquons plus rapidement à travers un canal plus omniprésent que jamais (les écrans, ces fenêtres opaques qui donnent sur l'intermédiaire du réel et qui offrent des regards qui n'en sont pas vraiment); nous avons accès à tout (savoir, connaissance, culture, information, etc) presque instantanément; et l'augmentation de la productivité et de la rentabilité - soulignée par l'adage "le temps c'est de l'argent" - est une force qui ne saurait souffrir de freins. On mange vite, on travaille vite, on élève nos enfants vite, on parle vite, on jouit vite, on vieillit vite. Je fais les coins ronds, mais on comprend facilement ce changement de paradigme dans notre rapport au temps. À cet égard, cette accélération a comme conséquence de faciliter l'accessibilité aux objets de nos désirs anodins : désormais tout est disponible en tout temps. Cette immédiateté confère au temps une omniscience qui escamote les distances et abolit l'espace : on voyage presque dans le temps. Ce qui crée de nouvelles exigences. La satisfaction du désir anodin devient alors d'une facilité inouïe (en découle, d'une certaine façon, une jouissance désexualisée bonne à répéter sans retenue morale ou éthique), comme la naissance d'un nouveau désir une fois le précédent comblé. J'ai envie de regarder un film ou d'écouter de la musique? J'ai besoin de quelque chose, d'une information ou encore d'être diverti? La solution se trouve dans la paume de notre main, à seulement quelques clics. Force est d'avouer que parce que tout est disponible, notre relation au monde se construit dans une dynamique de contrôle sur celui-ci, augmentant notre capacité d'agir, ce qui vient renforcer notre ego et notre narcissisme. Qui est perdant dans tout ça? Soi et les autres. Dans un rapport au monde devenu artificiel par sa disponibilité manifeste, un fossé entre soi et le réel se creuse de plus en plus, et l'individu attend du monde plus que celui-ci peut lui donner. L'autre devient un moyen et non une fin, et j'irais plus loin en disant que l'homo numericus ne parvient plus à reconnaître l'altérité, celle des individus comme celle du monde, et tous s'en trouvent dépossédés, aliénés. Si Byung-Chul Han n'est pas très optimiste face à cela, Hartmut Rosa prétend que la résonance - je reviendrai éventuellement sur cette notion - peut permettre une transfiguration de notre relation au monde, une prise de contact (donc la création d'un espace, cette dimension que plusieurs de mes étudiants peinent à concevoir spontanément) qui se construit sur la confiance et l'ouverture à la possibilité qu'un fragment du monde puisse nous transformer. Rosa est convaincu - je le seconde - que le milieu de l'éducation (du préscolaire à l'université) constitue un des meilleurs environnements pour permettre l'émergence de relations de résonance et que cela doit être investi autant que possible. Mais pour y parvenir, un obstacle de taille se dresse : il faut changer notre rapport au temps, surtout, il faut ralentir. Je me permets ici une digression. Même si je trouve que le temps file à toute allure et que je ressens les effets de l'accélération sur mon quotidien - mon rapport, entre autres, à l'information et aux nouvelles en continu me donne l'impression d'être tiré par un train en marche -, j'ai une relative facilité à décrocher et à ralentir. On ne peut pas structurer sa vie autour de la littérature, de la philosophie, de la musique et du savoir, et être pressé, ça ne marche tout simplement pas. Mon rapport au réel serait superficiel, voire mensonger, et ma conscience de soi se tient loin de ce genre d'illusion. 300 pages sont lues dans le temps que ça prend (lecteurs diagonaux, passez votre chemin!) et la 9e symphonie de Beethoven dure environ 70 minutes, on ne peut pas l'écouter sur avance-rapide (blasphème!). Avant même de réaliser ce qu'est l'accélération, je lisais et écoutais de la musique dans un rapport au temps et à l'espace (dans la relation sujet-objet) qui a construit des axes de résonance qui ont déterminé ma sensibilité et ma curiosité. Cette volonté de ralentir marque ma vie au quotidien. Je marche au lieu de courir, je lis à tous les jours, j'écris autant que faire se peut, je prends le temps de cuisiner et, entre autres, j'écoute plus de musique que jamais; surtout de la musique classique puisqu'elle est cet univers abstrait et, le plus souvent, dénué de mots, qui m'est nécessaire, et dont je m'amuse à croire qu'elle constitue une extraordinaire manifestation de temps pur parce qu'impalpable, sans matière et sans espace : la musique classique (et la musique en général) est construite avec du temps, elle exige notre temps et cet investissement m'a amené des expériences de résonance et des épiphanies qui peuvent se répéter encore et encore! Par contre, tout cela change dans la sphère professionnelle de ma vie. L'éducation est plus que jamais axée sur la performance et la compétence. Mes patrons sont unanimes : il faut diplômer les étudiants au plus vite, un étudiant trop lent prend la place d'un autre, faut que ça roule! Par ici l'entrée et vite la sortie! Le cégep où j'enseigne est une entreprise "à but non-lucratif" obsédée par l'argent. Le curriculum des cours est trop chargé et les étudiants en arrachent de plus en plus pour une multitude de raisons que je ne vais pas évoquer ici, ce qui fait des sessions post-confinement les plus exigeantes de ma carrière. Si bien que je me suis forcé à ralentir et j'encourage maintenant mes étudiants à faire de même. À cet égard, leur résistance - inconsciente - est stupéfiante. Ils sont tout à fait incapables de prendre leur temps, de prendre le temps devrais-je dire. Tout doit aller vite. Un cours de 100 minutes est trop long, ils se perdent dès que ça ralentit un tant soit peu autour d'eux. Ils sont dans l'attente de ce qui doit arriver et accrochés à ce qu'ils ont vécu, et ils remettent en question le présent à savoir si ça leur rapportera quelque chose. Je ne les blâme pas, ce n'est pas de leur faute. Ils ont été élevés dans une société qui valorise la performance et la réussite et qui sublime, qui nie les échecs (ça c'est un scandale) de peur de fragiliser leur ego. Les germes de l'ennui - cet ennui qui prédispose à la contemplation du monde et de ses modalités - sont rapidement noyés par le divertissement instantané et éphémère. Redoutable incarnation de micro-changements dans une fulgurante accélération, le vortex du doomscrolling diminue leur concentration, leur attention, leur mémoire et amplifie l'errance de l'esprit, cette insidieuse manie de chercher dans le divertissement et le confort de l'aliénation un petit désir inconscient à combler, parce que sortir de l'aliénation, se reposséder un instant les confronte à l'ennui, et ça, c'est ce qu'il y a de pire pour eux. Ils ne s'en rendent pas compte, mais cette façon de faire crée un rétrécissement du présent. Je leur donnerais la note de passage dès le premier cours et ils ne viendraient à aucun autre cours de la session. J'exagère un peu, mais à peine. Obsédé par son image, l'étudiant moyen s'entraîne physiquement à tous les jours de façon compulsive et espère voir les résultats le plus rapidement possible. Tout passe vite et un souvenir du secondaire est déjà lointain pour eux (s'ils s'en rappellent). Sitôt le cours terminé, c'est le cellulaire sorti et leur regard hypnotisé par les pixels, par ce construit artificiel qui est tout sauf réel, et ils le savent! Et la matière du cours sombre dans l'indifférence, l'antichambre de l'oubli. Un corridor de cégep où 99% des étudiants sont scotchés sur leur cellulaire (cette cellule de prison virtuelle) est l'image à laquelle je suis confronté à tous les jours. La passivité d'aujourd'hui engendrera les dystopies de demain... Question de continuer de faire mon travail tout en préservant ma santé mentale. j'essaie désormais de leur enseigner la lenteur. Mais comment faire? La lenteur encouragerait une introspection qui pourrait leur révéler l'origine de leurs résistances, encore pire - j'ironise - leur vulnérabilité, mais non : on dirait qu'ils ont si peur de se connaitre et, par après, de reconnaître autrui. Peur de soi sublimée sur la peur de l'Autre? On n'a peur de ce qu'on ne connaît pas, n'est-ce pas? Est-ce parce que la lenteur exacerbe le poids du temps qui devient alors trop lourd à (sup)porter lorsque l'on ralentit? Dois-je leur enseigner la lenteur en prenant mon temps, en ayant plus confiance en mes moyens comme en eux?... Si je semble défaitiste ou fataliste, je suis, parmi mes collègues, parmi les optimistes parce que convaincu que la solution n'est pas si loin. Si seulement ils prenaient le temps de lire plus, plus longtemps, plus lentement. Il n'y a rien de mieux que lire pour ralentir. Cela leur amènerait la patience, l'attention, la concentration, la mémoire, l'empathie et l'ouverture nécessaires à l'emmétamorphose, cette faculté, selon Rosa, de se transformer soi-même, donc d'évoluer, à travers l'appropriation d'un fragment du monde dans une relation de résonance, qui viendrait défaire un noeud d'aliénation pour consolider, ne serait-ce qu'un peu plus, leur identité et leur reconnaissance des autres. Dans mon optimisme, ou ma candeur, j'y vois le point de départ d'une nouvelle éthique.











vendredi 26 janvier 2024

 


Pluie froide janvier, je pousse ma roche vers ce que je deviens. La voix d'un jeune Leonard Cohen résonne et remplit le vide de mon silence. J'avance en étranger. Sourd aux ébats des saisons entremêlées. À chaque pas qui creuse asphalte ou verglas, j'étire les distances entre le monde et moi. Je déserte les reflets. Un apaisement qui ne vient pas.