jeudi 22 février 2018






quand la ville n'est
pas assez bruyante
pour enterrer tous les cris
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entre l'éclat et
l'éclatement s'ouvrent
les beautés des failles
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asphalte mouillé
ce parfum salé entre
l'hiver et le printemps
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l'ombre nouée des cordes
vibre par éclairs
par secousses muettes
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errant seul spectres
et nuages fous persistent
en spectacle de cendres
   










































mardi 13 février 2018

flashs



Murs des toilettes archi-graffités - le plus souvent des tags illisibles, des niaiseries et des banalités, et quelques rares traits d'esprit ici et là qui font tantôt sourire tantôt réfléchir - puis repeints encore, quasiment à chaque mois. "Les écrits restent"? Pas tous, dans des toilettes crades d'un bar hipsto-bohème sur Sainte-Cath, certains disparaissent sous des couches de solvant.

*

Après sa bière, un homme assez âgé - un original - m'interpelle : "Avez-vous remarqué? Toutes les femmes ici ont un front assez dégarni, c'est un signe d'intelligence." (Phrénologie? Peut-être est-il plus âgé qu'il n'y paraît.) Il quitte sans attendre de réplique. Et la fille à côté replace sa tuque avec un sourire malaisé.

*

Vers 17h, on annonce un band (se présentant comme du punk-folk) qui s'appelle Spatül. Le band commence à monter son kit. On voit le drum, on craint trop de bruit donc on change de place, on s'en va dans le fond du bar. Finalement, sont pas punk pantoute, c'est un superbe trio jazz; au lieu de tout décrisser, ils ne font que construire une magnifique ambiance.

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À la table d'à côté, un cliché ambulant : l'étudiante en philosophie de l'UQAM. Elle parle sans arrêt.  Non-fucking-stop. Elle a environ 21 ans et elle chie sur Kant. Ce sont ses mots. J'essaie d'écrire verbatim ce qu'elle dit : "On ne peut pas imposer l'intellectualité masculine à l'intellectualité féminine je ne me considère pas comme une femme selon les standards sociaux de la féminité blablabla..." Je toffe même pas une phrase. Je soupire fort tuseul dans mon coin, si bien qu'elle se retourne, avec toute l'arrogance de sa jeunesse dans le regard, puis continue ses tergiversations (c'est le meilleur mot possible dans le contexte).

*

Après le départ de l'ami, je change de bord de table, question de voir un brin ce qui se passe, question de ne plus avoir que les reflets flous renvoyés par cette tapisserie aluminum sur les murs qui, je le constate, sont complètement immondes. Il y a du monde mais la pièce est vide, sans écho, comme si y'avait rien au-delà du visible; ça pue le connu à plein nez.

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Sur ma table, une pinte de rousse cheap, mon cours à venir monté ficelé solide, 1000 pages de poésie québécoise et ce livre du mammouth laineux racontant des héroïnes oubliées par l'Histoire. Cette Amérique bâtie guerre sur guerre, dans une suite de génocides ignorés. Le passé a une odeur de sang.

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La fillosophe de tantôt n'arrête pas, c'est lourd, très lourd. Son pauvre interlocuteur peine à placer deux phrases. Elle est insupportable et ce qu'elle dit est remarquablement abscons. On peut presque entendre les mouches non-consentantes dénoncer, avec raison. J'ai juste envie de lui lâcher un "ta yeule" bien senti. Mais je dois être plus bienveillant, je m'emmure donc dans le silence et je pars...

... Je traverse Berri, dans la station de métro, un junky se shoote live devant tout le monde, la masse arrive en troupeau de la ligne verte et s'engouffre dans une autre artère souterraine - qu'est-ce que je crisse icitte? Je ne vois plus rien. Sauf ses yeux, son sourire.

... Avec cette estie de toune-là dans les oreilles qui ne mourra pas de sitôt (majestueusement intitulée La fin du monde, du très singulier Philippe Brach) : 

Le calme a pris la place du froid
La mer a marché sur les toits
Si les anges ont rendu l'âme
Si les murs s'effondrent à même l'espoir
Si le soleil parle pour la dernière fois
Je veux crever 
Dans tes bras
Avec toi 
Ô toi

Les kamikazes ont perdu la foi
La misère des hommes s'en va
S'en va
Si l'enfer a levé l'encre
Le passé, signé sons testament 
Si enfin les bunkers et les îles se meurent Prends-moi
Dans tes bras 
Avec toi
Ô toi




















samedi 3 février 2018

n'importe quoi (ou presque?)


J'aimerais écrire un texte-monstre où s'incarneraient toutes les peurs puériles et les angoisses sublimées. Inconfort du gravats qui trainent dans la mémoire et des oublis sédimentés : quand la récollection des faits souffre de ce que la poussière endort (paraitrait-il que les souvenirs n'ont pas tous la même importance). Le temps d'un dernier verre de vin ou d'une chandelle qui flambe. 

À cet égard, les regards fuient l'objet inanimé. D'une certaine façon, les choses (lorsque qu'on les considère dans leur plus simple définition, objectives) semblent dénués de transcendance comme d'immanence : des matériaux stériles qui ne prennent vie et sens qu'à travers le prisme de notre perception (donc déformés). 

À cet égard, encore, trois chandelles sur une table remplie de livres. Malgré tous les trésors qu'ils recèlent, ils ne sont rien sans lecteur, comme le verre n'est rien sans l'alcool - bruits du pied de la coupe sur la table, le schiste du vin rouge, celui-ci a quatre ans, il décide de l'aléatoire de l'ivresse. Tout est inanimé. Sauf le vin, sauf l'encre (même si elle meurt si rapidement) et, surtout, sauf la flamme. Lorsque l'on contemple une flamme, l'ennui est impossible : sur le fin contour du feu, ce sont les atomes du temps qui crépitent, ce fameux temps présent

(Le silence est presque complet, l'atmosphère est quasiment sold out ; je m'imagine à croire que le connu est en rupture de stock. Ma pensée fixe le focus de ma curiosité. (Un drone peu souhaitable vient perturber la solitude ; un bruit qui me rappelle les machines partout autour et, surtout, le froid dehors : j'ai toujours détesté février, allez savoir pourquoi (sans blagues, allez-y, sachez!)))

Sonate silencieuse en seul bémol. Un repli nécessaire qui matérialise, qui palpabilise les parties cachées, tous ces moments dont chaque jour a le secret... Spleen du samedi ou hermétique lucidité? Tout fait suite au dialogue : encore une fois, et c'était encore une excellente fois, Dornier et Bibi se sont attardés à épuiser le possible. Le thème de départ : qu'est-ce qui constitue le Moi? Le préambule à cette discussion (sens vs ressentir vs réalité vs temps présent) aura duré trois heures (ou son pendant d'alcool, mais c'est pas grave, sont en mode jedi). Des conclusions? Pas vraiment non. Des hypothèses? Plusieurs. À commencer par celle où le réel n'existe pas en-dehors de la pensée. Erreur, je nuance : celle où le réel existe, mais vraiment juste un tout petit peu. Tout passe par nos perceptions, nos interprétations et notre vocabulaire (pour matérialiser tout ça dans notre imagination, à l'écrit et à l'oral), ce distillat de nos pensées. 

Exemple (ce n'est pas le mien). Au parc La Fontaine, en plein juillet, une fille passe en même temps qu'un coup de vent chaud caresse sa cuisse, relève un peu sa jupe qui révèle un peu de sa précieuse peau. Au loin, deux témoins de la scène, deux interprétations gardées pour soi (ou partager), deux réalités qui n'existent que dans l'obscur onyx de leur cerveau. Deux options : un ; la parole tue le présent, comme si la révélation ne pouvait être unanimement ressentie de la même façon sans manifestation expressive, comme si elle ne pouvait être vécue à plusieurs tout en étant objective, ou deux ; le silence complice (ou pas). L'Idéal serait que l'Un et l'Autre sachent communiquer ou plutôt communier dans un mutisme (donc là où le réel ne serait transgressé par la parole) assujetti aux pouvoirs de l'épiphanie. Le but est de vivre le moment en retrait, pour laisser passer un peu de présent à l'état pur, dénué de tout, pour en ressentir, sans que l'Autre nous en empêche, sa plus spectrale mais pénétrante immanence : cette seconde pouvant devenir une éternité. 

On n'a pas réussi à épuiser le sujet finalement. Les perceptions ne peuvent être intuitivement collectives, cela prend toujours un consensus, et qu'est-ce que le consensus sinon la domestication (donc le refus du laisser-être, cette propension crasse) des coïncidences, du hasard, de l'intuition justement, et de la poésie? Mais je m'égare, ou encore pire peut-être, j'erre... quel luxe qu'hélas (à quelques maigres exceptions) l'on ne se paie plus. (En plus, le vin est mort - mais quelle belle mort! - Vive la bière! Un chin dans le vide comme une perle de silence... et le temps d'un instant, d'un tout petit instant, entre deux souffles imperceptibles, entre deux pas de flamme, j'ai presque cru entendre une larme).

Puis longe un relent de poèmes : Je me noie là où l'eau devient bleu (autant dire partout, misère et corde...) ou là où l'eau devient boue ??? Et cet étrange aphorisme qui sort de je-ne-sais-où : Quelle chance, à l'âge adulte, d'avoir une vie débordante de vide! Ça devient une symphonie, ce silence!... Non, on ne parviendra pas à épuiser les possibles. Donc. Que reste-t-il? La solitude? La fuite? La mort? ("Pourquoi tant de drame? Surtout lorsqu'on peut concilier tout ça dans l'Art", de s'exclamer un surmoi quand même alerte.) Et certaines voix s'élèvent avec force. Musil, Kerouac et Pessoa, toute cette humanité. Et toute cette poétique absurdité! Ce ne sont plus des livres, ce sont des manifestations de l'esprit - inanimées, mortes et éternelles - revivant à chaque page tournée. À travers leurs contradictions, tout au long de leurs longues digressions (mais c'est bien ça tout ça non? (ce qu'on ose appeler la vie?), de longues et lentes digressions... Quitter le sujet pour mieux y revenir...), que des dialogues lus, lus seul avec soi-même. Parce que seuls, nous le serons toujours. Fuyants? On ne fait que déraper sur le temps. Morts? Un peu plusoumoins à chaque pas. Quel sublime pensée de constater - ô paradoxe! - que la vie n'est qu'une poche de pleins dans le tout-vide de la mort... (coudonc, encore une fois, j'ai presque cru entendre une larme, les murs de ma boîte à chaussure sont vraiment minces et mon voisin est triste)... Mais non, y'en n'a pas de larmes, parce que de toute façon, tout ça n'existe pas, le réel non plus et, une fois terminé, ce texte aussi n'existe plus. 
Comme les monstres, d'ailleurs.