mercredi 27 août 2014

"Do I contradict myself? Very well, then I contradict myself, I am large, I contain multitudes."
-Walt Whitman

mardi 19 août 2014

extrait

Il lâcha le livre et se sentit affreusement seul. Au lieu de créer un monde de possibles, c'est plutôt un précipice que le livre creusât autour de lui, un précipice impossible. Toutes ses volontés et ses ambitions se confrontèrent à l'abysse insondable se dressant devant lui. Il ne savait plus quoi faire. Il restait là impassible ne sentant plus aucune chaleur, sinon un vent qui transportait une profonde désolation et un puissant sentiment d'isolement. Lui qui voyait pourtant en les livres les issues par lesquelles il pouvait espérer vivre et rêver, il voyait dans ce livre-là, acculé au mur, le reflet de sa propre insignifiance et sa probante incapacité. Tout autour de lui se dévoilait un énorme ventre  sombre l'avalant ; ses défenses et ses armes ne lui étaient d'aucuns secours contre la peur de l'échec qui naissait, après une longue gestation tantôt consciente tantôt inconsciente, en lui. Il n'entrevoyait plus de réalisations et de concrétisations. Toutes ses pensées se fixaient puis s'effritaient sur les parois où avaient arrêté de grimper en chemin, même pas à mi-chemin de l'ascension, toutes les vertus qu'il s'était inventé.

mercredi 13 août 2014

une scissure dans l'image

le parebrise est craqué
et mon oeil gauche tressaille
mon oeil gauche vrille et tremble
et défait l'horizon qui s'étend
à proximité
à mes pieds
à ma portée
si proche que je peux presque l'atteindre
mais qui pourtant s'éteint
dans l'incessante oscillation
de mon oeil gauche
dans les précaires nervures
de mes regards

toi mon agonie
ta beauté dans toute son impériale indifférence
ton sculptural aléa
bouillant d'acier qui marche
et qui fait craquer de ton pas altier
le parebrise avec lequel
je tente de me protéger

"Sûrement, tu as dû beaucoup penser à nous, à ce que nous avions bâti ensemble, à la façon dont nous en avons avec tant d'insouciance détruit la structure et la beauté, mais pourtant nous n'avons pas pu détruire le souvenir de cette beauté. Voici ce qui m'a hanté jour et nuit. De toutes parts je nous vois sourire cent fois en cent lieux. Je sors dans la rue, et tu y es. Je me faufile dans le lit la nuit, et tu m'attends. Qu'y a-t-il dans la vie à part l'être qu'on adore et la vie qu'on peut construire avec lui? Pour la première fois je comprends le sens du suicide... Dieu, que le monde est vide et ne rime à rien! Des jours tissés de ternes et médiocres instants se succèdent l'un l'autre suivis de nuits blanches hantées dans une routine amère : le soleil brille sans éclat, la lune se lève sans clarté. Mon coeur a le goût de cendres, et ma gorge se serre lasse de pleurer. Qu'est-ce qu'une âme perdue? C'en est une qui s'est écartée de son vrai chemin et tâtonne dans l'obscurité des routes du souvenir."
- Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan

mardi 5 août 2014

"Il y avait quelque chose dans la puissance sauvage de ce paysage, jadis champ de bataille, qui semblait lui crier, - présence née de cette force dont tout son être reconnaissait le cri comme familier, saisi et rejeté dans le vent - quelque juvénile mot de passe de courage et de fierté, l'affirmation passionnée, pourtant presque toujours tellement hypocrite, de son âme peut-être, pensa-t-il, du désir d'être bon, de faire le bien, ce qui était juste. C'était comme s'il regardait à présent par-delà l'étendue de plaines et par-delà les volcans jusqu'aux vastes houles de l'océan même, sentant toujours dans son coeur, l'impatience sans bornes, l'incommensurable languissement."
- Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan

dimanche 3 août 2014

temps du soir

- salir comme j'ai jamais rien sali, par saccades, par rythmiques lourdes - juste des déjections de mots, de verbes et de phrases glanés sur les redondantes distorsions de mes écoutes - dans le milieu et le mitan du temps - laisser quelque chose sans se soucier de l'erreur et de l'échec, cette formidable et féconde erreur, ce formidable et glorieux échec - et dans les corridors, les horizons du soir, dans les amas de cendres, ce sont leurs images qui composent les parois de mon cerveau, qui composent ce papier - tous mes souvenirs couplés à mes émotions dans un dégoulinant portrait, un patchwork, une jactance à la pollock, mes fureurs agglutinées en longues coulisses de sueurs graves, ça suinte encore et toujours dans les caniveaux de mon âme qui ne sait pas contenir la colère qui bout, qui ébulitionne et ébouillante mes espoirs, ma confiance, ma profonde illusion éthylique - que crache sur moi cette nuit étouffée de nuages qui masquent grossiers les étoiles, les reflets du jour qui s'essoufflent en spasmes et qui toussent, en myriades de gravures pointillistes de luminescence - j'attends encore la profonde confession du monde, j'espère construire sur les gravats invisibles des tombes, des ténébreuses tombes, de nouveaux chants, de nouveaux choeurs qui battent l'air ambiant, l'atmosphère pesant des pressants phosphènes, des lumières et des phares fatigués et pâles - les routes convergeant dans le ventre du vent - chante encore l'impossible, chante les relents du rêve inabouti d'une humanité adulescente - le souffle pétris, pris dans l'obscur voile, tombe dans les puissants champs de nos magnétismes éreintés - j'entends les rires et les iris éclorent dans un mouvement de joie qui célèbre, malgré tout, par-devers, la vie.