jeudi 8 décembre 2022

 



l'effigie du jour
décapitée en retrait
abolit les pôles

*

le temps se reperd
entre l'automne et l'hiver
il ne fait plus froid

*

mes regards changent et 
mon confort devient malaise
le lucide a honte

*

l'urgence engourdie
je m'en remets à l'amour
d'une éthique utile

*

ciel bleu en bravade 
son vide arrogant m'agresse 
du plus bel éclat 

*

dans l'écho de l'encre
le vertige des noyés
s'étiole en silence

*

avant de mourir
il nous faut aller où l'on 
n'arrivera pas
























lundi 21 novembre 2022

 



Minuit dans son approche allonge les phrases de la lune. J'entends le verbe de la nature, ses temps et déclinaisons, un verbe impersonnel. Ma contemplation est perturbée par le relents du jour qui affluent pêle-mêle dans l'estuaire de mes songes. Au-dessus de ce bourbier trouble, l'appel éclaté du monde multiplie les éclairs, chaque décharge est brève et vive, mais l'onde de choc me pénètre jusqu'aux os. Des guerres indigestes dans le ventre de la tempête grondent là-bas, juste assez loin pour ne pas déranger; et nous nous endormons indélogeables de nos conforts. Je dors d'un oeil car mes rêves ont un goût amer. Désengagé dans un angle ou un autre, chacun de nous s'oppose. Nous vivons aux confins du prochain, au point le plus éloigné de centres inconnus. Nos orbites chaotiques n'ont rien de tracé, sinon affaissement et déclin. Nous sommes tous l'étranger de chacun, perdu dans l'élan effréné du monde. Je me défais du temps qui, comme un train sans conducteur, s'emballe à vitesse folle - à quand le déraillement? Il nous faut dompter notre rythme. Je ralentis et ressens le pouls du ciel, son étreinte souple et mystérieuse, son souffle intemporel.
















mercredi 2 novembre 2022

 




Comme une impression fugitive. Quand je me penche en moi, ce n'est point l'abîme qui me sourit, mais la luxuriance sauvage de ce que je défriche sans cesse. Ce n'est pas un hasard si, saoulé par le chaos de mes songes, je me tourne à ma fenêtre et m'apaise devant l'écho d'une nature plus forte. Savoir qu'elle nous survivra tous me rassure, et je ferme les yeux dans le soleil frais et tendre du matin. Je m'attèle à démêler la tourbière de mes pensées. Concentrer toutes réflexions si possible pour en arriver à une idée nouvelle, fruit des effluves épurés, d'un labeur qui ne me quitte plus. À l'éthique comme seule voie probable pour une meilleure vie se mélange la tentation de la solitude comme posture du lucide. Mais ce serait trop facile. L'aliénation de soi dans le corps social devient le contrepoids nécessaire à notre égoïsme fondamental. Tout est question d'équilibre. Chaque jour comme une corde raide et nous, funambules inconscients ou en mal de sommets, entre le vent imprévisible et le soleil frais et tendre.

















mercredi 14 septembre 2022

 






je suis riche comme le silence
de calculs rapprochant l'infini
je cultive toute arborescence 


































vendredi 2 septembre 2022




retourner la braise
en mode auto-construction
où rien n'est détruit

*

dépecer le monde 
avec des gestes polis
être une vigie

*

subir la pression
comme on ressent la souplesse
fugue en terrain vague

*

l'haleine du fleuve 
en mélodies fumigènes
au coeur de la ville

*

mon regard vacille
un oeil dans le crépuscule
le réel est double
















mercredi 3 août 2022

impromptu

 



Dimanche après-midi, promenade sur le rivage du fleuve. Il fait chaud et il y a des passants, des cyclistes et des outardes partout. Je me terre dans la solitude sourde de mes écouteurs d'où sort un impromptu à propos. Les bruits autour sont assourdis, mais ceux que je fais en marchant sont lourds et forts et je sens chaque pas, chaque contact de mes pieds au sol me traverser le corps au complet. Je marche sans destination aucune, j'erre tout simplement. 

Ma longue promenade m'amène vers le Parc des Rapides et j'en arrive à m'arrêter longuement une fois rendu aux bords du fleuve, là où les vagues déferlent avec plus de superbe et de confiance. J'enlève mes écouteurs et le bruit ambiant explose, comme si je venais de sortir d'une chambre insonorisée. Quand je les regarde, j'y vois tout d'abord une qualité erratique, un peu de chaos archaïque se manifestant, mais en prolongeant ma contemplation, le mouvement des vagues devient si harmonieux qu'il semble tout à fait prémédité et orchestré. Je m'assieds, ferme les yeux et j'écoute le bruit des vagues tatouer en moi le grondement formidable des eaux survoltées. Je me plais à imaginer, dans l'infiniment petit, la peau du tambour de mes tympans vibrer sous mille martèlements répétés à une vitesse furieuse, plus l'écho décuplé. Le bruit est incessant, il n'arrête jamais et ne mourra que lorsque le fleuve mourra, ce qui ne saurait se voir de vie d'humain (quoique...), ne dit-on pas d'ailleurs que la vague à Guy, un peu plus à l'ouest, est une vague éternelle?

J'ouvre les yeux mais déjà le voile aux nervures diaphanes apparaît devant mon regard et je n'entends plus les vagues. Comme si mon esprit était un petit bateau venant à l'instant de triompher des remous du fleuve et voguant déjà, juste un peu plus loin en bas du courant, sur les eaux calme d'une vie inspirée. La débâcle est constante mais en synergie avec une volonté de contrôle aux humeurs inconstantes. Puis cette idée de plus grand que soi dans l'existence de la nature m'envahit complètement. Mais ça revient vers moi parce que je suis celui qui lui donne cette dite existence - à l'idée comme à la nature -, je suis au coeur de ma perspective et endormir mes sens ou ma raison pour interpréter le monde est impossible. Du moins j'en suis incapable. La substance est réelle, mais elle n'existe pour moi qu'à travers mes perceptions. Au-delà de la substance, le bruit des vagues possède l'essence que mon esprit lui donne mais, elle aussi, n'est tributaire que de ma psyché, donc de mon existence. 

Pendant que j'essaie de démêler les fils de cette vérité, pour voir un peu plus clair dans tout ce maillage, quelques marcheurs passent à côté du rocher où je suis assis en ce moment, en pleine contemplation et réflexion, et ne restent jamais plus de trente secondes. Pour eux, il ne fait pas de doute que les vagues existent autrement et que leurs perceptions ne sont probablement pas en conjonction avec les miennes. Et il en est ainsi des vagues comme du monde. Les passants se multiplient et essayer d'imaginer comment ils perçoivent la scène en vient à m'étourdir. Le soleil devient plus cru, sa lumière rend l'écume des vagues encore plus criarde, si bien que je détourne le regard et reprends ma promenade pour retourner chez moi. 

Je remets mes écouteurs, le son extérieur coupe court, l'isolement revient, puis je repars l'impromptu que j'écoutais. L'image des vagues derrière, la mélodie d'un piano en-dehors du temps et le bruit sourd de mes pas suffisent à remplir qui je suis en cet instant précis, content que ces sensations et réflexions se multiplient, serein - et assurément naïf - à l'idée que le monde puisse exister en moi.

























dimanche 15 mai 2022

 


il se passe rien et tout à la fois
de vrais fragments poignent
cette aube comme un vase renversé sur le plancher du jour
les craques buvant ce qui en reste
jusqu'à la satiété des failles

aucune intention au bout des mouvements
les pensées stagnent dans la chaleur grise
la patience avant l'orage avant l'éclipse 
m'enlise en terrain neutre
dans ma propre révolution
ouvert aux totalités avenirs

j'arrête et repars aux caprices du jour
l'invisible animal souple des humeurs mystères
de son haleine engourdit mes élans 
caresse l'équilibre des souffles

mon attention s'égare puis revient 
sur ce qui reste de l'aube

le prisme se dilate et mes regards sans heurt
se reposent de lumière 

sur le plancher tout aurore bue
il est frais dans l'ombre tendre
et craque un peu moins ce matin 
























dimanche 1 mai 2022



Écrire comme on dessine sur une feuille, sans intention aucune, toutes directions possibles. Le temps d'une grande tasse de latte à la surface dessinée en brouillon laiteux. Depuis hier je sens la bride de la fatigue se détendre et relâcher son étreinte enfin. La course des dernières semaines fut effrénée éreintante, je peux maintenant me ressouffler. Dans le matin calme, gorgé de soleil, le silence est habillé de musique, tous les voisins dorment encore et je me sens sereinement seul. Une sonate de Franz Schubert me rappelle le concert de cette semaine. "Schubert a en commun avec Mozart cette faculté de fixer le ciel alors qu'il est au plus profond du trou noir", écrivait l'inimitable Christophe Huss dans Le Devoir le lendemain du concert. Cette image résume à merveille ce compositeur qui ne me lâche plus depuis quelques années déjà. Le pianiste gallois Llŷr Williams (j'avoue avoir arrêté mon élan pour trouver le "y" avec un accent circonflexe et j'ignore toujours comment prononcer ce prénom) nous a offert la sonate D.959 et ce fut un torrent d'émotions qui me traversèrent à ce moment, jusqu'à ces quelques larmes qui coulèrent pour mieux aller se réchauffer dans ma barbe durant l'andantino. Cette sonate comme une tempête de doigts d'où fusent les mille variations d'une âme impétueuse (mais laquelle ne l'est pas?). J'aimerais bien écrire un livre qui s'intitulerait Les trois dernières sonates de Franz Schubert, j'ai l'impression que n'importe quelle histoire pourrait s'appeler ainsi. Au concert, mon ami Marco m'a fait remarquer la jeune femme assise à côté de nous. Elle portait une robe asiatique blanche à étoffe épaisse et texturée de dessins que je ne saurais esquisser, elle portait surtout des gants en dentelle et son ensemble lui donnait des airs de fantôme victorien. Sans attarder mon regard sur elle, j'ai néanmoins remarqué qu'elle écoutait le concert les yeux fermés. Quelles images et quelles sensations pouvaient bien l'habiter? Ses souvenirs du temps qu'elle était vivante dans un château oublié de cette Angleterre gothique? Les landes grises et vertes comme le fourreau du vent. Ou peut-être était-elle cette poupée de porcelaine ayant pris vie qui écoute la sonate les yeux fermés pour se créer des souvenirs? Qui sait. La mémoire comme une architecture d'alcôves et de seuils, de tiroirs hétéroclites et de fenêtres à vitrail. Une cathédrale vivante qui respire, qui ronfle ou qui chante. Les souvenirs comme des illustrations sur les murs de l'antichambre du présent. Mon café est rendu froid. Dans les modulations lentes de la sonate, là où les tensions se calment, le silence devient un peu plus présent et les voisins sont plus absents que jamais. Quelque chose cloche. Peut-être l'éclat du soleil matinal amène-t-il un calme que le froid des précédents jours empêchait. Étrangement, je vais m'ennuyer de l'hiver bientôt. Mon esprit commence à errer plus loin que les phrases peuvent en rendre compte, je gomme les ellipses d'un temps à coudre. Incapable de tout mettre en ordre; mes images sont des distillats parfois frelatés. Images et pensées comme plein de petits noeuds à faire et défaire - j'aimerais connaître par coeur tous les noeuds, surtout celui bien solide qui ne demande que le mouvement précis et unique pour être défait. Mon cerveau est un filet de pêche aux mailles interlacées. Mes livres ronflent au soleil et demandent mon attention et mon temps, mais le fleuve m'appelle. Son cours vif-argent déshabillé de glace sera le creuset de mes prochains regards et d'images à naître. J'irai étudier ses tumultes réguliers, je sonderai les ombres de son lit invisible, là où les algues dansent. La sonate est terminée. S'arrêter un instant est nécessaire avant le prochain élan. Toute cette volonté qui nous traverse. Nos marches seront peut-être conjointes. Qui sait.  






















 

vendredi 18 mars 2022

éloge de l'inachevé

 

chaque achèvement amène sa petite mort
il faut laisser l'oeuvre perdurer dans le silence
en musique consonante 

nager dans les soupirs 
et les vagues imprévisibles d'un commun néant 
qui passe 
latent

quand les intervalles apaisent le chaos 
jusqu'à ce que le destin se berce
des va-et-vient sur place 
là où les nombres s'épousent
glissent autour du lustre
vers l'irradiant 
dans l'éclat total de la beauté 

il faut décliner les angles de la lumière
trouver les détails dans la chair du flou 
sans foncer jusqu'à l'éther 

dans les seconds mouvements 
toutes les petites morts évitées
les détours du changement 
les sacrifices adaptés

libérer la constance de tout ordre
maîtriser l'agonie 
toute la vie en ressort
 
l'inachevé comme un étirement 
de l'esprit déployé en fauves 
des lyres de souplesse dans l'émail du corps
donner du temps suspendu



l'on n'achève pas ce que l'on est
l'on ne souffre aucun frein 





















samedi 19 février 2022

il y avait long temps

 




la dense mécanique de mes songes errants
insiste en mes tempes des accords dérangés 
lancent aux oreilles des marcheurs indifférents 
les échos aigus de mélodies en danger

dans les reliefs du froid j'ai puisé mes présences
et rêvé l'hiver fierté d'une simple fresque
je crains des douleurs la solitude cadence
et m'épuise au profond de mon être grotesque

quand le bourdon des neiges furieuses balaie
mes traces et que la tempête oublie tout de moi
perdu dans l'abîme d'un absurde ballet

je refais surface dans mes obscurs émois
toute volonté sait reconnaître son maître
obstiné dans la drave des beautés à naître

















mardi 25 janvier 2022

 



J'épuise le soir à coups de paupières lourdes et le temps aboli se défait dans un art inconnu. Qu'est-ce qui deviendra du rêve, de la mémoire ou de l'oubli complet? Je laisse mes pensées sans portée à la fugue jusqu'à ce qu'elles revêtent des images mystères, comme des reflets du monde repliés sur tout et rien à la fois. Falsifier l'écho dans l'harmonie insécable des contrepoints du temps et de l'espace. Lumière et noirceur superposées sur le pétale de ma peau qui disparait et n'existe que pour moi. Toutes ces formes que je ne comprends pas. Pourquoi s'obstiner à chercher le jour en pleine nuit? Dans mon inquiétude muette, je sens des immobilités traversées par le monde. Tout le remous d'une âme tremblant dans le silence des yeux. Je sens que le vent chante par-dessus les cris de ceux qui meurent de froid ou divaguent en rampant au plus profond de la solitude. La fugue continue dans les différents stades évasifs de la beauté, et je ravale mes larmes de sombre effroi.