dimanche 1 mai 2022



Écrire comme on dessine sur une feuille, sans intention aucune, toutes directions possibles. Le temps d'une grande tasse de latte à la surface dessinée en brouillon laiteux. Depuis hier je sens la bride de la fatigue se détendre et relâcher son étreinte enfin. La course des dernières semaines fut effrénée éreintante, je peux maintenant me ressouffler. Dans le matin calme, gorgé de soleil, le silence est habillé de musique, tous les voisins dorment encore et je me sens sereinement seul. Une sonate de Franz Schubert me rappelle le concert de cette semaine. "Schubert a en commun avec Mozart cette faculté de fixer le ciel alors qu'il est au plus profond du trou noir", écrivait l'inimitable Christophe Huss dans Le Devoir le lendemain du concert. Cette image résume à merveille ce compositeur qui ne me lâche plus depuis quelques années déjà. Le pianiste gallois Llŷr Williams (j'avoue avoir arrêté mon élan pour trouver le "y" avec un accent circonflexe et j'ignore toujours comment prononcer ce prénom) nous a offert la sonate D.959 et ce fut un torrent d'émotions qui me traversèrent à ce moment, jusqu'à ces quelques larmes qui coulèrent pour mieux aller se réchauffer dans ma barbe durant l'andantino. Cette sonate comme une tempête de doigts d'où fusent les mille variations d'une âme impétueuse (mais laquelle ne l'est pas?). J'aimerais bien écrire un livre qui s'intitulerait Les trois dernières sonates de Franz Schubert, j'ai l'impression que n'importe quelle histoire pourrait s'appeler ainsi. Au concert, mon ami Marco m'a fait remarquer la jeune femme assise à côté de nous. Elle portait une robe asiatique blanche à étoffe épaisse et texturée de dessins que je ne saurais esquisser, elle portait surtout des gants en dentelle et son ensemble lui donnait des airs de fantôme victorien. Sans attarder mon regard sur elle, j'ai néanmoins remarqué qu'elle écoutait le concert les yeux fermés. Quelles images et quelles sensations pouvaient bien l'habiter? Ses souvenirs du temps qu'elle était vivante dans un château oublié de cette Angleterre gothique? Les landes grises et vertes comme le fourreau du vent. Ou peut-être était-elle cette poupée de porcelaine ayant pris vie qui écoute la sonate les yeux fermés pour se créer des souvenirs? Qui sait. La mémoire comme une architecture d'alcôves et de seuils, de tiroirs hétéroclites et de fenêtres à vitrail. Une cathédrale vivante qui respire, qui ronfle ou qui chante. Les souvenirs comme des illustrations sur les murs de l'antichambre du présent. Mon café est rendu froid. Dans les modulations lentes de la sonate, là où les tensions se calment, le silence devient un peu plus présent et les voisins sont plus absents que jamais. Quelque chose cloche. Peut-être l'éclat du soleil matinal amène-t-il un calme que le froid des précédents jours empêchait. Étrangement, je vais m'ennuyer de l'hiver bientôt. Mon esprit commence à errer plus loin que les phrases peuvent en rendre compte, je gomme les ellipses d'un temps à coudre. Incapable de tout mettre en ordre; mes images sont des distillats parfois frelatés. Images et pensées comme plein de petits noeuds à faire et défaire - j'aimerais connaître par coeur tous les noeuds, surtout celui bien solide qui ne demande que le mouvement précis et unique pour être défait. Mon cerveau est un filet de pêche aux mailles interlacées. Mes livres ronflent au soleil et demandent mon attention et mon temps, mais le fleuve m'appelle. Son cours vif-argent déshabillé de glace sera le creuset de mes prochains regards et d'images à naître. J'irai étudier ses tumultes réguliers, je sonderai les ombres de son lit invisible, là où les algues dansent. La sonate est terminée. S'arrêter un instant est nécessaire avant le prochain élan. Toute cette volonté qui nous traverse. Nos marches seront peut-être conjointes. Qui sait.  






















 

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