mercredi 21 juillet 2021

nature morte (ou pas)




Ciel gris pâle aux mille flous, sans nuées d'oiseaux dessinant leurs traces, mais qui ont plutôt choisi de paresser en plein coeur de l'été. Un ciel peint par un vent constant qui souffle inépuisable de l'ouest sans cesse depuis plusieurs semaines. À croire que le vent n'a qu'un sens et qu'une origine, trop lointaine pour être visible. Le frémissement touffu des arbres - cette chair implacable - fait mouvoir l'immobile. C'est là le premier spectacle qu'offre ma fenêtre (les autres m'indiffèrent pour l'instant). Sur le bord de celle-ci, deux vases en verre remplis d'herbes séchées - thé des bois, lichens, cèdre, sapin baumier et cocottes pris sur un territoire protégé; on a tous nos petits méfaits - ça ne sent plus grand-chose, c'est juste beau maintenant. À droite, deux petits pots de terre cuite protègent des fleurs sur le point d'éclore. Puis de grosses plantes en pots dont j'ignore les noms habillent le coin inutile et oublié du salon - tout espace a un coin oublié -; l'une ressemble à un petit arbuste penché et une autre, à un tronc mince et court d'où jaillissent quatre énormes feuilles aux nervures saillantes, d'où suintent et s'écoulent de grosses gouttes d'eau trouble. Paresseux supplice de la goutte tombant sur mon plancher innocent et stoïque, marquant le temps qui passe d'une imperceptible érosion. Tout ça me paraît sans odeur, mais si je devais m'en départir, je m'en rendrais compte, tout ça m'apparaît essentiel désormais : j'admire la ténacité des plantes. Au coin opposé, peut-être un peu plus utile, une vieille lampe de lecture sur pied s'enracine dans les craques du plancher et sert de mât aux chétives toiles d'araignées trop fragiles pour que je les enlève. Je n'ai pas de problème avec les petites, mais quand une araignée trop grosse à mon goût se pointe le bout des pattes de dessous le divan, je l'envoie jouer dehors. Deux d'entre elles ont essayé de revenir, mais je sais être ferme dans mes résolutions. Pu capable de m'asseoir à mon ordinateur, étant donné les circonstances de la dernière année, c'est dans mon vieux divan rouge, laid et trop rigide, que j'ai installé mes quartiers estivaux. Il y a des coussins déformés, un vieux plateau de bois en manque de vernis et marqué de cernes de tasse à café, plusieurs sous-verres en carton ondulé d'humidité, une couverture au patron mexicain, un carnet, des stylos, trop de livres et trop de cds - mes anachronismes -, bref toute la nourriture nécessaire à mon repos et à mon indolence où mon cerveau alterne entre le feu doux et l'ébullition, quand il n'est pas à off, vautré dans le tissu stérile de l'été. Les mots des autres, les films des autres, la musique des autres. Je ratisse large dans le spectre halluciné des oeuvres dont je me nourris - faire la dissection de mes influences serait plus complexe qu'il n'y paraît - et si je me défais sans effort du moins digeste, je me laisse charmer, en ultime spectateur, quand je tombe sur une puissante épiphanie. Je les cherche de plus en plus et sais mieux les trouver. Les moments qu'elles me font vivre sont chargés de vie et de poésie, mais elles contribuent également à renforcer mon incapacité chronique à me lancer dans un projet d'une quelconque envergure et une crainte ridicule et l'inaction qui en découle réussissent à distiller une culpabilité absurde qui freine mes élans et confirme ma lâcheté. Peut-être qu'un premier signe de courage est de le reconnaître? Mais qu'est-ce que le courage aujourd'hui de toute façon.

J'écoute le chant du monde et l'orchestre est désaccordé. J'isole certaines partitions et parviens à y trouver des impressions qui ne sont que les miennes en fait. Un ciel aux mille visages, le parcours des nuages, le tremblement des ondes dans le vent, les multiples détails d'une rumeur informe, les vibrations de la maison que j'habite, les odeurs mortes d'un souvenir et la sensualité sublime des nervures d'une grosse et grasse feuille de vivace. Ça ne sert à rien, mais pourtant je vois dans toutes ces teintes le métal souple des corps éclatants. Mes impressions sont hétérogènes, mais leur gestation me souffle des secrets qui évoluent dans une patience concrète et précise que je parviendrai à mettre en mots. Je sais que les images sont bien accordées.


































2 commentaires:

  1. Sincèrement, j adore cette première lecture. Évidemment je ne suis pas experte en la matière mais j'aime le descriptif fait avec des mots simples mais bien choisis et bien mariés les uns aux autres.Réna

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