jeudi 4 avril 2019

petite épiphanie




Je marche sous un ciel encore gris lourd de nuages sombres. Un temps insatiable. L'or d'un jour indifférent. L'horizon au loin fond dans mon regard assoiffé. Lorsque vivre est un désir constant. Je m'entête. Je suis absolument seul, aucun passant, juste des voitures qui filent à toute vitesse à ma droite comme à ma gauche - je me contente avec plaisir du centre - comme si tout le monde avait peur de la pluie. Ou pas le temps de la sentir tomber, toujours trop pressés. Mais je ne les entends pas. J'avance, patient. Que mes bottes claquant dans les flaques. L'hiver s'accroche et des effluves lourdes odorent, le soleil invisible et lointain ronfle doucement et expire sonores les parfums à venir. L'asphalte mouillée, le goudron humide, la tourbe retournée par le dégel, bouette brune et glacée. Puis cette sensation d'effacer un peu de passé à chaque pas. Tout est passage. Le silence prend sa place et son espace. Après, des bruits de pas dans la neige mouillée. Le fracas clair de la glace fendue au loin sur l'aqueduc. Je le longe sur des kilomètres depuis quelques mois déjà, moments si sereins ainsi bercé entre les berges, le retour du printemps fera bientôt tout déborder. Je n'entends plus le bruit des rumeurs et m'en porte infiniment mieux. Je marche dans le silence de mes pensées. Cette orée nocturne juste avant le sommeil et le rêve, ce refuge des fous. Comme des atomes délicats qui sédimentent et disent vrai. Des poussières précieuses dans le relief du flou, fumée de la cendre, parfum de cèdre inouï, d'encens. Je marche par-delà le temps qui n'est terre brûlée. Que des passages. L'éternité défile au compte-gouttes à chaque pas...

Je me fous de la fin du monde car tout est dans tes grands yeux, tout le monde s'y constelle et je sais maintenant que l'infini existe, je vénère tous les naufrages qui m'ont amené à toi. Je sais maintenant que tous les mots ont plusieurs visages, que chaque phrase est un dé à plusieurs faces. Il suffit de trouver le bon angle jusqu'à ce que le poème naisse et s'obstine

la mémoire précise de nos corps
les eaux vives dénuées de troubles
de nos courbes épousées dans le secret
il n'y a que toi jusqu'où la vue se perd
au solstice des distances s'ouvre enfin l'univers




































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