mardi 17 mars 2015

Je me souviens

Il y a de cela soixante ans aujourd'hui, Maurice Richard était suspendu pour le reste de la saison régulière et les séries éliminatoires parce qu'il avait frappé, dans le match précédent, un juge de ligne qui le retenait alors qu'un joueur des Bruins s'en donnait à coeur joie sur sa face de canadien-français, car ça allait de soi : un francophone ne pouvait pas être dominant dans un monde anglophone. Le président de la ligue nationale de hockey Clarence Campbell se présenta au match le soir du 17 mars 1955 ajoutant ainsi l'insulte à l'injure et alors qu'il était copieusement hué par tous les partisans du Canadiens, une émeute faisait rage à l'extérieur du Forum. Beaucoup d'historiens ont vu dans cette révolte une revendication identitaire contre l'injustice dont souffrait la plupart des canadiens-français, et plusieurs considèrent cet événement comme n'étant rien de moins que la bougie d'allumage de la Révolution tranquille. Toutes proportions gardées, peut-on conclure que cette émeute fût réellement l'instigatrice d'un renouveau politique et d'une affirmation identitaire dont les précédents remontaient à plus d'un siècle? Je laisse la réponse aux historiens et à ceux qui y étaient. Ce qui m'intéresse, c'est Maurice Richard. Cet espèce de parangon de droiture et de fierté qui, après en avoir trop encaissé, se dressa la colonne et se tint debout. L'homme qui ne commençât aucune bagarre mais qui les finît toutes, celui aux yeux impossibles que le grand William Faulkner, qui l'avait vu jouer au Madison Square Garden, décrivît comme ayant "something of the passionnate glittering fatal alien quality of snakes" (quelle métaphore!), et qui inspirât ce tout petit poème au non moins grand Félix Leclerc :

Quand il lance, l'Amérique hurle.
Quand il compte, les sourds entendent.
Quand il est puni, les lignes téléphoniques sautent.
Quand il passe, les recrues rêves.
C'est le vent qui patine.
C'est tout le Québec debout
Qui fait peur et qui vit.

Cela m'attriste de penser que ce genre de symbole n'appartient désormais qu'au passé et que personne n'honorera plus l'épitaphe sur sa tombe, trois mots qui m'évoquent le héros camusien, cet homme révolté surpassant l'absurde : "Ne jamais abandonner".

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