lundi 15 février 2016

froid polaire

Vendredi pas tout à fait soir encore. Le soleil s'est juste couché vraiment vite, sans attendre la nuit. Il est frileux aujourd'hui, après tout, il va faire -48° demain. Sur Saint-Denis, les flocons obèses et les lampadaires dansent sans retenue, s'épousent et déposent sur la ville leurs reflets dorés qui découpent l'obscurité bien installée. Je prends Berri. Trop de voitures passent et dérangent et crissent pneus et moteurs par-dessus ma musique. Après trois jours de Portishead, PJ Harvey succède à Beth Gibbons, qui doit avoir mal à la gorge de ce que je l'ai trop fait jouer ces derniers temps. Les voix féminines, ma chaleur dans cet hiver. Voix tantôt pré ou post-orgasmiques, tantôt cristallines comme des diamants tranchant l'ombre. On Battleship hill. Oh Polly Jean! T'as pris ta voix fragile et fluette pour cette chanson, ta voix vulnérable comme chair en hiver. Oh Polly Jean! Quand ta voix manque craquer à 3 minutes 19 secondes, mais que tu la récupères, c'est mon coeur que tu fends et recolles tout de suite après. J'en pleure, mais par en-dedans, fait trop froid dehors. 

Mes six stations de métro se résument en distractions et indifférence. Je sors au Quartier latin. Des itinérants partout. Sur mon chemin, l'un d'eux pisse en plein milieu du trottoir comme s'il n'y avait âme qui vive. Sa petite graine morpionneuse viole la poésie qui s'était doucement installée sur ma soirée. Envie de l'envoyer chier, mais je n'en fais rien. Je dois contrôler mes émotions, c'est que j'ai un câlice de volcan à l'intérieur, une énergie quasiment épeurante tellement elle semble intarissable. Arrivé au Saint-Ciboire, ma blonde n'est pas encore là. Je griffonne dans mon calepin comme un déchaîné. Tout le monde autour crie si fort, la musique, encore plus. J'ai l'impression de n'être vu de personne. Pour eux, je suis l'invisible ou l'insignifiant dont ils n'ont cure, celui qu'ils ne remarquent pas ; pour moi, je suis l'indifférent au milieu de la foule, qui a peur que la poésie et l'amour foutent le camp, que la beauté s'évapore et me laisse complètement seul devant ce qui serait ma plus grande peur. 

Je suis fébrile. Mes doigts travaillent les fissures. Je m'enfouis dans mes pensées. Je m'enfuis de la foule présente. La poésie est furtive, les muses, agaces. Le froid qui s'annonce prend naissance dans mes tempêtes. Les mots sautent de partout, comme dans ce jeu de fêtes foraines où il faut prévoir de quel trou sortira la marmotte en plastique et taper dessus avec une mailloche. On dirait que je manque à tout coup, je suis une fraction de seconde en retard. Je suis le sable dans l'engrenage ambiant.  Je désordonne moi-même ce qui m'entoure en attendant que tu combles ma solitude. Tu arrives enfin. Ton sourire a quelque chose de rassurant. Nous partons aussitôt, l'atmosphère ne te plaît guère, et on s'enfonce dans la nuit froide. Notre pas rapide sur la neige dure et criarde. On oublie tout. Nos pensées errent. On va rejoindre des amis avec qui nous boirons toute la nuit, dans l'insouciance des pintes. Mais ma bière a quelque chose de fade, je ne sais pas pourquoi. Peut-être l'est-elle parce que pas une fois nous ne penserons à ces itinérants que j'ai vus tout à l'heure. Ni au fait qu'ils vont peut-être mourir de froid demain soir, parce que -48°, ben c'est frette en crisse.

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