mardi 10 juin 2025

Pour saluer Victor-Lévy Beaulieu


Si j'en avais entendu parler bien avant - par ma mère qui regardait, non sans maudire le tyrannique Xavier Galarneau, L'Héritage alors que j'avais à peine 10 ans (anecdote : le comédien Gilles Pelletier, qui incarnait Galarneau, fut notre voisin pendant un été et il était d'une gentillesse absolument remarquable), ou pendant mes études en littérature -, ce n'est qu'à l'été 2010 que j'ai lu, pour la première fois, Victor-Lévy Beaulieu.

Après avoir terminé ma maîtrise en études littéraires, je me suis fait l'étrange cadeau de gravir les deux sommets de la littérature moderniste : À la recherche du temps perdu de Marcel Proust et Ulysse de James Joyce. Non pas en pèlerin arpentant des chemins sacrés, mais en explorateur d'univers dont on avait vanté beautés et renommées, envergure et confins, tréfonds et hauteurs. (Cette ironie que mes deux lectures les plus déterminantes aient eu lieu tout de suite après mes études...) Si la traversée de Proust s'est faite sans trop d'écueils (le réel défi étant la longueur du texte et l'ennui qui parfois s'installait ; le reste ne fut que plaisir et fascination), ce fut tout autre chose pour Ulysse. C'était comme si je descendais de l'Everest pour aller sur-le-champ m'attaquer au K2. Émerveillé mais épuisé et mentalement drainé par la Recherche, je lisais Ulysse et rien ne collait. Après 200 pages, à l'épisode VII intitulé Éole, celui écrit à la manière d'encadrés journalistiques, je ne comprenais plus rien, ni le texte ni le génie de Joyce. Ç'aurait pu en rester là, mais je n'étais pas du genre à reculer devant un défi littéraire. Je n'avais qu'à lire un livre sur Joyce et son oeuvre pour comprendre à quoi je m'attelais. J'avais entendu parler du James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots de Victor-Lévy Beaulieu et je me suis procuré l'édition Boréal compact (environ 25$ pour 1100 pages, un des meilleurs ratios prix/pages ever!). Je suis entré dans son monde par la très grande, la très hénaurme porte!

Je fus happé dès la première page par le verbe inouï et stupéfiant, halluciné et hallucinant de VLB, une déflagration à en ébranler les fondements de tout ce que je connaissais de la littérature. Comme preuve, l'ouverture de son James Joyce, sorte de palimpseste de l'ouverture de Finnegans Wake 

Il est reveneure. Sur l'allouinde gyrent et vriblent les slictueux toves. Cet air de vivre dépassé en tout son levant, loin de Notre-Dame, loin des dérives de la rivière Trois-Pistoles, en rêverie de fleuve Saint-Laurent, mon père en allé dedans pour l'éternité. Sans recours possible, plus de dépense amoureuse, ni ascension par montée jusqu'à la Pointe-à-la-Loupe, Côte du Bic et Environs, lieux sacrés des promenades d'autrefois, quand le paysage ressemblait à une main toute chaude et parfaitement abrillante. Très loin était alors le fauteuil roulant et mon père assis dessus, en mémoire effilochante, panier percé ne retenant plus rien. Muette la peur que mon père avait de verser. Éteinte la pétillance de l'oeil, devenu comme soleil noir sous un ciel enlarmé de brume.

Éteinte la pétillance de l'oeil, devenu comme soleil noir sous un ciel enlarmé de brume... Sérieusement, celui qui ne trouve pas ça beau n'a pas de coeur, pas d'âme et n'a jamais pleuré. Je n'ai jamais été capable de m'arrêter de lire. VLB m'emmena dans un périple que je n'avais prévu. Bien que je fusse tout à fait séduit par son extraordinaire érudition, par la façon qu'il avait de construire son essai hilare en juxtaposant fiction narrative, historiographie de l'Irlande et biographie de Joyce, la réelle épiphanie se produisit un jour nuageux du mois d'août de cet été-là, dans un chalet sur le bord du lac Mandeville - je me souviens encore du lac calme dormant sous l'étoffe de l'épais brouillard de l'aube -, alors que le narrateur de VLB relevait avec une simplicité désarmante, au moment le plus opportun, un des plus beaux passages du Portrait de l'artiste en jeune homme

[Stephen] tira une expression de son trésor et se la répéta doucement : "Un jour pommelé de nuages marins." La phrase, le décor et le jour s'accordaient harmonieusement. De simples mots pourtant. Était-ce à cause de leurs couleurs? Il vit flamboyer et s'éteindre leurs teintes une à une. Or du soleil levant, rouge et vert des pommeraies, azur des vagues, franges grises aux toisons des nuages. Non, cela ne tenait pas à leurs couleurs, mais à l'équilibre, à la cadence de la période elle-même. Aimait-il donc le rythme ascendant et retombant des mots mieux que leurs rapport de sens et de couleurs? Ou bien était-ce que, faible des yeux et timide de l'esprit, il goûtait moins de plaisir à voir les yeux de l'ardent Univers sensible dans le prisme d'un langage multicolore et somptueusement expressif, qu'à contempler le monde intérieur des émotions individuelles, parfaitement reflétée dans les périodes d'une prose lucide et souple?

Je levai les yeux de mon livre et vit, devant moi, ce jour pommelé de nuages marins. L'épiphanie de Stephen matérialisée devant moi. Rarement l'art et la vie ne s'étaient si naturellement superposés pour, au final, ne former plus qu'un. Je n'exagère pas en disant que ce passage a changé à jamais ma vision de la littérature et de l'écriture, et même si ce sont les mots de Joyce, c'est VLB qui me les a pointés du doigt en disant : "Regarde. Mais regardes-tu vraiment attentivement? Vois-tu l'harmonie des lettres à l'intérieur d'un même mot, la trace qu'elles laissent sur l'oeil qui lit et lie, les corps langoureux des syntaxes plurielles, la musicalité de leurs enchaînements, leurs réalités porteuses de vérité et de beauté? Allez! Regarde et vois de quoi il s'agit réellement." Une nouvelle conscience des choses se révéla alors et les mots, conjugués aux images, aux sensations, aux pensées et aux émotions, prirent alors une toute nouvelle valeur, une nouvelle force et devinrent une substance que je voyais sous une nouvelle dimension. Donc, VLB fut pour moi d'abord et avant tout un passeur. Il est celui qui m'a permis de comprendre ce que j'avais à comprendre de Joyce, entre autres, et il l'a fait avec une autorité, un style et une verve que je n'avais jamais lus.

Je continuai ma lecture de James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots et VLB m'en apprit beaucoup plus. Sur le Québec, sa littérature, son histoire, notre parenté parallèle à l'Irlande et aux Irlandais, et nos destins discontinus. Et sur la langue aussi. Comme je le disais, la langue de VLB fut pour moi l'ouverture d'un champ des possibles que je ne connaissais pas, qui me mena en-dehors des chemins banalisés vers tous ces éclatés du langage (Joyce, Gauvreau, Ducharme et autres) et je me relançai dans l'écriture et la création avec une énergie décuplée. Si j'ai commencé ce blog, c'est uniquement à cause de mon ami Francis et de VLB. Après avoir terminé son essai hilare sur Joyce, que je place parmi les oeuvres les plus abouties de la littérature québécoise, j'ai fait mes devoirs : Dublinois, Portrait de l'artiste en jeune homme, Ulysse (Finnegans Wake ne suivrait que plus tard)Après avoir navigué l'océan proustien, je gravissais jusqu'à la brûlure le volcan joycien. Et je compris enfin. 

Question de faire mes hommages à celui qui venait de m'ouvrir les yeux, j'ai dévoré une grande partie de son oeuvre colossale, un pan de bibliothèque à elle seule. Il m'a permis de découvrir sous de nouveaux jours Kerouac, Hugo, Melville et Nietzsche. VLB était à son meilleur quand il écrivait sur la littérature et ces auteurs qu'il aimait tant. Sa passion fut contagieuse. Je me suis tapé la quasi-entièreté de La vraie saga des Beauchemin, j'ai même enseigné Race de monde pendant 3 ans au cégep (je prenais des risques). Il m'a tour à tour fait hurler de rire et profondément choqué, il m'a troublé et ému, m'a désemparé et fasciné, dérouté et estomaqué, et je ne peux absolument pas renier l'influence indélébile qu'il a eue sur moi. Souvent vulgaire, tantôt poétique, chantre d'une liberté provocatrice et hyperbolique, l'homme était plein de failles parce qu'humain, si humain, mais son grand oeuvre, même s'il est inégal et plein d'aspérité, à l'image d'un territoire montagneux, reste sans pareil et constitue un des édifices les plus importants, les plus marquants de l'histoire du Québec, de sa littérature et de la littérature universelle. Et que ceux qui ne croient pas que l'expérience singulière de l'échec québécois ne puisse être universelle passent leur chemin.  Il n'y a que très peu d'oeuvres totalisantes je crois que celle de VLB en est une. Artiste jusqu'aux entrailles, écrivain polémique de l'excès, de la démesure et plus grand que nature, depuis son décès, les superlatifs fusent de toute part : "monument, géant, monstre sacré (ou sacré monstre), ogre, émule de Victor Hugo et de Rabelais (et Balzac, quelqu'un?), écrivain de l'inconscient collectif québécois" et j'en passe. Dany Laferrière y est allé de son éloge : VLB est l'écrivain "le plus patriote, le plus nationaliste, le plus québécois et aussi le plus universel." Victor-Lévy Beaulieu est, à lui seul, un pilier de la culture donc de l'identité québécoise. Comme d'habitude, c'est navrant que ce soit son décès qui mette la lumière sur son oeuvre qui aurait dû être davantage célébré de son vivant, mais si ça peut amener des humains à le découvrir, ça sera au moins ça. Paraîtrait-il qu'il travaillait à ses mémoires au moment de sa mort, j'espère que nous pourrons les lire.

Quand j'ai appris son décès, mon amoureuse m'a demandé si j'étais triste. Ça m'a rappelé le décès de Serge Bouchard qui m'avait réellement attristé, ça m'avait fait un vrai choc, un coup au coeur, probablement parce que je l'entendais à la radio à chaque semaine, ce qui avait créé une indéniable proximité (j'entends encore son souffle court, ses poumons fatigués dans le micro...). C'est différent avec VLB. Je le savais malade, mais non pas à l'approche de la mort. Je l'ai entendu à la radio il y a deux mois, il était toujours allumé, et c'est à peu près tout. J'avais pris une certaine distance bien malgré moi, mais il était impossible que je n'y revienne pas. Je n'ai pas lu ses derniers livres puisque pour moi, son Nietzsche constituait un sommet qu'il ne pouvait égaler par après. Ce n'est pas de la tristesse que je ressens, mais un mélange de mélancolie et de nostalgie. J'ai surtout envie de lui dire merci. Merci pour tout. Pour la démesure, le bruit et la fureur, la poésie et la langue, la beauté et les laideurs nécessaires, les délires, les noirceurs lumineuses et les brillances ombrageuses de notre pays qui n'a jamais été et ne sera peut-être jamais. Merci de n'avoir évoqué plus que le désenchantement de ta ténèbre, mon si pauvre Abel. J'espère surtout que les derniers moments de ta vie furent, d'une certaine manière, sereins, et que ta mort fut douce, sachant que tu continuerais à vivre dans tes livres. 

Tout compte fait, oui, il y a bien un peu de tristesse, mais c'est surtout avec une tendresse émue que je relis cette dédicace dans mon exemplaire de son 666 - Friedrich Nietzsche : dithyrambe beublique

Cher François-Charles, 
Soyons resplendissants! 
a dit Nietzsche. 
Bonne lecture,
VLB
23/4/15




Soyons resplendissants!








































samedi 24 mai 2025






Dimanche soir, vaincu par une pluie froide qui n'arrête pas et gagne sournoisement en intensité, je quitte le parterre boueux du Pouzza, rempli de non moins intenses et boueux mottés, punks et pouilleux bigarrés, parfois droits mais le plus souvent croches, le mal-être variable engourdi par l'alcool et d'autres substances. Subhumans, légendaire groupe britannique d'anarcho-punk crust à souhait, vocifère sur scène comme si c'était la dernière fois : "We're the 99% our lives are not for you to spend! We're the 99% and we resent this exploitation!" 45 ans à gueuler sa révolte dans la marge de la marge, ça impose le respect, mais Mère Nature aussi, davantage même. J'aimerais rester, mais la pluie devient juste trop désagréable. Je me dirige donc vers la station de métro la plus proche, celle de la Place des Arts, entrée Saint-Urbain. Contraste saisissant. Le salon urbain en face de la Maison symphonique est désert, immaculé d'une propreté qui jure avec ma dégaine de punk détrempé. À cette heure-là, tous les spectacles ayant lieu ici sont commencés alors il n'y a que très peu de personnes, la plupart tous bien mis, qui se promènent calmement ici et là, l'air désinvolte et les sens attirés par les quelques installations et projections qui décorent la Place des Arts. Sous les auspices de Marie-Jeanne, en mode surstimulé et tête chercheuse, mon cerveau va plus vite que mes sens, et je me dirige vers le Complexe Desjardins à la recherche d'un endroit où performer mes nécessités. Être sous influence me donne l'impression d'avoir le regard plus pénétrant, plus perspicace ; j'erre dans le réel, et chaque passant déclenche en moi une image, une histoire, une inspiration. « Chaque être humain est une oeuvre d'art, un roman, une histoire à raconter », que je me dis dans ma candeur de stoneur.

Au premier sous-sol, dans la courte passerelle menant de la Place des Arts au Complexe Desjardins, je vois un itinérant sérieusement diminué, le bras aussi maigre que ses jambes, tendre une main émaciée pour avoir un peu d'argent pour se nourrir. On dirait qu'il manque de souffle, son corps asséché par la faim. Mon cerveau parti en vrille et en conjectures tente d'imaginer ce qui a bien pu le conduire jusqu'ici, dans le premier sous-sol du quartier des spectacles de la ville de Montréal, à quêter pour subsister. Il ne vient clairement pas du Québec, et je me questionne sur la gravité du déracinement et de l'exil qui l'ont mené ici. D'où vient-il? Comment a-t-il traversé l'océan Atlantique? Depuis combien de temps est-il ici? Ça fait maintenant 19 ans que je suis à Montréal et j'ai rarement vu un itinérant dans son état. Son niveau de mendicité et son état de santé sont graves et inquiétants. Il me rappelle cette misère que j'ai vu quand je suis allé en Inde il y a de la cela 12 ans. C'est de cette intensité. Je me sens mal pour lui. N'ayant pas d'argent sur moi, je n'ai rien d'autre à offrir qu'un peu d'empathie. Émotion bien vaine qui ne comblera pas sa faim. Cette triste incarnation de la misère humaine jure violemment avec l'autre côté de la passerelle où l'opulence factice décorant le Complexe Desjardins est déployée sans aucune espèce de honte. L'énorme fontaine centrale, avec d'incessants jeux de lumière verte, bleue et rouge, crache ses jets d'eau sur plusieurs étages de hauteur ; l'éclairage est tamisé au maximum pour faire ressortir lesdites couleurs et une trame sonore accompagne la démonstration ; les devantures barrées des magasins sur plusieurs étages comme toile de fond ; des consommateurs aux sacs pleins de leurs achats du jour flânent nonchalamment, repus de désirs comblés (en attente des prochains à venir), hypnotisés par la fontaine de lumières ; tous les restos du food-court en train de fermer boutique, à probablement jeter la nourriture invendue qui pourrait sustenter l'itinérant à 100 mètres de là. La vulgarité de l'endroit m'amène un malaise qui me force à rapidement quitter la place. Je jette un regard dehors : l'orage n'a en rien diminué, je tire donc la plogue sur le Pouzza et m'engouffre dans le métro pour retourner à la maison. 

Les transports en commun. Qu'est-ce qui nous reste de commun au juste? Ce soir-là dans le métro, sur la ligne verte vers le Sud-Ouest, je fais fi de ma musique pour n'écouter que les bruits ambiants de la ville souterraine autour de moi. Friction incessante des rails métalliques ; aspirations des wagons dans les tunnels ; fritures et distorsions des discours. Après quelques minutes, un constat : je n'entends personne parler en français. J'entends de l'anglais - beaucoup d'anglais -, de l'arabe, du créole, des langues asiatique, slave et africaine dont j'ignore l'origine précise, mais pas de français. À l'exception de la voix automatisée du métro (bonjour Michèle Deslauriers!), personne ne parle français. Personne. Rien pantoute. Zéro pis une barre. Peut-être que les solitaires, ceux qui se taisent, ayant fait le choix - ou pas - du silence, sont des francophones, qui sait. Ils ont leurs yeux scotchés sur leur téléphone, dans leur bulle transparente, la tête dans les nuages numériques. Ça fait ça de commun j'imagine. En l'espace de quelques stations, deux itinérants peu vêtus, un sac de poubelle en guise d'imperméables d'infortune, passent l'un après l'autre, mains tremblante tendus, détrempés, la peau sur les os, au bout de leur épuisement, devant beaucoup de regards indifférents et quelques regards compatissants. Même émotion que tout à l'heure, même empathie inutile. La gorge nouée, comme un arrière-goût qui passe mal. 

Station Jolicoeur, Airlie la ligne 112, un autre transport en commun. Ce que nous avons en commun... La faible lumière de l'autobus s'interrompt puis revient à chaque cahot sur la rue, autant dire tout le temps. Comme si la machine toussait. Le bruit des néons scintille, comme celui d'un filament dans une ampoule brûlée. La pluie n'arrête pas. Personne ne parle. Le langage non-verbal remplace la pluralité des langues. Ce que nous avons en commun. Les quelques passagers ont tous le visage long et fatigué dans la grisaille d'une soirée de nature triste. Une femme à l'avant attire mon attention. Elle est vêtue d'un grand imperméable qui a perdu sa vertu il y a bien longtemps. Tout le poids de la pluie sur elle. Deux sacs d'épicerie pleins à ses pieds ; son regard ne regarde rien. Je suis incapable de deviner son âge - j'ai toujours été nul à ça. Je l'imagine grand-mère, une grand-mère aimante qui voit dans ses enfants et ses petits-enfants toute la beauté du monde et le sens même de l'existence, de la sienne en tout cas. Sa peau noire est tannée, marquée par les épreuves d'une vie de remous, prématurément ridée par le puissant soleil de sa jeunesse, d'une jeunesse qui n'a pas connu l'hiver. Dans ses yeux, fatigués mais sereins, reluisent toutes les lumières de la nuit. Tout au long du trajet, elle ne croisera ni mon regard ni mon sourire. Sans le savoir, elle aura inspiré une impression singulière que je n'ai pu oublier. Ce que nous avons en commun? We're the 99%. L'autobus va moins vite que le métro et on dirait que ça calme les gens. Peut-être qu'une certaine fatigue tranquille l'emporte sur la futilité de perdre ce qu'il reste du jour inutilement dans le vortex infini du web. Ou peut-être que cette fenêtre qui n'en est pas une, que cet écran, cette façade sur ce monde construit en algorithmes n'est rien par rapport à la fenêtre bien réelle de l'autobus à travers laquelle nous voyons le centre-ville de Montréal, illuminé par tous ses gratte-ciels, s'éloigner de nous au-dessus du canal de l'aqueduc, dans la nuit bien installée d'une nature qui s'apaisera en même temps que notre sommeil. 























samedi 8 février 2025

 


aux abords du minuit profond 
les ombres se superposent
en formes confuses
et déclinent nos âges qui pâlissent 
dans les reflets de la flamme

pendant que tout est calme
les souvenirs en orbite 
tissent leurs lentes constellations
que l'oubli éloigne et 
que la pensée rappelle

cette sensation que 
l'élan véritable naît de l'écoute
du travail de la patience
l'attention est une prière sublimée
à des dieux inconnus





















































vendredi 24 janvier 2025

 


la rue de l'Église au soir tombé
massive Notre-Dame-des-Sept-Douleurs 
(ça fait plusieurs douleurs)
dans leur chemin les phares des voitures 
découpent la noirceur déposée

dans le cri blanc des lumières
phares et lampadaires 
brillent les tourbillons calmes d'une neige légère
les flocons comme de folles mouches à feu
qui dansent dans le vent entêté et affranchi 

l’autobus m’avale et longe la nuit avec moi
on s’enfonce dans la nuit du sud-ouest froid
j’imagine à ma gauche au loin 
la torpeur du courant sous le fleuve gelé 

quelques passagers en silence
des regards perdus dans la lumière bleue de leurs mains
pendant vingt longues minutes
personne ne parlera à personne
je les oublie un instant dans l’illusion 
d’être par-delà les machines

l’autobus me régurgite au coin d’un parc 
de la patinoire les bruits d’une partie de hockey
je marche lentement et m’attarde
à regarder les rues défiler dans cet hiver avare de tempête
mon visage accueille l’étreinte mordante du froid
et avec humilité la beauté d’un soir d’hiver
se déploie dans un calme qui n’attend que l’écho