dimanche 18 décembre 2016

Le temps, encore lui.

Dimanche soir, un peu avant la tombée de la nuit, je suis sorti dehors par -12 degrés avant que le froid polaire de la nuit ne s'installe. J'ai descendu Fullum du nord au sud, en ligne droite, avant de bifurquer direction ouest vers le parc Lafontaine pour me laisser aller aux aléas des dédales du soir. Pendant ma marche, je suis passé près de trois patinoires en manque de froid qui n'attendent qu'à servir de glace aux nobles confrontations qui n'existent que dans le temps qu'on leur consacre. J'écoutais C'est fou, troisième émission sur le thème du temps. Ça leur aura pris tout ce temps pour enfin parler de l'ultime Oeuvre sur le sujet : À la recherche du temps perdu. Pendant un court instant, en guise d'ouverture, ils ont souligné l'importance de l'épisode de la madeleine. Un cliché s'il en est un, mais qui au moins leur a permis de s'attarder un temps soit peu sur ce miracle littéraire. Cette madeleine certes importante, mais qui ne serait quand même rien sans le pavé mal équarri non loin des clochers de Martinville où la vocation de Marcel s'est révélée, où il a su cristalliser la matière du temps à l'état pur pour en faire le sens de sa vie. La voix grave et lente de Serge Bouchard faisait le contrepoint de ma marche rapide, je respirais à pleins poumons un air que je connaissais à peine ; Montréal vide dans le froid de décembre, un dimanche soir de surcroit, m'a permis de jeter un nouvel oeil sur le lieu que j'habite désormais, un quartier où il fait bon marcher lorsque les rues sont vides de gens, où il n'y a que la lumière des lampadaires pour surveiller ma cadence et que le bruit de mes pas sur la chaussée gelée pour fournir de l'écho à l'espace. Un croissant de lune discrète dans la soirée frisquette m'illumine de son sourire timide mais imperturbable. Cela changera demain, comme nous le ferons tous d'ailleurs. Ce soir j'ai pris le temps de prendre une marche, j'ai oublié cinquante soucis, et je m'en suis créé d'autres ; troc de tracas, je ne perds rien au change. Ce soir j'ai pris le temps de prendre une marche, j'ai tracé un trajet qui m'est propre et qui m'appartient ; j'ai bouclé une autre boucle en défaisant un des nombreux noeuds qui me traversent. En rentrant chez moi, pour me réchauffer, j'ai pris un petit dram, un tout petit wee dram de Laphroaig 18 ans, un whisky fait avec une tourbe millénaire et un feu immémorial, un whisky fait par une poignée d'hommes du nord comme moi, un whisky fait avant le faux bug de l'an 2000, avant le 11 septembre, avant notre ère débile, avant le posthumanisme et la postvérité, avant la naissance de la majorité de mes étudiants, avant que je déménage cinq fois en onze ans, avant que ma vie ne parte en déroute dans les deux derniers mois pour maintenant se replacer - si maintenant existe vraiment -, avant que je devienne qui je suis ; cette impression de me nourrir du temps alors que j'avale son feu, son métal brûlant, de pouvoir créer avec ce que je détruis, avec ce qui disparait et cesse d'exister. 

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