mercredi 28 septembre 2016

Quatuor à cordes no°14 en do dièse mineur, Op.131 - Adagio quasi un poco andante. Schubert demanda qu'on lui joue ce quatuor alors qu'il agonisait dans l'anonymat, malgré 9 symphonies d'une puissance intemporelle et plus de 600 lieder tout aussi intemporels. Je vois dans des yeux absents des cathédrales de cordes. Dans les mouvements lents, en plus de l'allegretto de sa 7ième symphonie, le grand Ludwig van a écrit avec cet adagio un des plus beaux cent secondes de musique de l'histoire de l'humanité. Vibrato des sentiments partagés dans le vent d'automne. Les détresses communes s'estompent ne serait-ce qu'un peu dans la franchise de paroles et de confiance échangées. Cette musique révèle les larmes de ceux qui, par pudeur, n'ont pas voulu en verser.

Cherche les secrets insoupçonnés, les trésors que dissimule le banal voyage du jour. En parlant du grand Gogol, Nabokov disait que "chez lui, les vivants sont les morts", et c'est valable pour nous aussi. Visages des étudiants qui, à ma grande surprise, acquiescent sans broncher - cette impression d'avoir fendu à coup de hache la racine de leur incrédulité, comme si soudainement, ils venaient de comprendre quelque chose. Nous sommes tous le fantôme de quelqu'un, ou le fou de l'Autre. Chez Gogol, les vivants sont les morts. Mantra qui comme le chèvrefeuille dans le cerveau détraqué de Benjy du Bruit et la fureur implante le germe d'un délire nécessaire ; sublime sublimé de l'art novateur et radical, sans équivoque, qui déploie dans notre pensée les promesses de bourgeons purs.

Allegro. 388 mesures. Supercordes qui n'auraient pas déplu à Bibi, qui déchaînent la fureur du génie sourd les mots vains s'écrivent dans l'ombre de plus grands concerts, les archets violent veines et sang, secousses et corps s'évadent, et nous réduisent à notre néant, à notre nudité spectrale, nous sommes tous le fantôme de quelqu'un. De Lear dans la tempête de sa chute jusqu'où la vanité peut mener, délires dans l'aube dorée où dansent les fous qui ont peut-être trop aimé. Et puis Jack Kerouac, dans la chaleur de Mexico, sur les morphine, alcool, weed, benzédrine, dit : "Absence of phantoms/make me no king". Tous les rois que nous sommes, maîtres de nos royaumes solitaires, illusoires et déserts sont hantés. Par tous ces beaux ou moins beaux fantômes qui ont été, qui sont et seront - combien de fois morts déjà, puis ressuscités.

1 commentaire:

  1. «Je vois dans des yeux absents des cathédrales de cordes.»

    Whoaaa.

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